Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Au bout du fleuve » par Jean-Denis Pendanx
Après de nombreuses collaborations et des albums qui promènent le dessinateur dans diverses contrées de la planète, toujours exotiques et puissantes, Jean-Denis Pendanx décide de jouer cavalier seul : c’est-à-dire sans scénariste. C’est le premier album qu’il assume ainsi, mêlant fiction et quasi-reportage entre Bénin et delta du Niger, de Cotonou à Lagos, car Jean-Denis Pendanx n’en a pas fini avec l’Afrique !
Avec « Les Corruptibles » (l’adaptation du roman d’Alain Brézault « Bonne Arrivée, patron ! »), il s’était installé au Bangali : pays d’Afrique imaginaire, ayant pour capitale Kamassoukro. Violence, corruption, compromissions et prostitution composaient en trois tomes (Glénat, 2002-2004) une vision polémique et caricaturale de l’Afrique d’aujourd’hui et une dénonciation humoristique de ses travers.
En 2006-2007, avec le scénariste Christophe Dabitch, les auteurs s’inspirent assez librement de la vie du célèbre explorateur René Caillié dans « Abdallahi » (chez Futuropolis) et donnent alors de l’Afrique une vision beaucoup plus respectueuse et fascinante.
Au-delà de l’aventure humaine exceptionnelle de l’explorateur, il fallait en effet retenir l’extraordinaire réalisation graphique de Pendanx qui, pour l’occasion, s’inventait un style pictural envoûtant. Nombre de cases constituent de petits tableaux aux coups de pinceau apparents où les effets de matière, le sens des dégradés, les lumières quasi éblouissantes comme les nuits les plus glauques captent l’œil et séduisent irréversiblement le lecteur.
Après une parenthèse asiatique (« Le Maître des crocodiles » et « Tsunami », avec Stéphane Piatzsek) ou russe (l’inachevé « Svoboda ! », avec Kris), le tout encore chez Futuropolis, Jean-Denis Pendanx revient en Afrique, au Bénin pour être exact, dans les pas d’un jeune garçon nommé Kémi (on pense évidemment au héros de Jano — « Kémi, Rat de brousse » — vivant au jour le jour, entre amourettes et embrouilles et subissant, lui aussi, les aléas du continent). Le père de Kémi est mort accidentellement. Le transport de l’essence frelatée (le « kpayo ») sur des mobylettes incertaines et des routes défoncées n’est pas sans risque. Une étincelle au niveau de la bougie et c’est l’explosion ! Kémi subsiste tant bien que mal entre les dettes de son père et les petits boulots, mais il y a plus obsédant pour lui : la disparition de son frère jumeau ! Alors, pour le retrouver, mais aussi probablement pour échapper à ces contingences locales, il décide de partir à sa recherche.
Le périple n’est pas sans difficulté quand on n’a rien, mais Kémi en bon débrouillard, comme la vie africaine apprend quotidiennement à le devenir, s’adapte aux situations et aux opportunités qui lui permettent d’avancer direction le « bout du fleuve », c’est-à-dire le delta du Niger, puis Lagos, « Lagos City », au Nigéria, sa folie, son insécurité… et ses hyènes ! Enfin, Makoko, univers lacustre non loin des oléoducs développés par les compagnies pétrolières et des trafiquants qui s’y sont greffés. Kémi s’enfonce peu à peu dans l’insoutenable…
Rien ne manque à cette aventure : la vie frénétique de Cotonou et les abords sereins de l’Atlantique, la cité lacustre étonnante de Ganvié, ses pêcheurs et son marécage fascinant (troublant même pour le jeune Kémi !), les bidonvilles surmenés et les villages plus tranquilles, les féticheurs et les croyances (qui ne marchent que sur ceux qui y croient !), les tissus chamarrés des femmes, les couleurs chaudes des tropiques et les bleus gris nauséabonds des quartiers glauques… Ces difficultés quotidiennes, la vraie misère bien souvent, ou les violences qui peuvent surgir à tout moment, n’empêchent pas le goût de vivre, la solidarité, l’humour, voire la cocasserie. Pourtant, le contexte social est explosif et, au plan écologique, la situation est ici et là carrément catastrophique.
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Au bout du fleuve » par Jean-Denis Pendanx
Éditions Futuropolis (20 €) – ISBN : 978-2-7548-1573-4