Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« S.O.S. bonheur saison 2 » T1 par Griffo et Stephen Desberg
Publié au sein de la nouvelle collection Aire libre en 1988, le premier tome de « S.O.S. bonheur » décrivait au travers de plusieurs fables dystopiques le noir quotidien d’une poignée de personnages, entrés en rébellion contre un système social fasciste, absurde et déshumanisé. Presque trente ans plus tard, Stephen Desberg relance avec Griffo l’œuvre pessimiste initiée par Jean Van Hamme : nos craintes ont-elles vraiment changé, dans un monde régi par les pensées extrémistes et réactionnaires, un univers dominé par l’argent, la figure du mâle ou la préférence nationale ?
Outre ses incontestables best sellers (« Thorgal » « XIII », « Largo Winch », « Les Maîtres de l’orge »…), Jean Van Hamme n’a pas démérité avec la création de « S.O.S. bonheur », une série courte souvent évoquée parmi les meilleures du genre. Initialement destinés – dès 1980 – à une série télévisuelle, les scénarios de l’auteur seront finalement réadaptés, dessinés par Griffo (« Giacomo C. », « Golden Dogs ») et prépubliés dans l’hebdomadaire Spirou entre le 8 novembre 1984 (n° 2430) et le 2 septembre 1986 (n° 2525). Dupuis les éditera entre 1988 et 1989 sous la forme d’un triptyque (sobrement titré « S.O.S. bonheur » T1, 2, 3) avant de les rééditer en une intégrale épaisse de 172 pages en 2001. Dignes du « 1984 » d’Orwell, les chroniques d’anticipation de Van Hamme dénonçaient les grands maux persistants de notre société : trou de la sécurité sociale, pollution, inégalités, surpopulation, angoisse sécuritaire, congestion urbaine, folie administrative, froideur des rapports humains… et accès à la culture. Solutionnés en apparence par le gouvernement, ces problèmes ont façonné des habitants contrôlés, désindividualisés et policés. Là où « La liberté est devenue une forme d’hérésie », suivant la trame identique de chacun des récits, l’individu, prenant conscience de l’absurdité de son environnement, se rebellera à bon escient mais sera inévitablement broyé par les rouages du système. Dans le troisième tome initial, un dernier acte unique de 54 planches tissait les liens entre les divers protagonistes précédents, achevant de porter haut la réflexion sur les limites entre liberté individuelle et vie collective.
En 2017, le canevas développé par Stephen Desberg pour cette deuxième saison rejoint des thématiques sous-jacentes de certains tomes précédemment scénarisés par l’auteur, de « Empire USA » (2008 à 2015) à « Golden Dogs » (depuis 2014) en passant par « 421 » (depuis 1983), « Black Op » (2005 à 2014) ou « Le Rédempteur » (depuis 2015). L’auteur revient ici en exclusivité sur la genèse et les intentions de cette relance : « Depuis quelques années, Griffo et moi échangeons régulièrement, notamment autour de « Sherman » ou de « Golden Dogs ». À intervalles réguliers, Griffo évoquait sa grande frustration concernant l’arrêt de « S.O.S. bonheur », étape jugée très importante pour lui comme pour Jean Van Hamme. Au cours d’un repas, j’ai évoqué le sujet avec ce dernier, tout en proposant l’éventualité d’une suite. Jean fut agréablement étonné, mais continuait de se demander comment on pouvait raisonnablement rebondir sur le concept initial, trente ans après. De mon côté, cela ne me faisait pas peur de parler d’idées politiques dans une bande dessinée mais je n’avais en revanche jamais abordé le cas de personnages qui n’étaient pas des héros traditionnels. J’ai proposé à Jean trois histoires complètes, ainsi que les résumés des trois autres. L’ensemble a été validé après quelques remarques, mais l’entreprise a sans doute été facilitée par le fait qu’il ne s’agissait pas d’une reprise de personnages aussi célèbres que XIII ou Largo Winch ! »
S. Desberg : « Griffo a un peu cherché ces nouveaux personnages mais cela ne lui a pas vraiment posé problème. Avec « Giacomo C. » [interrompu depuis 2005 et relancé en octobre 2017, toujours en compagnie de Jean Dufaux], la reprise de « S.O.S. Bonheur » était primordiale pour lui, à tel point du reste que ces réalisations ont mis en stand-by un nouveau projet que nous avions chez Glénat… Cette seconde saison fut d’abord présentée chez Dupuis de manière identique à la première, à savoir deux tomes composés de trois histoires courtes et un dernier rassemblant les trames. Il fut finalement décidé de regrouper les deux premiers albums en un seul d’environ cent pages, ensemble qui sera suivi d’un tome 2. Inévitablement, outre des thèmes portés par l’actualité, j’ai basé mes récits sur une société contemporaine qui veut faire peur en opposant des normes de bonheur. On y retrouve une certaine banalité du racisme, des extrêmes et des intolérances. J’ai potassé le bouquin polémique d’Éric Zemmour [« Le Suicide français », paru en 2014] pour envisager le monde de demain à sa manière : pour le bien de tout le monde, le bonheur appliqué à tous mettrait l’intérêt de la société au sommet, et celui de l’individu tout en bas. Selon Zemmour, les choses ont dérivé depuis 1968 puisque l’individu s’est d’abord soucié de lui-même. »
S. Desberg : « Je pense que la politique-fiction de « S.O.S. bonheur » possède en soi un futurisme suffisamment représentatif, ni trop éloigné ni trop proche de notre monde actuel : avec Griffo, nous n’avons nullement besoin de montrer des voitures volantes ni de plonger dans la science-fiction pure et dure. Dans l’actualité française, la tentation des extrêmes semble s’être un peu éloignée depuis les dernières élections, mais le sujet est parfois plus effrayant dans d’autres pays européens ; je l’ai observé récemment en Pologne lors d’un Salon, et ces tentations extrémistes sont aussi présentes en Hongrie par exemple. Le seul grand débat actuel me semble pourtant être la question du pouvoir d’achat : si la croissance était négative ou le chômage plus important, la démocratie serait peut être de nouveau en danger, comme par le passé. C’est la matière centrale évoquée dans « S.O.S. Bonheur », certes moins spectaculaire qu’une guerre ouverte, une quelconque apocalypse ou une humanité confrontée aux robots … »
Un mot enfin sur la couverture par Griffo, complété de visuels inédits : « L’idée de la première version de la couverture (la fille musulmane) était basée sur … la première couverture de la première saison (la fille armée d’un marteau) ! Mais il manquait une certaine tension, qui impliquait les autres personnages. Cela m’a donné l’idée de montrer la porte d’entrée du ghetto avec quelques protagonistes de l’histoire… Dont la fille musulmane, qui est entourée de ces silhouettes qui se regardent mais ne se communiquent pas. J’ai essayé de créer une tension et une atmosphère paranoïaque, ce qui représente le contenu dystopique de la série. »
Entre morale, philosophie et politique, « S.O.S. bonheur » ébranle effectivement à chaque planche la conception du régime de l’état-providence : un mécanisme que l’histoire n’a finalement de cesse de répéter sans fin…
Philippe TOMBLAINE
« S.O.S. bonheur saison 2 » T1 par Griffo et Stephen Desberg
Éditions Dupuis (20,50 €) – ISBN : 978-2800167268