Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Streamliner T1 : Bye-bye Lisa Dora » par Fane
Fane, les chromes et les odeurs d’essence, c’est une longue histoire ! Après le mythique « Joe Bar Team » (tome 8 paru chez Vents d’Ouest en 2014) et une incursion dans l’espionnage sur « Gemma » (2010), voici donc l’auteur retourné à ses premières amours sur « Streamliner ». Situés en bordure de la fictive route 666, la station désaffectée et les hectares de pistes arides du vieil O’neil et de sa fille voient leur quotidien 1973 bouleversé du jour au lendemain : subitement envahis par tous les fous de vitesse prêts à remporter la nouvelle course à la mort, ce monde perdu se retrouve dans le collimateur des autorités et des médias…. La station « Lisa Dora », désormais théâtre de tous les dérapages, vit-elle ses derniers jours ?
Comme l’avait déjà indiqué le défourailleur barbare « Tunny Head » en 2008 (12 bis), le goût de Fane pour les univers comics nerveux – ainsi que son habileté à en reproduire le trait sec et efficace – n’était plus à prouver. Or, tout ou presque dans le découpage chapitré de « Streamliner » se réfère aux grands classiques du genre : années 1970, cuirs et santiags, gros flingues, Camaro 70, Stingray GTO Judge Ford V8, Muscle Car et moteurs apparents suffiront à fournir une ambiance infernale, à l’aune des protagonistes (de Billy Joe, le ténébreux leader des Red Noses, à Sue, égérie trash des Black Panties) aussi incandescents que mystérieux ou vénéneux. Avec les équivalents filmiques en tête, toutes époques confondues (en vrac : « Hot Rod Gang » de John Ashley en 1958, « Point Limite Zero » par Richard Sarafian en 1971, « American Graffiti » par Georges Lucas en 1973, « Cannonball! » de Paul Bartel en 1976, « Jour de tonnerre » de Tony Scott en 1990, « Speed Racer » des Wachowski en 2008 et même la course de pods de « Stars Wars Épisode 1 : La Menace fantôme » en 1999), ce « Fast and Furious » ou « Need for Speed » bédéphile se lira bel et bien comme un western mécanique (les rôlistes et amateurs de jeux de plateau se souviendront en prime de « Car Wars », lancé par Steve Jackson en 1980). À ceci près que les règlements de comptes mortels dans la poussière du désert seront pour le tome 2, suspense et tension narrative obligent. Au jeu des références, enfin, il sera difficile de ne pas évoquer la trame du film « L’Équipée sauvage » (László Benedek, 1953) où une bande de motards envahit une piste de courses puis une petite ville ; le scénario du film était alors inspiré d’affrontements entre motards (certains étant d’anciens équipages de bombardiers américains en mal de sensations fortes) survenus à Hollister en 1947… où 4 000 motards hors-la-loi déferlèrent sur la petite ville californienne !
Inscrit au sein du label Comix Buro et passé désormais chez Rue de Sèvres, ce premier volume du diptyque « Streamliner » n’est pas sans rappeler les premières esquisses du projet, parues en juin 2014 dans le « Sketchbook » de l’auteur. La station service, surmontée d’un ancien B17 de la Seconde Guerre mondiale surnommé « Lisa Dora » devient la pierre angulaire de l’intrigue, digne cette fois-ci du mythique Bagdad Café de la véritable route 66. Dans l’uchronie américaine crée par Fane, les thématiques du refuge des marginaux et de la patronne excédée seront identiques, bien que notre regard soit dirigé à bon escient vers la Black Widow du vieil O’Neil (un ex-as de la vitesse qui a survécu à un terrible accident). Ce véhicule est inspiré d’une vieille Streamliner des années 1920 – 1930, la Stutz BlackHawk Streamliner Special du pilote américain Frank Lockhart… Lequel se tua en avril 1928 à Indianapolis, alors qu’il était lancé à plus de 300 km/h pour tenter de battre les records de vitesse établis par son compatriote Ray Keech (mort accidentellement l’année suivante !).
En couverture, Fane et Olivier Vatine ont Å“uvré de concert (de cuivres…) pour forger un visuel digne d’une affiche de film ou d’un dépliant publicitaire vintage vantant le « Run du siècle ». Cristal O’Neil, la fille du gérant, cherche tant bien que mal à défendre son territoire en brandissant l’ancienne carabine du chef de bande des Red Noses, objet sibyllin devenu l’enjeu ultime de la course streamline. Soleil, véhicules et typographie finiront de renforcer les parallèles entre cet univers madmaxien et celui de la conquête de l’Ouest, dans sa course infinie pour repousser la « Frontier ».
Riche et épais de 160 pages, ce premier opus quasi tarantinesque (« Boulevard de la mort », 2007) saura nous faire patienter jusque au second prévu en septembre, lequel sera enrichi de bonus dont un magazine narrant le passé de la fameuse Lisa Dora Station en août 1963. Que la route 666 est longue, parfois… Bye-bye, c’était la première séance : Highway to Hell !
Philippe TOMBLAINE
« Streamliner T1 : Bye-bye Lisa Dora » par Fane
Éditions Rue de Sèvres (22,50 €) – ISBN : 978-2-369-81555-6