Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Le Cimetière des innocents T1 : Oriane et l’ordre des morts » par Xavier Fourquemin et Philippe Charlot
Fraîchement arrivé à Paris, le jeune protestant Jonas tente d’y retrouver la bague de son père, disparu lors du massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572) et enterré au Cimetière des innocents. Il y rencontre Oriane, une jeune femme habillée en homme, volontiers dénonciatrice des superstitions et de la moralité ambiante. Dans cet univers soumis aux interdits religieux et au sévère contrôle de la ligue catholique, et alors que de sombres agissements se déroulent la nuit, la quête de nos héros dérange les autorités…
Après 8 tomes du « Train des orphelins » (voir nos articles concernant les deux premiers volumes), le scénariste Philippe Charlot et son complice Xavier Fourquemin (« Miss Endicott » ; « Communardes T3 ») changent d’époque pour aborder la thématique morbide des charniers parisiens. Dans ce récit prévu en deux tomes, l’histoire réelle se teinte de fantastique : le fait que le père d’Oriane soit un alchimiste ayant peut-être découvert la pierre philosophale n’est pas étranger à ce canevas qui laisse la part belle au mystère.
Dans le Paris du XVIe siècle soumis à la foi, des Recluses se font volontairement enfermer entre quatre murs et survivent grâce aux donations alimentaires des bonnes ouailles. D’autres, considérées comme hérétiques ou parjures, sont emmurées de force : on devinera déjà le cruel destin réservé à l’un des personnages de ce premier opus, dont le titre renvoie aussi à l’église des Saints-Innocents. Cet édifice, comme le cimetière attenant, était dédié aux enfants de Judée, jadis massacrés sur l’ordre du roi Hérode suite à l’annonce de la naissance de Jésus. Depuis l’époque mérovingienne et plus encore avec la grande peste de 1348, les lieux accueillent les corps des défunts issus des 22 paroisses environnantes : alors que les plus riches bénéficient de cercueil en bois, les pauvres sont d’abord destinés aux fosses communes (1 500 corps superposés). Leurs ossements sont ensuite retirés pour être placés dans des charniers construits aux XIVe et XVe siècles tout autour du cimetière, au-dessus d’arcades, entre la voûte et la toiture : détails sinistres que la couverture du présent album se charge de nous remémorer ! Suite à divers effondrements, le cimetière et l’église seront vidés et rasés en 1786, au profit des catacombes et de lieux extérieurs. Une réalité aux frontières des deux mondes – ceux des vivants et des morts – apte à capter tout le sel de la fiction et du surnaturel…
Pour Philippe Charlot, la genèse de cet ouvrage s’explique tout d’abord « par les envies de Xavier de changer de lieu (après huit tomes passés dans le Middle West américain du « Train des Orphelins »), voire d’époque… Ce tout en évitant la période moderne. Xavier Fourquemin déteste ces engins de malheur que sont les voitures (à moteur) et autres avions, surtout s’ils sont à réaction… Celle de notre dessinateur pouvant être assez violente si vous en glissez un dans votre scénario (je n’ai jamais osé) ! »
« De mon côté, poursuit Philippe Charlot, j’avais l’envie d’une histoire qui prendrait place dans le « Cimetière des innocents » et en parallèle l’idée de parler des recluses (que je trouve fascinantes). Jusqu’à ce que les deux matchent le jour où j’ai appris que de pauvres créatures avaient été emmurées dans le fameux cimetière. En construisant l’histoire, je me suis vite retrouvé confronté à la problématique religieuse qui accompagne l’enfermement de ces recluses catholiques. Un amoureux transi désespéré, fasciné par la jeune femme, était indispensable… Un protestant serait parfait. Nous voici à l’époque des guerres de religion, à Paris donc ; le massacre de la Saint-Barthélemy s’impose. La difficile accession d’Henri IV (je vis à Pau, à deux pas de son château natal) qui assiège la ville, contraint tous les personnages dans ce formidable théâtre qu’était la capitale à la fin du XVIe siècle. Ajoutez un pouvoir à l’héroïne (car une héroïne se doit d’en avoir un, et dans l’absolu en relation avec sa pire faiblesse, ici l’alchimie et son père mal aimant) et cela nous permettra de se questionner sur l’au-delà et d’illustrer avec légèreté le conflit philosophique entre catholiques et protestants, purgatoire et paradis…Vous obtenez le « Cimetière des innocents », ou quelque chose d’approchant, si vous y ajouter des personnages pittoresques et intrigants. »
Pour l’élaboration de la couverture, Xavier Fourquemin explique à son tour : « En général, pour le travail sur l’illustration de couverture, je commence toujours par des petits croquis rapides que j’envoie à l’éditeur et au scénariste. En fonction de leurs remarques, j’affine le dessin et je leur propose un ou deux croquis plus poussés que je peux encore modifier en fonction des avis des uns et des autres. Ici, je suis parti sur l’idée, très classique pour un premier tome, de montrer le personnage principal (Oriane) au premier plan ainsi que les personnages secondaires (Jonas et un lansquenet allemand) en arrière-plan. Et comme je suis quelqu’un qui aime les choses simples, et que l’album s’appelle « Le Cimetière des innocents », je voulais montrer également ledit cimetière. J’ai ainsi proposé à l’éditeur des croquis de scènes extérieures où l’on retrouve, en arrière-plan, l’architecture particulière du lieu. Avec une préférence pour celui où Oriane est en mouvement. Puis un ou deux croquis d’intérieur où l’on retrouve les deux personnages principaux au milieu d’un charnier. Dans ceux-là , ils sont sur le même plan, mais c’est Oriane qui reste devant. Je voulais que l’on comprenne que c’est elle qui domine la situation. L’éditeur à opté pour la deuxième solution, préférant voir les deux personnages en arrière-plan pour laisser plus de place aux squelettes et créer une ambiance un peu plus « angoissante » ».
Une ambiance que l’on prendra malgré tout plaisir à suivre dans le second volume à paraître.
Philippe TOMBLAINE
« Le Cimetière des innocents T1 : Oriane et l’ordre des morts » par Xavier Fourquemin et Philippe Charlot
Éditions Bamboo (14,90 €) – ISBN : 978-2-81894-382-3