Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Entretien avec Colocho pour « Le temps où on enfilait des perles »…
La civilisation amérindienne est fortement ancrée dans notre culture par le biais de la bande dessinée, de la littérature et principalement du cinéma. Souvent utilisée de manière divertissante, elle peut devenir, de par sa complexité et sa richesse, une réelle passion pour ceux qui prennent le temps de la découvrir. C’est ce qui arrive à Cédric, jeune étudiant, héros de l’album « Le temps où l’on enfilait des perles » conçu par Colocho.
Lors d’une conversation avec sa compagne, Cédric se souvient d’une aventure de sa jeunesse. Pendant sa première année aux Beaux-Arts de Lyon, fortement impressionné par la sortie de « Danse avec les Loups », il intègre une association autour de la culture indienne qui prend peu à peu le pas sur son travail étudiant. Cédric effectuera sa rentrée suivante à Aubenas pour une formation d’intervalliste en dessin-animé.
C’est dans cet établissement que Cédric rencontre Wilfried, Laurent, Stéphane, Fred (et son chien Goloï) eux aussi férus d’art et de culture amérindienne, à la petite bande s’ajouteront Nadège et Géraldine. La vie suit son chemin entre les cours, les soirées et les virées en campagne.
Au lendemain d’une escapade arrosée, lors d’une discussion autour du personnage de Winnetou (onze films et une série de quatorze épisodes), la petite bande décide d’aller voir Pierre Brice. Cet acteur, rival de Delon dans les années 50, interpréta tout au long de la saga le rôle de cet apache rebelle. Rapidement, le périple se met en place.
La lecture de cette curieuse bande dessinée nous interroge sur ce qui nous fonde : que reste-t-il de nos passions de jeunesse, comment nous construisent-elles ? En suivant le cheminement de Cédric nous découvrons un parcours universel, contenant quelque chose de fondamental. On retrouve aussi cet aspect primordial dans le trait de Colocho. Son dessin en noir et blanc amplifie cette sorte de nécessité vierge à raconter ce temps, où l’on enfilait peut-être des perles, mais qui ne sera jamais tout à fait perdu.
Monsieur Colocho, pouvez-vous, pour commencer cet entretien, vous présenter ?
Euh… mon nom c’est Colocho, c’est un nom qui vient d’Amérique du sud… Je suis illustrateur depuis la fin des années 90 et récemment je me suis décidé à écrire mes propres histoires, ce qui a été un véritable déclic pour moi. Je suis également bibliothécaire à Villeurbanne, ce métier me nourrit et rassasie ma soif de lecture et de découverte. Je demeure avant tout un passionné du livre, ce qui me permet de maintenir un enthousiasme permanent.
« Le temps où on enfilait des perles » est-il autobiographique ou est-ce une auto-fiction ?
Il est complètement autobiographique sauf la rencontre avec Pierre Brice, mais j’aurais bien aimé. Je trouvais que faire rencontrer ces deux univers décalés provoquerait un effet des plus comiques.
Sa réalisation fut longue ?
Trois années pour le dessin plus une année pour l’écriture… L’histoire a germé en 2012… Je me suis enfermé quelques jours dans un hôtel près d’Aubenas pour me replonger dans l’ambiance de l’époque, en retournant sur les lieux (comme le Pont du Diable par exemple)…
Comment le noir et blanc s’est imposé pour ce récit ?
Pour moi c’était une évidence… Ma bibliothèque BD est composée en majorité d’ouvrages en noir et blanc (mangas et comics underground). Les cadrages, la mise en page, l’absence de couleurs sont autant de défis à relever pour garder une lisibilité correcte… C’est très motivant.
Vous vivez en région lyonnaise, votre éditeur est nantais. Vous vous êtes rencontrés, à mi-chemin, à Châteauroux ?
Ah Ah Ah ! Non, en fait mon projet est venu jusqu’à eux par mail, grâce à la bienveillance de Terreur Graphique. Ensuite on s’est rencontré à la Bulle d’or à Brignais.
Il est fait mention dans votre ouvrage de l’album « American Buffalos » de Derib, d’autres bandes dessinées approchant de la culture indienne vous ont marqués ?
Non, Derib c’est clairement le plus grand, c’est un vrai connaisseur, en BD je ne vois que lui…
C’est la littérature américaine qui m’a le plus marqué dans ce domaine (Sherman Alexie, Tony Hillermann, Jim Harrison, Dorothy Johnson…)
Par le biais de votre travail de bibliothécaire, voyez-vous encore un attrait du public pour les westerns, les grands espaces, la culture américaine quelque soit le support ?
Oui bien sûr… D’ailleurs Jacques Audiard ne s’y est pas trompé en adaptant « les Frères Sisters »… En 1990, personne ne croyait au projet de Kevin Costner (« Danse avec les loups »), moi je crois qu’une bonne histoire fait la différence.
Avez-vous eu l’occasion d’aller aux Etats-Unis sur les traces de Joe Leaphorn, Jim Chee ou d’autres ?
Non, on va dire que c’est l’Amérique qui est venue jusqu’à moi… Mais j’aimerais bien y aller un jour.
Visionnez-vous encore des Winnetou ?
Non, à vrai dire je m’y suis replongé dedans pour la BD, mais j’avoue ça pique les yeux… Par contre j’ai des souvenirs très précis de la série, enfant, certains épisodes m’ont émus et révoltés, et ça par contre ça reste, c’est le plus important… le souvenir que j’en ai.
Vous êtes aussi illustrateur pour la revue Terre Sauvage, ce travail vient des valeurs naturalistes des cultures indiennes ?
 Terre Sauvage, j’étais abonné quand j’étais au lycée, c’était un vrai trésor pour moi. La vie a fait que mon meilleur pote d’armée en est devenu le directeur artistique… Mais il est vrai que mon intérêt pour l’écologie est sans doute le dénominateur commun avec les amérindiens.
Avez-vous de nouveaux projets d’albums ?
Oui ça devrait s’appeler « Otzi, une vie décongelée »…
Mille mercis sauvages à Colocho pour sa disponibilité.
« Le temps où l’on enfilait les perles » par Colocho
Vide Cocagne (18 €) – ISBN : 979-10-90425-98-9
Encore une excellent découverte permise par le « fouine partout « Brigh Barber. Que le grand Manitou soit avec toi !