« Dernière Heure » T1 par Yû

La dessinatrice du manga « Les Enfants loups » change totalement de registre, tout en gardant son trait enjoué. Elle est aux commandes d’un titre pessimiste où la violence de la guerre, qui n’est pourtant jamais réellement montrée dans ce premier volume, pourrit littéralement l’ambiance. Cette série courte, en quatre tomes, nous entraîne dans la noirceur d’un conflit en se focalisant sur ce qui compte réellement : les rapports humains.

Passé de peuple guerrier et sanguinaire à un peuple pacifique par la force des choses après la défaite de 1945, le Japon véhicule pourtant une image romanesque de la guerre a travers ses produits culturels. On ne compte plus les mangas faisant l’apologie du combat, de la victoire sur son adversaire : qu’il soit unique ou en groupe. Si les armes contemporaines ont souvent été remplacées par des robots géants, les balles de métal ont juste laissé leur place aux faisceaux laser tout aussi meurtriers. De plus, la peur de l’étranger est toujours là, même s’il vient souvent de l’espace et cherche avant tout à nous conquérir ; mais l’image est là : le symbole et la violence sont bien présents.

La vie est dure à la campagne sur cette île pourtant bien paisible, éloignée des considérations guerrières du continent. Comme chaque matin, Saku Futami va au collège. Il rentre en troisième année. Rien n’a pourtant changé, il vit la même routine quotidienne, rencontre les mêmes camarades, mais son quotidien va être chamboulé, car dés cette année certains jeunes vont être mobilisés, à la suite de l’invasion de Shikoku. Sauf notre héros, exempté pour une raison inconnue. De la guerre, il ne connaît rien, il sait juste que le Japon se bat depuis 5 ans contre une puissance qui a envahi l’île principale. Son plus proche contact avec la réalité absurde du conflit, c’est avec l’arrivée de Shinokawa qu’il l’a côtoyé. Cette jeune fille froide a débarqué du continent à cause du bombardement de son collège à Tokyo. Pourtant, elle l’annonce immédiatement « Je déteste la campagne ! » Elle ne va rien faire pour réellement s’intégrer, sauf que le jour où elle va être appelée, ses camarades se rendent compte qu’elle risque de ne jamais revenir. Immédiatement, ils vont se montrer très prévenants malgré le mauvais caractère de leur amie.

Ce manga est le premier titre vraiment personnel de Yû. Cette œuvre originale se sert des clichés habituellement véhiculés par les mangas et les animés ; comme quoi, les adolescents sont la force de demain et sont forcément invincible. On ne compte plus les titres ou le pilote du robot doit absolument être dans la fleur de l’âge, où les capacités sportives et l’impulsivité d’un jeune homme surpassent la force tranquille des aïeux. Mais ces créations ont pour excuse qu’elles se veulent le reflet de leur public.

Bien évidemment, la douceur du trait de Yû, avec ses personnages tout en rondeur, contraste avec la dureté d’une guerre que ces enfants n’ont pas choisie. La couverture en ce sens n’est pas trompeuse. Sur des couleurs pastel, elle met en avant une mitraillette bien noire qui tranche franchement avec le reste de la composition pâle, sans être totalement lumineuse. Les couleurs sont froides avec une dominante de bleu, mais l’arrière-plan, là où se déroule le combat, est timidement rehaussé d’une pointe de rouge. Même si le personnage semble détaché de ce conflit, le lecteur comprend bien qu’elle est obligée de vivre avec.

Les quatre couvertures à l'aquarelle de l'édition japonaise de « Dernière heure »

Encore une fois, Akata a déniché un titre ou le sujet sous-jacent est matière à de nombreuses réflexions philosophiques sur notre monde et la manière dont nous le construisons. Ce manga, bien que traitant de la guerre, traite avant tout des rapports humains, de notre attitude face à la mort, face à l’autre, face à l’inconnu. Au détachement par rapport aux événements qui ne nous touchent pas directement, de notre implication dans la (sur)vie des plus jeunes. À l’instant de « Dead Dead Demon’s Dededededestruction » d’Inio Asano qui nous dépeint un monde envahi par un ennemi extraterrestre où les jeunes vivent en toute insouciance, Yû a pris le pari de replacer dans un quotidien proche un vrai conflit armé tel que nos grands-parents l’ont peut-être connu. Si le monde vivait dans une paie toute relative depuis 50 ans, cela pourrait bien changer et ce manga est là pour nous rappeler la dure réalité de la guerre et des malheurs qu’elle peut engendrer.

Et pour conclure, les éditions Akata n’oublient pas de nous rappeler que ce manga est recommandé par deux pointures du manga, Inio Asano que je viens d’évoquer, mais également Shin Takahashi, l’auteur de « Larme ultime » : un autre manga dans la même veine. Si vous êtes fans de l’une ou de l’autre de ces œuvres, vous ne pouvez pas passer à côté de « Dernière Heure ».

Gwenaël JACQUET

« Dernière Heure » T1 par Yû
Éditions Akata (7,95 €) – ISBN : 236-9-742054

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