Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Billion Dogs » T1 par Naoki Serizawa et Muneyuki Kaneshiro
Voici un polar bien noir mêlant corruption, mafia et beaux gosses. Voici un polar où les apparences sont trompeuses et les protagonistes sournois. Voici un polar où l’intrigue est rondement menée et les rebondissements inattendus. Voici un polar où deux ados rêvent de grandeur, en courant après un pactole non négligeable. Bref, voici un polar, classique dans la forme, mais finalement, un polar comme on aimerait en voir un peu plus souvent en manga.
Ichiru est un étudiant brillant. Président de l’association des élèves, il est un modèle pour ses camarades et un sacré atout pour son école. Il ferait tout pour qu’elle garde une excellente réputation. Mais cette réputation a bien failli basculer dans la rubrique « faits divers » lorsque le propre vice-président de l’association, Kyosuke, poignarda son supérieur en pleine conférence. Mais l’affaire ne fit pas tant de bruit que ça : le père d’Ichiru étant également le maire de la ville. Il a donc du pouvoir et étouffer cette affaire fut chose aisée. Sans scandale, le lycée a donc gardé son statut d’établissement le mieux coté du Japon.
Très vite, on découvre que tout ceci n’était qu’une mise en scène. Le duo souhaitait juste échafauder un plan permettant d’en savoir un peu plus sur un soi-disant magot détenu par la plus grosse famille de yakuzas de la région. Famille de mèche avec le père d’Ichiru qui, lui-même, trempe dans des magouilles afin de garder sa place à la mairie, voire, de grimper les échelons. Le fameux trésor des yakuzas représenterait trois millions de yens : de quoi voir venir. Mais il faut le trouver et s’en emparer. Les deux complices vont jouer de leurs talents de stratège (pour Ichiru) et d’homme de terrain (pour Kyosuke), afin de le subtiliser discrètement. Même si leur plan est plutôt bien ficelé, ils vont aller de surprise en surprise.
Plus qu’un polar, « Billion Dogs » nous entraîne dans les méandres d’une famille bien compliquée : un père politicien véreux prêt à fricoter avec la mafia pour écraser les autres et gravir les échelons du pouvoir, une mère dépressive entretenant une relation extra-conjugale avec un subalterne de son mari et un fils fin prêt pour la politique mettant à profit ses talents et son charme pour truander son paternel dont les magouilles et le peu de savoir-vivre le répugnent.
Bien sûr, le scénario parfaitement ficelé de Muneyuki Kaneshiro ne serait rien sans la superbe mise en image de Naoki Serizawa. Ses personnages et ses décors sont extrêmement réalistes, parfois un peu trop : on sent la photo qui a servi de modèle dans certaines scènes. Mais c’est ce réalisme qui offre une diversité de personnages aux attitudes sans équivoques. Le héros, idole de son lycée, est charismatique, tandis que son père pue la corruption et la soif de pouvoir avec son visage tiraillé, ses sourires narquois et son gros bide. La mère n’est pas en reste avec une face de dépressive tentant désespérément de cacher les apparences, alors que son rimmel coule sur son visage tendu par la chirurgie esthétique. Bien sûr, cette galerie n’est composée que de clichés éculés, mais c’est aussi ça qui fait leur force. Ils ressemblent à ce qu’ils sont, ou du moins à ce que l’on veut nous faire croire.
Déjà connu pour leur travail sur « Resident Evil » et « Jeux d’enfants », ces deux auteurs reviennent donc avec une Å“uvre glauque mettant à mal la sacro-sainte famille. La fin justifierait tels les moyens ? En tout cas, en matière de polar, s’il y a bien cocktail détonant, c’est bien celui mêlant mafia, politique, famille et secrets.
Gwenaël JACQUET
« Billion Dogs » T1 par Naoki Serizawa et Muneyuki Kaneshiro
Éditions Akata (6,95 €) – ISBN : 978-2369741206