Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Holly Ann T1 : La Chèvre sans cornes » et « T2 : Qui arrêtera la pluie ? » par Stéphane Servain et Kid Toussaint
Dans la Nouvelle-Orléans des débuts du XXe siècle, le crime sordide se teinte souvent de mystères qu’Holly Ann est la seule à pouvoir solutionner. Entre rituels vaudous et sombres bayous, cette belle jeune femme métisse s’était lancée à la recherche d’un riche adolescent disparu dans l’enquête « La Chèvre sans cornes » (Casterman, janvier 2015). Après avoir bouclé cette affaire, la voici confrontée dans ce deuxième tome au meurtre d’un Indien, le dernier Natchez (considéré comme le maître des saisons) dont la fille réclame justice. Avec « Qui arrêtera la pluie ? », Kid Toussaint et Servain concoctent un récit policier d’une grande finesse psychologique, également marqué par de somptueuses couleurs liées à une atmosphère devenue angoissante : à cause des intempéries, les eaux du Mississippi envahissent les rues de la ville…
En couverture du tome 1, les lecteurs découvrent une nouvelle héroïne américaine sous l’angle immédiat du fantastique : Holly (« sacrée ») femme, dont on ne saurait encore dire s’il s’agit d’une prêtresse vaudou (dans la mesure où la chèvre blanche tenue dans ses bras évoque l’idée du sacrifice rituel, d’où le filet de sang s’écoulant de son cou sur la robe d’Ann) ou d’une protectrice des faibles et des innocents (l’animal, sans cornes et égorgé, incarne la victime symbolique). Le cadre est à l’aune de cette description inquiétante : masses glauques noirâtres et verdâtres (mousses espagnoles et zones d’obscurité), lucioles et circonvolutions des branchages tendent à transformer ce cadre aliénant en un labyrinthe dont seule Ann connaitrait les accès ou les issues.
Pour le tome 2, Holly Ann se pare d’une tonalité morbide digne de Charon : barque-cercueil du nocher, eaux diluviennes devenues un fléau pour l’humanité (l’album prenant à l’évidence un écho plus contemporain si l’on songe aux inondations de) et grillage de fer forgé menaçant, en surplomb de l’héroïne. Détourée par l’espace lumineux d’une fenêtre, Holly Ann semble une nouvelle fois la seule apte à pouvoir maîtriser cet espace urbain et humain en péril, à « diriger sa barque » en dépit des éléments contraires et à comprendre les forces en présence. Précisons que cet album évoque le peuple Natchez, qui vivait jadis dans l’un des quartiers la Nouvelle-Orléans : cette société indienne était dirigée par un « Grand Soleil » (équivalent à un roi), d’où le titre symbolique de cet opus.
Selon Kid Toussaint, lors de l’élaboration des couvertures, « il paru évident assez rapidement que Holly Ann serait au centre de chacun des visuels du premier cycle (constitué de trois tomes dont les deux déjà parus). Le plan moyen de face s’est imposé à Stéphane. Pour le tome 1, ce dernier a ainsi opté pour une évocation littérale de l’expression « chèvre sans corne » (intitulé qui n’est devenu que par la suite le titre final de l’album). « La chèvre sans corne » dans le milieu vaudou désigne le sacrifice d’un enfant blanc (notamment selon Robert Tallant dans « Voodoo in New Orleans »). Ceci dit, comme beaucoup de choses liées au vaudou – plus encore à la Nouvelle-Orléans – et comme je l’explique dans l’album, il s’agit d’un mythe non corroboré par des faits criminels. »
« Pour le tome 2, il y a eu plusieurs ébauches. Stéphane a finalement repris la scène des cercueils utilisés comme embarcation. J’ajoute pour l’anecdote que cette scène est un petit hommage à Tintin (étant chez Casterman, ça me paraissait approprié !). Le titre de l’album fait référence à une chanson de Creedence Clearwater Revival. »
Selon Servain, pour le tome 2, l’idée de l’embarcation-cercueil est venue assez naturellement : « la difficulté a été rendre l’élément lisible (ce n’est pas une simple barque), de notifier plus précisément l’ambiance de la Nouvelle-Orléans (ce tome ci se déroulant essentiellement en ville), ce tout en conservant l’intention amorcée dans le tome 1, avec notamment le personnage de Holly Ann se tenant debout au centre de la composition. »
Bercée d’une certaine torpeur, digne des rythmes coutumiers de La Louisiane, « Holly Ann » est une série qui se sublime dans l’esquisse graphique des lieux et des personnages (le trait de Servain étant en ce sens assez proche de celui d’Alex Alice ou Mathieu Laufray). À commencer par une héroïne altruiste – sachant cependant défendre ses propres intérêts – et sensuelle, dont les motivations profondes demeurent toutefois très mystérieuses. Peut-être en apprendrons-nous plus à son propos dans le futur tome 3, déjà en préparation : « Né dans le Bayou ».
Philippe TOMBLAINE
« Holly Ann T1 : La Chèvre sans cornes » par Stéphane Servain et Kid Toussaint
Éditions Casterman (, €) – ISBN : 978-2-203-06860-5
« Holly Ann T2 : Qui arrêtera la pluie ? » par Stéphane Servain et Kid Toussaint
Éditions Casterman (13,95 €) – ISBN : 978-2-203-09624-0