Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Entretien avec Pixel Vengeur pour « Le Nécrodominicon »…
Voici un titre de couverture qui en impose : « Pixel Vengeur présente une aventure de Dominique, le petit Tapir des Sundarbans dans Nécrodominicon, très vaguement inspiré de Howard Phillips Lovecraft & Abdul Al-Hazred (l’Arabe dément) ». En plus d’être imposant, ce titre permet de remplir un paragraphe d’accroche plutôt facilement.
 Dominique est un curieux héros de bande dessinée. Apparu et aussitôt écrasé par un char allemand dans « Le Fantôme en tergal contre la légion damnée du IVe Reich », ce pauvre petit tapir attire d’emblée la sympathie du public en seulement trois cases d’existence. Son auteur, Pixel Vengeur, en réaction à de nombreuses demandes de son public décide, alors, de raconter la vie de Dominique dans « Le Petit Livre noir en couleur de Dominique ». Sans chameau ni diligence, il parcourt le monde à pied. Tibet ou Afghanistan dans la sainte pauvreté, Dominique (nique, nique de temps en temps) s’en va tout simplement. Routier, pauvre et chantant en tous chemins, en tous lieux, il ne parle que de l’état de notre monde. Et pis, y meurt.
 Depuis cet album, Dominique va mieux. Pixel Vengeur vient de lui consacrer un nouvel opus que l’on nommera sobrement « Le Nécrodominicon » sinon on n’a pas fini. Cette fois-ci, point de fine analyse de l’état politico-économique de notre monde, fi de la critique à la course financière ultralibérale cause de nombreux soucis pour l’humanité, plus aucune tentative d’explication des mouvances extrémistes. Pixel Vengeur nous offre, ainsi qu’à son tapir préféré, une bonne vielle aventure classique avec beaucoup de nazis (comme méchants, on ne fait pas mieux). Un peu de Russes et d’Américains pour un petit côté guerre froide, voire franchement glacée, car l’histoire se passe en Antarctique, et surtout Pixel Vengeur y mêle un univers qui lui tient particulièrement à cœur : celui de Howard Phillips Lovecraft.
 En sachant pertinemment que la dimension des Grands Anciens ne doit jamais être approchée sous peine d’anéantissement total de la notion même de vie, Pixel Vengeur laisse son héros maladroit et sujet aux gaz vagabonder dans ce macrocosme maudit. Au royaume de l’innommable et du chaos, Dominique retrouve son ami Oussama qui l’aidera finalement (mais pour combien de temps) à empêcher l’écrabouillage de notre plan d’existence.
 Mixant l’imagerie de Lovecraft avec son propre univers, Pixel Vengeur est avec « Le Nécrodominicon » à cheval entre deux mondes. Il y a celui de la rigueur et de la rectitude avec son dessin propre, ses traits ronds et celui de l’imprévisible avec un scénario singulier, nonsensique et surtout très drôle. Et pis, Dominique meurt.
Cher Monsieur Vengeur, « Le Nécrodominicon » nous amène par moment vers des temps immémoriaux. En profiteriez-vous pour nous parler de vos débuts ?
  Dans les années 1980 : parutions sous mon vrai nom de dessins dans Rigolo, de BD dans Viper et Le Petit Psikopat Illustré (nom du Psikopat à l’époque).
  Disparition dans l’univers du jeu vidéo, le monde interactif, puis la musique dans les années 1990 et réapparition en 1999 dans Le Psikopat et Fluide glacial sous le pseudo de Pixel Vengeur.
  En gros, quoi.
À quel moment avez-vous rencontré les écrits de H.P. Lovecraft ?
  Vers 15 ans, l’âge idéal pour ça, et la littérature fantastique dont je suis absolument friand. Depuis, j’ai développé à partir de lui, un cercle toujours grandissant d’auteurs apparentés, issus ou l’ayant influencés et j’ai construit ma culture ainsi. De Edgar Poe à Robert Howard en passant par Bram Stocker, Mary Shelley ou encore Rider Haggard, Robert Bloch, William Hope Hodgson (ce génial auteur trop méconnu), Jean Ray, Conan Doyle, etc., etc. En gros, HPL est à la base de ma connaissance de l’univers pulp que j’affectionne énormément. Je ne lis presque que ça, avec quelques incursions dans la SF, mais très peu en fait.
Il vous est facile de vous glisser dans son univers ?
  Oui et non. Oui, car on peut dire que j’en ai bouffé du Lovecraft. J’en lis plus, j’avoue, mais j’ai donné faut dire, huhuhu… Et non, car justement, l’une des caractéristiques du reclus de Providence est de ne jamais décrire ou montrer concrètement le monstre. Il les décrit, mais très schématiquement en fait, c’est vraiment malin, car l’imagination d’un môme de 15 ans, grâce à ça, carbure à plein tube. Une écriture très XIXe siècle où les héros, confrontés à une peur intense, ont la fâcheuse tendance à s’évanouir.
  En revanche, il peut dérouler des pages et des pages de description de paysage, d’ambiance, d’atmosphère, mais l’horreur n’est jamais décrite parfaitement ; ça vous laisse sur votre faim et vous commencez à fantasmer sévère.
À quel moment avez-vous rencontré les tapirs des Sundarbans ?
  En 2007, dans mon album paru chez Albin Michel BD « Le Fantôme en tergal contre la légion damnée du IVe Reich ». Il apparaît et meurt. Il est le déclic de la colère de sa mère qui résoudra tout l’album ! Bref, sa mort est vitale. Et ça a ému les gens…
  J’ai eu d’étranges réactions de sympathie à son égard ; c’est étonnant, quand on me parlait de cet album, il revenait toujours dans la conversation. Alors je n’ai pas réfléchi longtemps : si je voulais que la planche à billets turbine comme une rotative du NY Times, il fallait répondre à la demande.
  C’est pourquoi aujourd’hui je vis aux Bermudes, sur une île privée.
Dominique s’est fait adopter facilement par Vide Cocagne ?
  Terreur Graphique m’a dit un jour : « propose-moi une histoire pour la collection Alimentation générale chez Vide Cocagne ! » Les contraintes étaient drastiques : « fais ce que tu veux. » J’ai tout de suite pensé à Dominique et « Le Petit Livre noir en couleur de Dominique » était né. Terreur s’est barré et les gars de Vide Cocagne m’ont demandé par la suite un autre album de Dominique. Alors oui, je pense qu’ils l’ont assez vite accepté, enfin je ne sais pas, en fait…
  Tu sais, depuis mon île, compliqué d’avoir des informations concrètes.
Avez-vous une explication quant à la célébrité de Dominique ? Une sorte de culte lui serait même voué vers Lyon ?
  Sa tête de con je pense, je ne vois absolument pas d’autre explication. Mais il n’y a pas qu’à Lyon. D’ailleurs, tu verras à la rentrée, on lui vouera aussi un culte dans LE journal mythique de mon enfance, très fier d’y travailler… Un journal pour les enfants, alors un Dominique pour les enfants (il sera pareil en fait, pétant toujours à tour de fesses, c’est même une demande du rédacteur en chef [véridique], mais ne se faisant tout de même pas abuser le fondement par les animaux de la jungle, faut pas déconner non plus… Quoique, si tu regardes les documentaires sur les animaux, ce ne sont que des histoires de mort et de baise, va y comprendre quelque chose…).
  Mais je ne peux malheureusement pas en dire plus pour l’instant.
 « Black & Mortamère », « Dingo Jack », « Jérôme, fils de Crom », « Dominique », vos personnages parodient la culture populaire. C’est une base nécessaire pour votre travail ?
  Oui, toute la BD que j’aimeuuu, elle vient de là , elle vient du pulp… Enfin, pas en ce qui concerne le duo MTM bien sûr, où la bonne idée de départ était de parasiter des BD archiconnues, pour qu’ils viennent y foutre le dawa. Avec le recul, j’aime toujours ces deux abrutis, même si le langage a un poil vieilli. Mais oui, tout vient de là  : j’aime l’aventure pas prise de tête, l’action et la déconnade…
  Je suis un faiseur de séries B, sans me comparer à lui et à son génie immense, je suis une sorte de Roger Corman de la BD et ça me va bien. C’est toujours très con, avec toujours des interactions entre moi, mes héros et le lecteur. J’ai des fans hardcore et des gens qui ne comprennent absolument rien et qui trouvent ça trop con et potache, tant pis. C’est ainsi, je ne calcule rien et je ne changerai pas. J’ai surtout la chance, depuis plus de 15 ans, de faire EXACTEMENT ce que je veux faire : putain de luxe.
Vos récits dévient souvent. Vous égarez le lecteur, l’interpellez, le surprenez. C’est une façon de nous garder attentifs ?
  Oh non, attentif ? Non. Mes récits sont somme toute assez simples. Mais c’est ma marque fabrique, mon modus operandi, je ne peux pas rester simplement là , assis sur mon cul en tant qu’auteur, extérieur à ce que je raconte, il faut que je m’immisce, que l’interpelle le héros, le maltraite…
  Ensuite, je suis toujours à la recherche de façons originales d’amener un gag, quitte à dérouter un poil le lecteur, d’où parfois des héros qui disparaissent et réapparaissent épisodiquement via des photos (« Le Petit Livre noir »), des fins prématurées (« Splash Gordon ») ou des diversions absurdes (« Le Nécrodominicon »). J’aime aussi faire des clins d’œil à mes potes, car si c’est aussi un prétexte à un gag, pourquoi s’en priver ?
 Potes que vous invitez aussi dans vos histoires comme « Dingo Jack Stories » ainsi que sur « Le Nécrodominicon » ; vous aimez travailler à plusieurs ?
  Je fais ça depuis longtemps, depuis le début, en fait. C’est plus fort que moi, j’aime bien faire venir des gens que j’aime dans mes pages, je ne pourrais expliquer pourquoi, juste mélanger nos styles, surprendre le lecteur par un clin d’œil.
  Hé puis, des fois, je me sens si seul sur mon île des Bermudes…
Vous collaborez de la même manière avec vos scénaristes ?
  Ça dépend des scénaristes. Pendant 10 ans, j’ai toujours travaillé tout seul et arrivé là , je me suis dit qu’il serait peut-être temps de bosser avec des gens que j’aime bien, voir autre chose, me confronter à un autre univers. Et quand je leur ai demandé, ils m’ont tous quasiment dit oui à chaque fois…
  Encore de la chance. Des fois, je peux intervenir, des fois, non. Ça ne me dérange pas, ça me permet de tenter des trucs avec le dessin… Bon, avec plus ou moins de réussite, parfois. Ce qui est sûr, c’est que me répéter m’emmerde. Je ne fais jamais la même chose. Il faut que je prenne des risques, même si je me plante, même si je déroute mon lecteur. Par exemple, reprendre « Gai-Luron » est un défi dingue. Là , je suis en train de finir le tome 2 que j’ai écrit en collaboration avec Frédérique Felder, il sera différent du premier.
  J’ai pris énormément d’assurance avec les personnages et on est parti sur une autre piste, mais toujours en gardant la dérision du patron en tête. Tu vois, même dans une série, je ne veux pas faire la même chose, mais bon c’est « Gai-Luron », on ne peut pas faire n’importe quoi non plus.
Dominique reviendra ?
  Oui, bien sûr, d’abord parce que je veux créer une extension sur la mer pour agrandir mon île… Ensuite, si Vide Cocagne est d’accord (je suis un gars très fidèle, je bosse toujours au Psikopat par exemple, car Carali m’a pris mes premières planches et je lui en serais toujours redevable.) En tous les cas, j’ai déjà tout le début de l’album, ce qui est primordial pour moi.
Mille indicibles mercis à Pixel Vengeur pour sa collaboration.
Brigh BARBER
 Vous pourrez rencontrer Pixel Vengeur à Nantes, sur les terres de son éditeur Vide Cocagne, pendant le festival Fumetti du 7 au 9 juillet 2017.
« Une aventure de Dominique, le Nécrodominicon » par Pixel Vengeur
Éditions Vide Cocagne, collection Alimentation générale (18,00 €) — ISBN : 978-2-3691-2031-5