Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Le Bourreau T1 : Justice divine ? » par Jérôme Benoit, Julien Carette et Mathieu Gabella
Dans le Paris du XVe siècle, entre toits et pavés, un impressionnant justicier-assassin se considère comme le serviteur de Dieu, en exécutant impitoyablement les criminels à l’heure et l’endroit choisis. Invincibles et intangibles, ces pouvoirs et certitudes vont pourtant basculer lors d’une première erreur… Et face à l’irruption d’un double tout aussi sanguinaire, surnommé le Bouffon. Entre histoire, polar et fantastique, le scénariste Mathieu Gabella concocte avec « Le Bourreau T1 : Justice divine ? » un album qui dialogue intelligemment avec la mythologie super-héroïque. Sous le trait dynamique de Jérôme Benoit et Julien Carette, ce nouvel antihéros – tantôt vénéré et tantôt haï – interrogera également tout un chacun sur l’équité d’une justice immanente.
Tout en ayant expérimenté divers registres (l’ésotérisme avec « La Licorne » entre 2006 et 2013 ; la mythologie dans « La Grande évasion T2 : Le Labyrinthe » en 2012 ; le biopic dans « Ils ont fait l’histoire T1 : Philippe le Bel » en 2014 et « T11 : Catherine de Médicis » en 2015 [et prochainement César et Robespierre]), Mathieu Gabella n’a guère oublié ses univers référentiels que constituent toujours le jeu de rôle, la science-fiction, le cinéma de genre et le jeu vidéo (il sera difficile de ne pas songer ici à la saga « Assassin’s Creed », y compris pour le visuel de couverture). Par ailleurs, on trouvera chez l’auteur des influences bédéphiles certaines : Alan Moore, Serge Lehman (« La Brigade chimérique ») ou – puisque œuvrant dans le même Atelier que Mathieu Gabella – le duo Ronan Toulhoat-Vincent Brugeas, dont le récent « Le Roy des Ribauds » (2 tomes déjà parus chez Akileos) synthétise des ambiances et thématiques similaires au « Bourreau ». Dans ces allégories historico-fantastiques aux portes de l’uchronie, les figures archétypales des contes et légendes médiévales sont redéployées en fonction de la geste plus contemporaine du super-héros : inversement au duel manichéen d’autrefois entre le Bien et le Mal, la toute-puissance ou les démons internes du vengeur sont approchées entre étude psychologique et cas clinique.
Masque, identité secrète, super-pouvoirs, nul doute que « Le Bourreau » est une machine démiurgique qui s’ignore : car, tout à la fois Superman et Batman, lumière et ombre, héros inaltérable et humain faillible, notre Bourreau n’est aussi au final qu’un glaive de justice, manipulé par les mains des puissants. On comprendra dès lors l’interrogation posée par le titre de ce premier volume : « Justice divine ? », rien n’est moins sûr…
Outre le travail du scénariste, précisons que cet album (premier opus d’une trilogie annoncée) est le fruit d’une collaboration démultipliée : un storyboard croqué par Virginie Augustin, des décors détaillés par Jérôme Benoit, une coordination artistique assurée par Nautilus Studio, des couleurs réalisées par Jean-Baptiste Hostache, une supervision éditoriale effectuée par David Chauvel, ce sans compter une couverture dessinée par Jean Bastide (« La Guerre des Sambre : Hugo & Iris ») !
En couverture, donc, juché sur une gargouille à deux pas de la masse imposante de Notre-Dame de Paris (la cathédrale est achevée en 1345) le Bourreau susnommé semble traquer sa prochaine proie. Outre la verticalité du décor, la pause du personnage est un évident clin d’œil à l’ensemble de la geste héroïque, que celle-ci arbore la cape, l’épée et le masque, ou des supers-gadgets plus contemporains : Robin des Bois, le capitaine Fracasse, Le Bossu, d’Artagnan, Zorro, le fantôme de l’opéra, Batman, Spiderman, Moon Knight (superhéros créé en 1975 par Doug Moench et Don Perlin) et Altaïr/Ezio (héros moyenâgeux des premiers « Assassin’s Creed ») figurent parmi les parallèles les plus perceptibles. Figure masquée, incarnation trouble d’une justice séculaire mais peu raisonnée, la silhouette de ce tueur missionné ne pourra que faire douter tout un chacun du bon fondé de sa légitimité. Inévitablement donc, et finalement tel que nous le voyons sur ce visuel, le personnage n’est plus à sa place dans cette époque finissante, en mutation, où les ombres des anciennes croyances laissent la place à des savoirs et des perspectives plus éclairées. Justice de dieu, pouvoir judiciaire et codes de loi défendant les libertés de chacun seront en conséquence les principales étapes vers une véritable notion de droit. L’homme, cependant, changera-t-il, puisque éternelle victime ou éternel bourreau ? Laissons aux auteurs le soin de répondre éventuellement à cette question dans les deux tomes à venir…
Philippe TOMBLAINE
« Le Bourreau T1 : Justice divine ? » par Jérôme Benoit, Julien Carette et Mathieu Gabella
Éditions Delcourt (14, 99 €) – ISBN : 978-2-7560-6536-6