Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Le Chant des Stryges T17 : Réalités » par Richard Guérineau et Éric Corbeyran
Initiée chez Delcourt par Corbeyran et Guérineau avec « Ombres » en novembre 1997, la série « Le Chant des Stryges » est devenue une institution du genre thriller-fantastique, qui atteint désormais son 17e album en mars 2016. Dans « Réalités », (5ème titre de la saison 3), les agents Kevin Nivek et Debrah Faith poursuivent toujours – tels Mulder et Scully… – leur quête de vérité autour d’un mystère occulte désormais levé : l’existence des Stryges. Appelés anges, démons ou phénix au fil des âges, ces monstres ailés semblent présider à la destinée de l’humanité depuis des siècles. Pourtant, l’un des hommes les plus puissants (et les plus vieux !) de la planète, Sandor G. Weltman, avait cherché à les vaincre, en trouvant la clé de la vulnérabilité de ces créatures dans le mythique grimoire de Vénoncius. Désormais opposés dans leur idéologie et leur sentiment envers les Stryges, Debrah et Kevin vont devoir prendre le pari – incertain – de l’avenir de l’humanité…
Prévu sur un total de 18 tomes et par conséquent arrivé à son avant-dernier épisode, « Le Chant des Stryges » a entamé le processus du dénouement sans altérer sa richesse scénaristique. Ayant pris la succession de Waltman après sa mort (le début de la saison 3 démarre avec le tome 13, « Pouvoirs » en 2010), Debrah – surnommée L’Ombre – a hérité d’une immense fortune et de moyens technologiques conséquents. Sept années après la chronologie interne du tome précédent, la lutte reprend donc contre les Stryges. Ayant capturé un couple de ces entités et fait naître un bébé-stryge, Debrah tente de soumettre ces créatures en jouant de leur stérilité potentielle ; Nivek s’y oppose en tentant de ramener le bébé parmi ses semblables. Ces deux conceptions concernant l’avenir des relations entre les deux communautés portent en elles les enjeux – à la fois simples et complexes – de l’univers de la saga. Notons que les lecteurs soucieux de comprendre les sources et arcanes les plus profondes de cet univers peuvent également approfondir leurs connaissances en se replongeant dans ces autres 18 tomes que totalisent les trois séries dérivées du « Chant des Stryges » : les 6 tomes du « Maître du jeu » par Corbeyran, Grégory Charlet et Horne entre 2000 et 2008 ; les 6 tomes du « Clan des chimères » par Corbeyran et Michel Suro, de 2001 à 2006 ; les 6 tomes du « Siècle des ombres » par Corbeyran et Suro de 2009 à 2015.
Les différentes couvertures de la série démontrent essentiellement le caractère cinématographique de la série, en mettant en avant des personnages relativement archétypaux (l’agent du gouvernement, la femme-fatale, le monstre anthropoïde potentiellement extraterrestre, etc.), tous aussi athlétiques que charismatiques. En 1997, le visuel composé pour « Ombres » installe une esthétique théâtrale durable : les personnages principaux (au 1er plan) agissent sur une toile de fond qui révèle la tension et la violence de cet univers fantastique et techno-thriller. A partir de 2003 (début du second cycle avec « Rencontres »), la série adopte des visuels plus léchés, où éclate le modèle de l’affiche de film : souvent isolé mais mis en valeur au 1er plan, le personnage principal (qui est le plus souvent Debrah, notamment dans la troisième saison) se détache en pied ou en plan américain sur un fond inquiétant (au second plan, une scène extraite de l’album). Symboliquement, le personnage est observé ou hanté par le visage monstrueux d’un stryge ou le faciès sinistre d’un quelconque bad guy, cerné par une couleur uniforme (violet, rouge, jaune, vert, etc. ; depuis le tome 15, les couleurs sont signées par Dimitri Fogolin) elle-même paroxystique dans son traitement chromé et surexposé. Notons qu’à partir de 2004, les six premières couvertures de la série sont également refondues pour dégager une unité visuelle un peu plus en correspondance avec les tomes suivants.
Comme le souligne Richard Guérineau : « le concept de départ était de créer des images composites avec une charte graphique évoquant des affiches de cinéma ou de série télé, avec une dominante de couleur différente à chaque album du cycle (6 albums, 6 couleurs, primaires et complémentaires). » De fait, les visuels sortant de ce canevas sont assez rares : c’est le cas du tome 12 (« Chutes », 2008), dont la sobriété suggère un mystère d’autant plus inquiétant, ou des tomes 13 (« Pouvoirs », 2010), 15 (« Hybrides », 2013) et 17 (« Réalités », 2016), pour lesquels le personnage de premier plan est intégré au décor et où le visage de fond en filigrane n’apparaît pas. Quelques couvertures de tirages de luxe simplifient également l’esthétique habituelle : « Expériences » (tome 4 en 2000) insiste sur l’efficace duo Nivek-Debrah ; « Vestiges » tome 5 en 2001) démontre l’habileté de Debrah pour les armes blanches ; « Existences » (tome 6 en 2002) se focalise sur un stryge monstrueux ; le tome 8 (« Défis », 2004) représente un très beau plan buste de Debrah, personnage dont la dualité apparaît ici probablement plus que jamais.
En effet, depuis le jour où Debrah Faith a tué le puissant Sandor Weltman, la jeune femme a autant hérité de son patrimoine que de sa folie : lui ayant raconté sa vie et son pacte d’immortalité avec les Stryges, le vieil alchimiste lui a aussi légué sa mégalomanie et sa schizophrénie. In fine, Debrah devra donc se résoudre à choisir entre monde dirigé par les humains ou les stryges, le pari hybride étant somme toute risqué, entre rééquilibrage génétique et destinée opportuniste. Corbeyran et Guérineau n’ayant jamais été avares de cascades de révélations en tous genres, attendons-nous – telle que la seconde partie de ce tome 17 l’amorce – à un final apothéotique (mais apocalyptique, dans la veine du « Prométhée » de Christophe Bec…) de cette fabuleuse saga fantastique.
Philippe TOMBLAINE
« Le Chant des Stryges T17 : Réalités » par Richard Guérineau et Éric Corbeyran
Éditions Delcourt (14, 95 €) – ISBN : 978-2756065496
Cette saga est de plus en plus décevante ; le scénariste tire à la ligne, et, à force d’empiler les retournements de situations, on ne sait plus qui veut quoi ni pour quelles raisons ces personnages de papier s’agitent aux quatre coins du monde ; une fois de plus, un bon dessinateur pâtit d’un faible scénariste . Le scénario, c ‘est vraiment le talon d’Achille de la BD franco-belge contemporaine, et cette saga en est un exemple criant