Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« Jolies Ténèbres » par Kerascoët et Fabien Vehlmann
Huit ans après sa première édition, « Jolies Ténèbres » nous revient, sous une nouvelle couverture. Ce récit cruel et inclassable trouve naturellement sa place au sein de la prestigieuse collection Aire libre des éditions Dupuis. Fable noire, conte décalé troublant, la bande dessinée étonnera et ravira de nouveau un vaste lectorat dès l’âge du collège.
Aurore est une jeune fille charmante. Elle flirte gentiment avec Hector, son chevalier servant plein de tact. Pour le goûter, ils dégustent une tasse de chocolat accompagnée d’une tranche de cake, dans un salon cosy. Quand ils sont sur le point de s’embrasser, une chose molle et rose tombe dans la tasse d’Hector ! Décontenancés, ils se rassoient mais, très vite, c’est l’ensemble d’un plafond visqueux qui leur tombe dessus. Menacée d’être engloutie, Aurore trouve une échappatoire, sort de ce piège étouffant et, une fois à l’air libre, dégringole sur un sol humide : elle vient de sortir de la tête du cadavre d’une petite fille, abandonnée dans une clairière !
Elle n’est pas la seule, déboussolée, hagarde, dans la nuit froide, entre un corps sans vie et un cartable qui a perdu toute utilité ; c’est tout un petit peuple qui erre sans but dans un environnement hostile : des êtres de quelques centimètres, qui forment une société incohérente, sans règles ni but, si ce n’est de survivre jour après jour. Il leur faut se nourrir mais aussi se défendre contre des animaux voraces, oiseaux, souris, crapauds… Cette humanité à taille d’insecte est marquée par la brutalité des rapports entre ses membres, incapables de compassion ou d’empathie, mis à part Aurore.
Cette aventure extravagante et dérangeante pour le lecteur ne fait que commencer pour Aurore. Au fil des saisons, à côté d’un corps qui se décompose, elle est confrontée aux trahisons de ses amis, à la jalousie des autres filles et surtout à l’indifférence crasse qui semble être généralisée dans la petite communauté. Petit à petit, des individus disparaissent de façon plus ou moins absurde : dévorés par un animal, empoisonnés par une plante vénéneuse ou victimes d’un camarade… Aurore, elle-même, perd son innocence pour survivre, et finira par se réfugier chez un humain, dans une maison isolée en lisière de la forêt.
Autant vous prévenir de suite, vous ne trouverez dans ce beau récit aucune des réponses aux nombreuses questions qu’il soulève : – Est-ce que la jeune fille dont le corps se décompose a été assassinée ? – Qui sont ces êtres qui sortent de son corps ; des elfes, des esprits ? – Comment vivaient-ils dans le corps ? – Sont-ils visibles par les hommes ?, … Le lecteur se laisse emporter, à la suite d’Aurore, dans une suite d’événements souvent imprévisibles, toujours dérangeants et fascinants.
Lors de sa première parution en mars 2009, Gilles Ratier évoquait ainsi sur notre site les qualités de cet album vraiment inclassable : « (…) Mais très vite, ce côté empreint de joliesse et de merveilleux disparaît pour laisser place à l’horreur et à une perversité extrême, dès que le lecteur repère le corps sans vie d’une fillette gisant dans la forêt, son cartable béant à côté d’elle. Il en émerge une communauté de rescapés miniatures qui s’organise pour survivre dans ce monde hostile, tout en gravitant autour du cadavre bientôt en putréfaction… Même si les auteurs n’expliquent rien, ils parviennent néanmoins à nous faire ressentir une gigantesque palette de sentiments : les véritables natures et les penchants les plus noirs de leurs petits personnages se révélant au grand jour dans les moments les plus difficiles : édifiant ! ».
A la lecture de « Jolies Ténèbres », – quel bel oxymore ! -, on pense au climat de violence entre enfants innocents qui règne dans le roman de William Golding « Sa Majesté des mouches », le fantastique et surtout la superbe mise en images du duo de Kerascoët (Marie Pommepuy et Sébastien Cosset), en plus.
C’est Marie Pommepuy qui a eu l’idée de départ ; un corps d’enfant mort et de petits êtres qui en sortent. Elle voulait aborder le conte pour enfant d’une manière différente, moins souriante et béate que dans les histoires habituelles. Elle a confié la construction du récit à Fabien Vehlmann qui y a développé des thématiques qui le travaillent comme celle du groupe d’enfant confronté à la violence (comme dans sa série « Seuls ») ou la morbidité liée à l’enfance. Le duo de dessinateurs s’est ensuite approprié son scénario en variant leurs styles : réaliste pour les séquences avec des hommes ou dans une nature bucolique et plus simple, plus caricatural, dans les séquences avec les êtres lilliputiens.
Ce conte décalé qui navigue entre innocence et macabre, entre cruauté et monde onirique, entre joliesse et ténèbres (!), ne peut pas laisser indifférent. Sa (re)lecture est une expérience qui désarçonne le lecteur le plus blasé, c’est pour cela que nous vous la conseillons.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Jolies Ténèbres » par Kerascoët et Fabien Vehlmann
Éditions Dupuis, collection Aire libre (24,00 €) – ISBN : 978-2-8001-7458-7