Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Balthazar au pays blême » par Mathilde Domecq et François Corteggiani
Les vastes territoires enneigés de la sainte Russie d’avant les révolutions de 1917 sont des espaces appropriés aux contes fantastiques, aux poursuites à rebondissements et à des luttes entre magiciens et sorcières ; entre Raspoutine et la Baba Yaga. Le tout jeune Balthazar est le personnage central d’un récit initiatique diablement envoutant et intemporel, car au cœur de plusieurs contes populaires slaves.
Bien lui en prend. À peine met-il les pieds en dehors de l’établissement, tenu d’une main de fer par le père Gorki, que la garde sombre du terrible Raspoutine en prend possession. Soldats et loups aux yeux verts terrifient surveillants et jeunes orphelins. Dobromir se fait passer pour son ami mais, parvenu dans l’antre de Raspoutine et transformé en souris, il est forcé d’avouer la vérité. Le sorcier envoie alors trois de ses animaux fétiches, tous aux yeux glauques, à la poursuite du garçon de 10 ans : un rat, un corbeau et un chien. Ils ont tôt fait de renifler sa piste et d’en indiquer la trace au commandant de la garde sombre.
Commence alors une poursuite surprenante de rebondissements insensés, avec l’intrusion de personnages de contes populaires slaves tels la sorcière Baba Yaga, gardienne du royaume des morts mais aussi maîtresse de la forêt et des bêtes sauvages, ou le démon Tchoudo Youdo qui endort les voyageurs en leur racontant des histoires pour pouvoir les tuer et les manger, et bien d’autres encore ; d’un ours mal léché à une grenouille victime d’une malédiction et d’une roussalka trop naïve au terrible ogre immortel Kochtchei.
Les éditions Casterman ont choyé l’écrin de ce superbe album de 120 pages : belle couverture inspirée des tableaux de Bilibine, un prologue de cinq planches sur papier glacé des recherches de personnages de la dessinatrice, des chapitres annoncés par des dessins en noir et blanc dans le style des gravures du XIXe siècle et, en guise d’introduction, après une citation de Gaston Bachelard : « C’était l’heure du mystère et de la fête un peu grave », un texte enlevé du scénariste et conteur Pierre Dubois.
Ce conte initiatique, foisonnant et haletant, qui provoque la rencontre de multiples personnages de contes populaires russes est l’œuvre d’un François Corteggiani au sommet de sa forme. Sans temps mort, de multiples surprises narratives décrivent la quête d’un jeune garçon qui apprendra, lors de son périple dans le Pays Blême son identité en faisant preuve de courage et de tolérance. Les valeurs de l’amitié et de la foi en la parole donnée, ainsi que la force protectrice de la nature, sont aussi mises en valeur.
Mathilde Domecq dynamise ce récit très référencé avec son habituel trait rond et coloré. Son dessin est cette fois davantage tenu, marqué par l’influence des grands maîtres qu’elle salue fraternellement dans son propos liminaire : le peintre russe Ivan Bilibine, le graphiste au style disneyen Fabien Mense, l’affichiste tchèque Alfons Mucha et les bédéistes Akira Toriyama et Bastien Vivès.
Nous vous conseillons vivement la lecture de ce maître album, qui fascinera les jeunes lecteurs et plongera les plus anciens dans la nostalgie du temps où ils s’effrayaient en écoutant les contes de leur enfance comme « Pierre et le loup ». Nous faisons notre la morale de l’album : « Conter, c’est vite fait, agir, c’est bien autre chose… »
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Balthazar au pays blême » par Mathilde Domecq et François CorteggianiÂ
Éditions Casterman (18,00 €) – ISBN : 978-2-203-09439-0