« Sheriff of Babylon » par Tom King et Mitch Gerads

Parler géopolitique, cela est possible en bande-dessinée et ce comics tout à fait remarquable en fait la démonstration parfaite, sur le sujet pourtant sensible et difficile de la reconstruction irakienne de 2004.

Zone verte, Baghdad, février 2004, après la chute de Saddam Hussein. C’est là que l’armée américaine est retranchée dans un camp hyper sécurisé. Christopher Henry est un ancien flic de San Diego ayant été recruté comme instructeur militaire pour former la nouvelle police irakienne. Il vient d’apprendre la mort d’une de ses recrues, assassinée, et dont le corps a été déposé par provocation sur la grande place. Aidé par Nassir, un vétéran de la police de Saddam Hussein et de Safiya, jeune femme irakienne cultivée, issue d’une famille de notables de la ville, et ayant fait ses études aux États-Unis, il va tenter de comprendre la situation. Mais celle-ci est complexe et très dangereuse… chacun défendant ses intérêts propres et jouant double jeu.

Tom King a travaillé pour la CIA au début des années deux mille avant de se reconvertir dans l’écriture avec la nouvelle « A Once Crowded Sky » (2012) et intégrer l’industrie des comics sur les titres « Grayson » (« Nightwing »), « Omega Men » (White Lantern, inédit), « Mister Miracle », « Vision » (remarqué par un Eisner Award) et se faire une place de choix dans l’univers « Batman Rebirth », où il officie actuellement. Cette création de douze épisodes réalisée entre 2016 et 2017, au départ intitulée « The Sheriff of Baghdad » (voir les projets de couvertures ajoutés au volume) figure certainement parmi ses travaux les plus conséquents et lui a apporté une reconnaissance méritée. Il s’est servi de son expérience et de ses connaissances sur le conflit en Irak pour rendre au plus près la réalité chaotique d’un état éclaté entre communautés (Chiites, Sunnites), cultures arabe et kurde, ressentiments vis à vis des régimes et de l’invasion, et intérêts divergents. Pierre-Jean Luizard, historien, chercheur au CNRS et membre du groupe de sociologie des religions et de la laïcité, complète l’histoire, en prologue, d’un texte resituant le contexte politique.

La force de cette immersion dans un conflit larvé, où la vie humaine ne vaut pas chère face aux enjeux, est remarquablement rendue par le biais d’un scénario en forme de thriller, dont les chapitres bien équilibrés rythment l’histoire. Les personnages, très réalistes, voire quasiment issus d’un documentaire, sont attachants et forcent le respect. Une place importante étant accordée à la gente féminine et pour autre chose – cela change – qu’un simple faire-valoir sexué. Ce qui n’empêche pas, entre autre, de belles scènes à l’érotisme soft et troublant, surtout dans un univers musulman où la nudité est chose sacrée. En cela, Tom King réussi un pari assez fou : parler de choses sérieuses et dures mais avec émotion et poésie, le tout empli de références culturelles très intéressantes (légendes, musée…).

Le dessin très réaliste de Mitch Gerads, ayant travaillé sur les séries « Doctor Who » (inédites en français) ou le thriller politico militaire « The Activity » (chez Urban comics), convient quant à lui parfaitement à la situation, avec un style fin et précis, très acéré, dont les couleurs, aux teintes douces vert, marron ou bleu (et le rouge pour le sang, très présent) sont un plaisir pour les yeux. Par moment, ses traits au pinceau, nerveux, et lâchés sur des textures « salies » à l’encre, font aussi penser au meilleur de certains artistes contemporains des pays de l’est, tels Danijel Zezelj. Une comparaison évidemment positive, qui doit vous motiver à acquérir cet excellent ouvrage.
5 étoiles pour le Sheriff, et un livre qui restera !

Franck GUIGUE

Tom King est aussi dans l’actualité avec « Batman : à la vie à la mort » (version noir et blanc réduite) : premier titre d’une nouvelle collection chez Urban comics consacrée au Batman Day. Cette manifestation mondiale, lancée aux États-Unis en 2014 à l’occasion des 75 ans de la création du héros par Bob Kane et Bill Finger, fête le justicier noir de Gotham. Si les années 2016 et 2017 ont vu l’opération relayée en France et Urban comics proposer un fascicule original en français à ses meilleurs lecteurs, ce 15 Septembre a marqué une nouvelle date avec la publication d’un comics cartonné collector, offert pour l’achat de deux titres du catalogue « Batman ».

Un beau petit livre de 46 pages (introduction et biographies comprises) reprenant le premier des deux récits du tire homonyme couleur paru le 07 septembre, mais ici magnifiquement rendu dans un noir et blanc précieux par Lee Weeks et Michael Lark. Le scénario original et très sérieux (mais non dénué d’humour) de Tom King, met en scène la belle Selena Kyle (Catwoman) et notre chevalier noir, dans un « What If » étonnant. « À la vie à la mort » propose en effet de raconter ce qu’il se serait passé si…Batman avait épousé Catwoman il y a longtemps. Un épisode nous montrant un Bruce Wayne à l’orée de sa vie, émouvant à bien des égards…

Comme précise l’éditeur : « Cet album est le premier rendez-vous d’une collection consacrée au Batman Day qui proposera chaque année la version collector en noir et blanc d’une aventure de Batman. » À vos comic-shops !

« Sheriff of Babylon » par Tom King et Mitch Gerads
Éditions Urban comics (28 €) – ISBN : 9791026815297

« Batman : à la vie à la mort » (noir et blanc) par Tom King, Lee Weeks et Michael Lark
Éditions Urban comics (offert dans le cadre de l’opération Batman Day 2018) – ISBN : 9791026815358

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3 réponses à « Sheriff of Babylon » par Tom King et Mitch Gerads

  1. PATYDOC dit :

    Frank, le récit se situe en 2004 et non en en 2003 : à croire que tu n’as pas lu le livre, comme ça semble être le cas de l’éditeur, qui lui-aussi cite 2003 en quatrième de couv » ?

    • FranckG dit :

      C’est ma foi vrai. J’ai beugué sur ce coup là. Comme quoi la relecture des visiteurs du site est importante. Merci de cette remarque qui m’a permis de corriger mon introduction. Cela dit, l’arrestation de Saddam Hussein étant intervenue en décembre 2003 et la guerre ayant officiellement débutée en mars de la même année, cela explique tout de même la présence de cette erreur, au quatrième du livre, et ma reprise idiote, par paresse (car février 2004 apparait bien sur les première cases). On n’est pas dans la rubrique « Pinailleur » de feu la revue papier Bodoi, mais vous avez gagné la coupe, bravo ! ;-)

      • PATYDOC dit :

        Pardon si j’ai paru un peu moqueur j’ai la plume parfois trop acide.. En revanche, honte à l’éditeur ! (j’ai relevé des erreurs du même genre chez Glénat, récemment )

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