Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« La Machine à explorer le temps » par Mathieu Moreau et Dobbs
De 1895 à 1898, le britannique H.G Wells popularise en quelques années les plus grands thèmes de la science-fiction contemporaine. Considéré dès lors comme le père fondateur (avec Jules Verne) du roman d’anticipation, l’auteur demeure une référence inégalée dans la production culturelle actuelle : 70 ans après sa disparition en 1946, les éditions Glénat réadaptent ses œuvres les plus emblématiques dans une collection dédiée. À commencer par « La Guerre des mondes » (prévu en 2 tomes ; dessin de Vincente Fuentes) et « La Machine à explorer le temps » (dessin de Mathieu Moreau), deux titres scénarisés par Dobbs…
Né dans le Kent en 1866 et devenu un socialiste convaincu, Wells défendra toute sa vie l’idée d’un grand état-monde, une société utopique destinée à mettre fin aux nationalismes destructeurs. En conséquence, ses principaux romans évoqueront les thèmes forts de l’identité, de la science dévoyée (« L’Île du docteur Moreau » en 1895, « L’Homme invisible » en 1897), des mécanismes capitalistes destructeurs ainsi que les angoisses impérialistes liées à l’époque victorienne (« La Guerre des mondes », 1898). Par delà le gouffre de l’espace, sous la menace de quelque savant fou ou de sombres envahisseurs martiens, les récits de Wells se feront volontiers pessimistes et dystopiques, tels que nous le montre précisément le voyage entrepris par l’Explorateur du temps jusque dans la lointaine année 802 701. Dans cette époque futuriste décadente, la civilisation s’est réduite à une espèce faible et futile, les Elois, lesquels vivent dans la hantise des sanguinaires Morlocks. Publié en 1895, « La Machine à remonter le temps » aura donné lieu à deux adaptations cinématographiques notables – plus ou moins fidèles – en 1960 (film de George Pal) et 2002 (par Simon Wells, le propre arrière petit-fils du romancier). Du côté de la bande dessinée, c’est essentiellement Al Séverin qui aura livré en 1992 la version la plus accessible (pour l’éditeur Claude Lefrancq), tandis que l’on se souviendra en parallèle des notables illustrations au lavis d’E. P. Jacobs sur « La Guerre des mondes » (Glénat, 1971) ou, encore, du rôle joué par l’homme invisible dans « La Ligue des gentlemen extraordinaires » (Alan Moore et Kevin O’Neill, 2001).
Développée sur le modèle de la collection 1800 proposée par les éditions Soleil depuis 2010 (aujourd’hui recentrée sur le seul Sherlock Holmes de Conan Doyle), la nouvelle collection H.G. Wells de Glénat s’enrichira dès le 29 mars prochain de deux autres tomes : la suite (et fin) de « La Guerre des mondes » et le premier volume de « L’Homme invisible », dessiné par Christophe Regnault. Nous retrouverons enfin en juin 2017 le second tome de ce diptyque ainsi que « L’Île du docteur Moreau », volume illustré par Fabrizio Fiorentino. À la manœuvre scénaristique de ces 6 titres, Dobbs (le pseudonyme d’Olivier Dobremel), auteur qui avait déjà côtoyé le XIXe siècle sur les précédents « Mister Hyde contre Frankenstein », « Allan Quatermain », « Alamo » et « Scotland Yard ».
En couverture du présent album, le dessinateur Mathieu Moreau (installé à Nantes, ville qui vit naître… Jules Verne) se rapproche de l’esprit steampunk en présentant le héros (plus jeune que dans le roman initial ; habillé à la manière du XIXe siècle), la thématique (une spirale digne de la série « Au cœur du temps », diffusée en 1966 – 1967) et la sourde menace pesant sur les temps futurs. Gardant judicieusement mystérieux l’artefact central (la fameuse « Machine »), cette iconographie fait apparaître en filigrane l’un des thèmes phare de Wells, à savoir l’opposition entre nature et culture, civilisation et bestialité. En questionnant l’essence même de l’humanité et son devenir, le romancier prend possession de ses lecteurs par l’illusion romanesque : explorer l’avenir, c’est aussi vouloir affronter son propre destin…
En guise de compléments, Dobbs nous a fait le plaisir de répondre à quelques questions :
Comment vous êtes-vous retrouvés sur ce projet ambitieux ? Étiez-vous des lecteurs de Wells ?
Dobbs : « En fait, j’avais proposé à Cédric Illand, éditeur chez Glénat, de lui présenter des projets… Un se détachait particulièrement : l’adaptation de la « Guerre des Mondes » que j’avais en tête depuis longtemps, bien avant mon travail sur la collection 1800 chez Soleil. Je voulais également travailler avec Vicente Cifuentes, dont l’excellent travail sur des comics US m’avait tapé dans l’œil… Donc le projet pouvait devenir un « clef en main », avec une équipe déjà constituée par ailleurs du coloriste Matteo Vattani que je connaissais déjà. »
« J’étais grand lecteur de SF depuis le collège : j’avais un excellent conseiller là-bas qui m’a donné le goût de ces lectures avec des expositions sur le sujet et des livres de références que personne ne prenait : du Boulle, du Wells, du Bradbury et des plus « costauds » comme Dick, Simak, Van Vogt, etc. »
Quels choix pour adapter (un 1 ou 2 tomes) ces grands classiques ?
Dobbs : « Après la première ébauche de travail, et la conviction de faire 2 tomes sur « La Guerre des Mondes » (l’un centré sur le rural et la survie, l’autre sur l’urbain et l’apocalypse), Cédric m’a demandé de penser le travail en tant que collection complète : il a fallu effectuer le même travail d’approche, de conceptualisation, d’adaptation et de recrutement d’équipe mais à une autre échelle… très stimulant, je ne l’en remercierai jamais assez. »
Les tomes one-shots (« La Machine à explorer le temps » et « L’Île du docteur Moreau ») sont rapides dans les expositions et dans le rythme ; je me voyais mal étirer la narration sur 2 tomes. Les 2 autres romans (« La Guerre des Mondes » et « L’Homme Invisible ») sont plus lents, avec de vraies ruptures : découverte du désastre à grande ampleur pour l’un et changement de point de vue du récit pour l’autre. Il était donc logique et thématique de travailler en diptyque… »
Quelles réflexions pour les couvertures (et notamment celle de « La Machine… ») ?
Dobbs : « Les propositions ont fusé de toute part sans idées préalables. Puis s’est dessinée une volonté d’avoir une unité graphique sur l’ensemble de la collection avec une couverture partagée en 2 images par le titre de référence : une image haute sur le personnage principal en situation de découverte, de stress et de posing dramatique, ainsi qu’une autre en bande inférieure qui pouvait préciser une menace évidente ou sourde… Tout a ensuite convergé rapidement et esthétiquement en ce sens. »
Des anecdotes en cours de création ?
Dobbs : Presque 3 ans de travail, c’est long mais riche. Riche d’idées, d’échanges, et de rencontres… On a beaucoup ri et stressé en même temps, j’ai découvert des personnalités que j’adore et on a pas mal décompressé parfois du fait de la teneur horrifique et sérieuse des albums… Chacun a voulu glisser des « œufs de Pâques » dans les albums, beaucoup d’animaux sont présents (si si), et des plans référentiels cinématographiques aussi. Je pense que des 2èmes lectures seront nécessaires hehehe… Et si on retravaille ensemble avec Chris, Mathieu, Vicente, Fabrizio et Matteo (qui est dessinateur autant que coloriste), ça sera le signe qu’ils ne m’en auront pas trop voulu pour les avoir maltraités avec mes blagues et mes découpages ! »
Quels sont vos projets futurs ?
Dobbs : « Alors il y a le suivi des albums de la collection HG Wells qui ne sont pas encore sortis, ainsi que celui d’un autre tome de la collection « Ils ont fait l’Histoire », que je viens d’écrire toujours pour Glénat. »
« Après 15 ans d’enseignement sur le cinéma, il fallait aussi que je saute le pas en plus de la BD : il y aura donc fin 2017 un livre sur le 7eme Art qui sera publié et sur lequel je travaille en ce moment avec pas mal d’illustrateurs… »
Philippe TOMBLAINE
« La Machine à explorer le temps » par Mathieu Moreau et Dobbs
Éditions Glénat (14,50 €) – ISBN : 978-2-344012727
Une adaptation réussie du roman de H.G Wells, a recommander a tous les passionnés de fantastique, et ceux qui veulent découvrir l’histoire de façon graphique sans passer par le roman.