Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Jodorowsky’s Dune
Le documentaire racontant la production et le désastre de l’adaptation cinématographique du roman éponyme de Frank Herbert par Alejandro Jodorowsky en 1974 vient de sortir, grâce au distributeur Nour Films. Ce film franco-américain de 90 minutes est réalisé par Frank Pavich (déjà auteur du documentaire « N.Y.H.C. » et responsable de production sur la série « Paranormal State »). Et le succès est au rendez-vous puisque « Jodorowsky’s Dune » collectionne déjà les prix dans les festivals cinéma du monde entier. Retour sur un beau documentaire et sur toute une époque à l’occasion de sa sortie dans différentes salles de l’Hexagone…
Le gros du documentaire consiste bien sûr en une interview-fleuve de Jodorowsky.
Il y égrène la chronologie de la monstrueuse superproduction. On voit le projet grossir à vue d’œil, s’enrichissant de personnalités définitives et indispensables des 70s’, ses « guerriers » selon sa propre expression : le producteur Michel Seydoux, les illustrateurs Moebius, Foss, Giger, le spécialiste des effets spéciaux Dan O’Bannon, les acteurs Orson Welles, David Carradine, Mick Jagger, Amanda Lear et même Salvator Dali (!), les musiciens Tangerine Dream, Mike Oldfield, Pink Floyd et Magma…
Leurs interviews montrent la détermination des protagonistes, tous prêts à révolutionner l’histoire du septième art, mais pas que…
Ce film aurait changé la face du monde en faisant ressentir les effets du LSD, sans faire usage de drogue. Un trip cosmique et global. Une expérience qui devait élargir la conscience de toute une génération, trois ans avant « Star Wars »…
Un chef-d’œuvre digne du « 2001 » de Kubrick, mais plus grand public et moins abscons…
Malheureusement, la production française perd pied. Il faut du capital américain. Et les grands studios d’Hollywood se méfient de la personnalité de Jodorowsky, déjà réalisateur des extraordinaires, mais quand même bien barrés, « El Topo » et « La Montagne sacrée ».
Pensez-vous, son « Dune » doit durer 12 heures ! Les Américains se dérobent.
En revanche, le scénario et les idées visionnaires des exemplaires du story-board confiés par Jodo, ils ne les oublieront pas, y puisant pendant des décennies la matière, le « Mélange » dirait Herbert, pour la production de toute une génération de blockbusters plus commerciaux.
Au détour de ce dramatique kidnapping artistique, Jodo se dévoile, enthousiaste, anéanti, colérique…
Mais l’homme a de la ressource et reste créatif : les visions sublimes de son film avorté, il les cannibalisera lui-même dans ses futures BD : « L’Incal » (toujours avec Moebius), « Les Méta-barons » (avec Juan Giménez).
« Jodorowsky’s Dune » est un documentaire formidable, incroyable.
Jodorowsky y est égal à lui-même, brillantissime, passionnant, hypnotique, alternant le français, l’anglais et l’espagnol.
Le montage alterne les interviews (Jodo, son fils Adan, le producteur Michel Seydoux, Dan O’Bannon, Chris Foss, Giger, Amanda Lear, le réalisateur-magicien Richard Stanley…), les images d’archives (Carradine, Dali, Orson Welles, Mick Jagger…), les dessins fantastiques de Moebius, Giger, Foss… mais surtout nous permet d’appréhender l’incroyable talent visionnaire de l’équipe grâce à de longues séquences animées du story-board de Jodo et Giraud.
Des moments de magie pure… et le plus beau film mort-né du monde s’incarne l’espace de quelques instants. Tragédie…
Souhaitons que l’avenir donne sa revanche au réalisateur. Peut-être un producteur montera-t-il un jour cette œuvre maudite et démentielle de façon moins coûteuse, à l’aide d’images 3D ?
Peut-être serons-nous un jour enfin illuminés par « l’épice gériatrique » de Jodorowsky ?
Jean DEPELLEY
Ce film est superbe pour tout amateur de BD.
Une petite salle parisienne propose en ce moment les films de Jodo, dont El Topo, vu hier soir.
A ce sujet, Glénat sort dans un mois environ « Les fils d’El Topo. » C’est la suite directe du film (sorti en 1970), dessinée par Ladronn (Final Incal)