Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« Le Passeur » par Hermann et Yves H.
Mais où s’arrêtera Hermann ? Depuis le Grand Prix obtenu en janvier 2016 pour l’ensemble de son oeuvre, l’infatigable auteur de « Bernard Prince » et « Comanche » a déjà bouclé deux autres tomes et débuté un « Jeremiah » pas comme les autres consacré à la jeunesse de Kurdy ! Autour de ces nouveautés, c’est une foule de rééditions qui viendra également satisfaire la passion des bédéphiles, lesquels pourront admirer en 2017 l’exposition angoumoisine consacrée à ce géant du 9ème art. Dans le one-shot proposé ce mois-ci, Hermann et son fils Yves H. étendent encore les frontières de l’univers post-apocalyptique de Jeremiah : épuisé mais déterminé à franchir la frontière en quête d’un hypothétique paradis, un couple va pénétrer dans le territoire cauchemardesque du « Passeur »…
Avant de partir à la découverte de cet énigmatique nouveau personnage, récapitulons l’actualité d’Hermann. C’est naturellement la prochaine édition du FIBDI (44ème édition, du 26 au 29 janvier 2017) qui attire tous les regards, à commencer par le dévoilement récent d’une affiche où l’on retrouve des objets caractéristiques de chacune des séries phares de son auteur (le casque de Kurdy, l’épée et le casque médiéval de Bois-Maury, la casquette de Barney Jordan, le chapeau de Red Dust… et le personnage de Jeremiah). Quelques détails et visuels concernant l’exposition ont également été illustrés sur le site du festival. Du côté éditorial, c’est une bonne dizaine d’ouvrages qui est annoncée entre novembre et janvier prochain : une intégrale Dupuis réunissant les deux volumes de « Le Diable des Sept Mers », une autre intégrale des « Tours de Bois-Maury » (deux tomes couleurs chez Glénat), les tomes 4 à 6 de « Comanche » (réédités au Lombard), le premier opus de la série « Duke » (« T1 : La Boue et le Sang », au Lombard) et une nouvelle version de « L’Intégrale Comanche » (proposée par les éditions Niffle en deux volumes en noir et blanc). Rajoutons-y le lifting de deux anciens titres (« Missié Vandisandi » et « Zhong Guo », initialement parus en 1991 et 2003), une copieuse nouvelle monographie de 300 pages éditée aux éditions PLG (rédigée par un certain Philippe T.) ainsi que le catalogue de l’exposition angoumoisine !
Achevé pour sa part depuis le mois de janvier 2016, « Le Passeur » est un récit « aux marges » à tous points de vue, en quelque sorte ni one-shot ni album classique, mais véritable dérivé (spin-off) de « Jeremiah », puisque se situant – à priori – dans le même univers post-apocalyptique futuriste. En guise de clin d’œil, une case de la deuxième planche montre les nouveaux protagonistes passant non loin de l’autorail-refuge de Jeremiah et Kurdy, aperçu notamment jadis dans les albums « T5 : Un Cobaye pour l’éternité » (pl.3) et « T7 Afromérica » ( pl.3). Toujours concoctée par Yves H. (qui scénarise donc pour la première fois indirectement l’univers-clé et « chasse gardée » de son père !), la trame de l’album nous fait suivre les péripéties vécues par un couple (Sam et Sam ; la jeune femme se nommant Samantha et lui Samuel) tentant de rejoindre un hypothétique « Paradize ». Comme l’explique Yves H. sur le site officiel en mai 2015 : « Au départ, le sanglier m’avait proposé de prendre un personnage secondaire [de Jeremiah] et de l’utiliser comme point de départ d’un nouveau one-shot. Mais après relecture de nombreux albums de la série, je n’ai pas trouvé l’inspiration. Il y a bien Stonebridge mais il est tellement « hermannien » que je n’ai pas osé y toucher. Puis j’ai eu une autre idée et je suis parti dans cette direction. Il ne reste donc de l’idée initiale que le décor de la série. » Interviewé en juin 2016 par un site bd brésilien, Hermann précisait à son tour la trame scénaristique : « Pour faire court, il s’agit d’un couple assez jeune de voyageurs qui se sont laissé séduire par une espèce de promesse de paradis, d’embarquement pour « Cythère »… Complètement idiot d’ailleurs, un endroit où l’on pourrait entrer un peu comme dans le paradis sur Terre. Évidemment au lieu du paradis, c’est l’enfer ! Et ça se termine assez mal… C’est une bonne fin mais elle n’est pas drôle ! Mon fils affectionne les fins qui ne sont pas drôles. Il a un compte à régler avec l’Humanité, il tient cela de moi ! »
De fait, évoluant en permanence entre ville et désert, dans un brouillard éthéré renvoyant aux fantastiques nimbes colorées entrevues dans de précédents opus de la série (« T4 : Les Yeux de fer rouge », « T25 : Et si un jour, la Terre… » et « T19 : Zone frontière » dans une moindre mesure), Sam et Sam tomberont de Charybde en Scylla. Faisant office de passeur, l’étrange gardien afro-américain, tout de noir vêtu (lunettes de soleil et chapeau compris) et inspiré physiquement du guitariste anglo-américain Slash (membre notamment du groupe Guns N’Roses), n’inspire pas une franche confiance. Cet euphémisme digne de la misanthropie d’Hermann cache un réseau dont nul ne sort indemne : les habitants de la ville locale ont subi un lavage de cerveau en règle, les postulants au séjour paradisiaque disparaissent – en pleine zone radioactive – dans la nuit d’un ultime « bang bang » ; jusqu’aux surveillants en chef de la zone à se considérer prisonniers plutôt que gardiens de cet improbable territoire. Qu’il soit noir (comme le gardien) ou blanchâtre (comme le corps-tronc du boss mafieux de la ville), chacun est du reste condamné à vivre dans une sinistre résidence, phare élancé et sans lumière pour l’un, villa digne de la bâtisse du film Psychose (Hitchcock, 1960), et par conséquent du modèle peint par Edward Hopper dès 1925 (Maison au bord de la voie ferrée), pour l’autre. Nulle échappatoire ni remédiation dans le monde de Jeremiah, tant les personnages vont, viennent et reviennent, vivent, luttent et périssent sans jamais en percevoir à temps l’intrinsèque caractère aliénant… Coutumier des mondes noircis et dépossédés de leur humanité, Hermann livre un thriller à l’ambiance sinistre et aux cieux opaques, où le malaise guette à chaque coin de page. Et le lecteur, pourtant seul rescapé de ce récit, n’a aucune chance d’en ressortir indemne. Alternant les atmosphères et les protagonistes (héros ou anonymes, tous étant sans cesse lancés sur les routes), les albums d’Hermann permettent en vérité à son infatigable auteur de distendre les cases (lieux clos par excellence)… et de passer à autre chose, tout en se renouvelant aux yeux des lecteurs. Prison ou échappatoire ? Ne cherchez plus, c’est « phare ici la sortie » !
Quelques questions posées à Yves H. nous permettront d’y voir un peu plus clair, entre les nimbes.
Comment situer au juste cet album par rapport à l’univers SF de « Jeremiah » : un récit dérivé de ce monde post-apocalyptique, ou une sorte de clin d’œil à la grande série créée par Hermann ?
Yves H. : « Tout est parti d’une proposition de mon père, à savoir réaliser une sorte de spin-off de « Jeremiah » autour d’un personnage secondaire. Je me suis plongé dans l’ensemble des albums mais en suis sorti avec de nouvelles images en tête. J’ai donc proposé à mon père non pas un spin-off à proprement parler mais plutôt une histoire dérivée de l’univers de Jeremiah. Pour que le lien avec la série soit clairement identifié par le lecteur, le monorail que l’on voit dans les albums « Un Cobaye pour l’éternité » et « Afromerica » apparaît dès la planche n°2. »
Les trois premiers grands plans d’ensemble (planches 1 et 2) montrent successivement une centrale nucléaire, un train monorail et une station service, tous plus ou moins délabrés : la zone est également recouverte d’un étrange brouillard pouvant évoquer la pollution. Une réflexion écologique consciente ?
Yves H. : « Comme je l’ai dit, il fallait que le lecteur puisse facilement identifier l’univers post-apocalyptique de Jeremiah. Parmi les pré requis, des routes défoncées, des bâtiments délabrés, etc. Il n’est pas vraiment question de développer une thèse écologique mais de mettre en place un univers graphique. Libre ensuite à chacun d’y lire ce qu’il veut. Mon père étant quelqu’un de très proche de la nature, il est certain que l’univers de Jeremiah correspond à l’expression d’une forme de cauchemar éveillé sur ce que pourrait devenir le monde. Sans pour autant développer un discours d’écologie politique. En revanche, l’option du ciel fantasmagorique qui recouvre la zone dans laquelle se déroule le récit n’est pas gratuite. Ce brouillard, comme tu l’appelles, est là pour installer un climat étrange et oppressant et rappelle qu’une catastrophe nucléaire a pu avoir lieu à cet endroit précis quelques années ou dizaines d’années plus tôt. N’oublions pas que nous sommes dans un univers post-apocalyptique qui fait suite à l’explosion d’une bombe atomique. Les retombées ont pu être multiples, dont celles que vivent les étranges habitants de la ville dans laquelle arrive le jeune couple formé par les deux « Sam » : on ne sait de quel mal ils souffrent, mais il y a fort à parier que cela a beaucoup à voir avec la catastrophe nucléaire.»
Sam et Sam, un gardien afro, un boss mafieux au corps-tronc : comment naissent ces personnages chez un scénariste ?
Yves H. : « Sam et Sam, ça m’(sic) est venu comme ça en écrivant le scénario « au propre » dans Word. Trouver le nom d’un personnage est une étape souvent fastidieuse mais importante alors ça soulage de trouver une idée sympa comme celle-là. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai trouvé marrant que le diminutif de leurs prénoms (Samuel et Samantha) soit identique. Il faut juste veiller à ce que la confusion ne s’installe pas dans l’esprit du lecteur. Pour le gardien afro, j’avais pensé à Slash, le guitariste notamment de Guns N’ Roses, célèbre entre autres pour son chapeau extravagant. Disons que mon père, qui ne connait pas du tout Slash, l’a revu et corrigé à sa manière. Enfin, le personnage de l’homme-tronc m’a été inspiré par une vidéo étrange sur Vimeo qui montrait précisément un homme-tronc en compagnie de deux charmantes créatures opérant une sorte de ballet amoureux dans l’eau d’une piscine (si ma mémoire ne me trompe pas). Rien de sexuellement explicite mais une séquence suffisamment troublante pour faire naître en moi d’autres images. Et c’est de là qu’est parti Le passeur. »
Certains précédents albums de la série (« Les Yeux de fer rouge » ; « Et si un jour, la Terre… » ; « Zone frontière ») illustraient déjà des nimbes fantasmagoriques et inquiétantes : titre symbolique, « Le Passeur » suggère t’il que nous sommes aux portes des Enfers ?
Yves H. : « Je ne crois pas que l’enfer soit un lieu précis. Je crois que l’enfer, comme le disait Sartre, c’est les autres – heureusement, c’est parfois aussi le paradis. Qu’un humain croise un congénère en état de faiblesse, il sent immédiatement l’odeur du sang. L’homme, du moins un grand nombre de ses représentants, est un prédateur. Il peut d’ailleurs être tour à tour le prédateur puis la proie selon les situations. Il peut parfois aussi se montrer magnanime en épargnant sa proie, voire même lui venir en aide – mais n’est-ce pas là aussi une façon d’exprimer sa puissance ? Je pense que le décor du « Passeur » ne sert que de théâtre à la noirceur des rapports violents qu’entretiennent les différents protagonistes dont le seul but est la survie. »
Un hommage à Hitchcock et à Hopper est présent dans l’album : que symbolisent pour toi ces deux artisans du suspense et de l’attente ?
Yves H. : « Je n’ai en fait pensé ni à Hitchcock ni à Hopper en écrivant le « Passeur », bien qu’étant un grand fan de ces deux grands bonshommes… Quoique, j’ai pu en effet penser un peu à Hopper avec l’utilisation de la maison victorienne sur la colline qui fait penser à son tableau « House By The Railroad ». J’ai d’ailleurs dans mes tiroirs un projet de scénario basé sur différents tableaux de Hopper. Mais, aussi bizarre que ça puisse paraître, je n’avais pas pensé à Hitchcock ! »
En couverture, point de héros et un homme de dos : un concept simple à présenter chez Dupuis ?
Yves H. : « Pour mon père comme pour moi, il était évident qu’il fallait représenter le phare sur la couverture de l’album. Il fallait le faire apparaître comme une menace pour le personnage principal. En mettant celui-ci de face, on aurait donné l’impression que le phare était son repaire, un abri, quelque chose de bienveillant. En le montrant de dos, comme écrasé par la construction, le personnage semble menacé, à la conquête d’un monstre indomptable. Chez Dupuis, en règle générale, les couvertures de mon père sont acceptées sans broncher par les éditeurs. Sans doute le privilège et la légitimité d’un auteur confirmé et célébré. »
Quels futurs projets ou one-shots ?
Yves H. : « Dès janvier, avec la sortie du tome 1 de notre série western « Duke », intitulé « La Boue et le Sang ». Il y aura ensuite un tome 2 qui est partiellement déjà écrit.»
Philippe TOMBLAINE
« Le Passeur » par Hermann et Yves H.
Éditions Dupuis (15,50 €) – ISBN : 978-2-8001-6800-5