Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Joe Shuster : un rêve américain » par Julian Voloj et Thomas Campi
À l’occasion de l’anniversaire de la création de Superman, le label Urban Graphic d’Urban comics s’enrichit d’un nouveau beau livre : biographie graphique du dessinateur original du super-héros kryptonien. Une mise en abime magnifiquement rendue, passionnante et émouvante.
En 1974, un sexagénaire semblant sans abri est réveillé de sa sieste par un agent de police sur un banc d’un parc du Queens à New York. L’agent amène le vieil homme dans un diner et lui offre une soupe, à sa demande. « Que faites-vous dans la vie ? », demande l’agent. « J’étais dessinateur, répond l’ancien… dessinateur de Superman ! » Commence alors le récit de sa vie…Joe Shuster est né à Toronto, Canada, en 1914, de parents émigrés russes.
Si son nom signifie cordonnier en yiddish, son père était tailleur. Passionné par la lecture des strips de funnies dans les journaux, dont son père lui fait la lecture le soir, il développe une gourmandise pour tout ce qui est dessin et cinéma. À l’âge de dix ans, une opportunité de travail familiale emmène toute la famille à Cleveland, dans l’Ohio. C’est là qu’il va connaitre sa première publication dans le journal du collège Alexander Hamilton. À la suite d’un nouveau déménagement, il incorpore le collège de Glenville où il va faire la connaissance du conscrit Jerry Siegel, passionné de littérature pulps et à la pugnacité redoutable. Ce dernier va mener son nouvel ami et associé dans un processus créatif effréné car il a l’intuition que quelque chose peut être inventé, qui lierait la magie des pulps et le principe du syndicate, consistant à vendre une création pour être publié dans un maximum de journaux.Si Jerry arrive à publier quelques récits dans certaines revues, comme « The Reign of the Super-man » dans Science Fiction, revue ronéotypée de collège, prémices sans doute d’un personnage qui deviendrait célèbre plus tard dans le monde entier, leurs premiers essais de vrais bandes dessinées, dans Popular Comics par exemple ou le Cleveland Shopping News ne leur amènent pas l’ombre d’un emploi stable. Pourtant en 1933, Jerry a l’idée d’une réadaptation de son héros de science-fiction : celui-ci viendrait d’une terre en perdition dans le futur et atterrirait avec son vaisseau à notre époque : un Superman justicier, aux pouvoirs scientifiques. Mais la revue Detective Dan, intéressée, ne sort jamais de deuxième numéro. En 1934 cependant, durant l’été, alors que tous deux sortent diplômés de l’université de Glenville, Jerry est enthousiaste, une nouvelle revue : Fun Comics, vient en effet d’être lancée par le Major , un écrivain, ancien militaire renommé de cavalerie, qui vient de Fonder National Allied Publications. Exactement le genre de revue que souhaitait Jerry. Or celle-ci cherche justement de nouveaux contenus. « Henri Duval » et « Doctor Occulte » font partie des premiers récits fournis par nos deux créateurs. Les paiements tardent cependant à tomber, obligeant les auteurs à chercher d’autres contrats ailleurs. L’année 1936 est passée à essayer de signer des contrats avec les syndicates, sans succès. Et puis, un jour de l’été 1937, Sheldon Mayer, travaillant pour le Major mais aussi adjoint de Maxwell Charles Gaines chez MC Clure Syndicate, se montre intéressé par les essais de « Superman ». Il se trouve que Gaines a lancé en 1933 le premier fascicule agrafé en papier journal et en couleurs, jetant les bases de ce qu’allait devenir les comics books. Malgré l’incrédulité de la plupart des autres personnes impliquées, le projet est cependant retenu pour paraître en seize pages dans le premier numéro de la nouvelle revue Action Comics. Un contrat de 130 dollars stipulant que les droits intégraux de la création appartiennent à la société en échange de sa syndication, est signé, ce que souhaitaient au départ les auteurs. Cela s’avèrera être néanmoins leur plus grosse erreur…« Joe Shuster » se sert du fait divers arrivé au dessinateur déchu de Superman, en 1974, pour introduire et raconter cette histoire extraordinaire, qui, si elle permit à l’Amérique de connaître l’une des plus incroyables aventure d’entertainment jamais écrite, mit surtout en évidence le drame de société inimaginable, dont Joe et son ami Jerry Siegel furent victimes, spoliés durant quarante années de leur paternité sur le personnage mythique, ne touchant pas un centime sur les revenus énormes générés. L’achèvement de cette affaire ne survenant qu’au milieu des années soixante-dix, alors que le premier film de cinéma d’ampleur sur le personnage, produit par Warner Bros, allait marquer les écrans. Fatigué et handicapé, Joe dut son dernier sursaut à son ami, qui, décidé à gagner son combat, déclencha un buzz monstrueux en envoyant, début 1975, un millier de lettres à une ribambelle de professionnels, jetant une malédiction sur le film et expliquant pourquoi. Lettre déclenchant une vague de soutiens et le début d’un procès réparateur permettant aux deux auteurs de finir un peu plus sereinement leur vie. Ce courrier est reproduit ici. Néanmoins, si le récit s’arrête ici, leur fin de vie à tout deux, en 1992 pour Joe Shuster et 1996 pour Jerry Siegel, fut loin d’être heureuse.
Julian Voloj est un auteur et photographe né en Allemagne dont le reportage dessiné « Ghetto Brothers », sur des bandes rivales du Bronx, a fait forte impression en 2015 aux États-Unis (publié en 2014 en France chez Steinkis). Il se spécialise dans les sujets de société et aime à parler de son héritage culturel. C’est sans aucun doute ce qui l’a amené à s’emparer de cette histoire magnifique, écrite par Shuster lui même en 1975, déjà connue mais magnifiée ici grâce au procédé narratif de la bande dessinée et au superbe travail d’aquarelle réalisé par l’artiste italien Thomas Campi. Ce dernier est davantage connu pour ses BD publiées ces dernières années au Lombard ou chez Dupuis. Son style habituellement très marqué avec des couleurs chaudes et un trait pouvant rappeler celui de Gipi ou de Nicolas de Crécy, bien que présent en introduction et en conclusion, est cependant magnifié au long de ce roman graphique par l’utilisation inhabituelle de l’aquarelle.Une mise en page très aérée, rendant la lecture et l’immersion particulièrement agréables, dans ce récit convoquant nombre de repères, à la fois historiques, culturels et populaires et mettant particulièrement en lumière l’industrie naissante des comic books. Un régal, dont on avait déjà pu ressentir la jouissance à la lecture du superbe « McCay » (Thierry Smolderen et Jean-Philippe Bramanti, Delcourt 2000-2006), qui apportera énormément de plaisir à tous les amateurs de bande dessinée et de l’histoire des comics.
Une seule envie après cette lecture : découvrir encore davantage « Superman ». Cela tombe bien, Urban comics ayant tout ce qu’il faut dans son catalogue.
Franck Guigue
À voir, quelques pages de la revue science-fiction :
https://www.hakes.com/Auction/ItemDetail/47220/SUPERMAN-CREATORS-JERRY-SIEGEL-JOE-SHUSTER-SCIENCE-FICTION-FANZINE
À noter aussi qu’à l’occasion des 80 ans de Superman, un numéro 1000 spécial a été édité aux États-Unis, reprenant entra autre le fameux Action Comics #1. Celui-ci contient une histoire inédite de Joe Shuster et Jerry Siegel. Il a fait l’objet en avril d’une version « Deluxe » (à lire en détail sur Hitek).
« Joe Shuster : un rêve américain » par Julian Voloj et Thomas Campi
Éditions Urban comics (17,50 €) – ISBN : 9782365778428