Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« L’Oiseau bleu » par Takashi Murakami
Un paysage idyllique, une famille heureuse qui profite d’un temps de repos pour apprécier cette sortie au grand air. Puis le drame, un accident de voiture sur le chemin du retour. La mort de l’enfant, le père dans le coma et une femme qui reste seule. Seule à savoir qu’elle a tout perdu, sauf l’espoir. « L’Oiseau bleu » est un récit réaliste et bouleversant dans la collection Lattitude des éditions Ki-oon.
Ce recueil rassemble trois histoires, trois tranches de vie temporellement éloignées, présentées dans un ordre disparate, mais liées par la force du destin. Tout d’abord, il y a Yuki, une femme simple qui a su se créer une famille qui la rend heureuse. Une femme qui a perdu Shu, son petit garçon de dix ans, dans ce terrible accident de voiture. Accident qui l’a éloignée de son mari Naoki, prisonnier du coma qui le fait végéter. Situation douloureuse pour elle. Mais elle veut être forte et le veiller en souvenir du bon temps passé ensemble. Puis, il y a les parents de son homme. Eux aussi ont leurs problèmes : la maladie d’Alzheimer qui fait perdre tout discernement à ce beau-père, lui aussi soutenu par sa femme. Mais ils sont âgés et cela devient de plus en plus dur à gérer. C’est cette belle famille que l’on retrouvera dans le troisième chapitre, mais aussi dans le second, après avoir remonté le temps à une époque où ce grand-père n’était qu’un jeune ouvrier dans une aciérie. Tous ces destins sont liés et chacun à ses problèmes. Tout le monde perd un être cher à un moment où à un autre, c’est le cycle de la vie. Mais la question est surtout de savoir comment les survivants réagissent quand cette mort est brutale et inattendue. Le plus dur, pour Yuki, étant que son mari ne soit pas mort physiquement, mais gardé dans un état dont il ne pourrait jamais sortir. Elle ne peut donc faire son deuil et estime que son devoir est de s’occuper de lui, coûte que coûte.
Toute cette tragédie est arrivée à cause d’un oiseau qui, en volant trop près de la voiture familiale, l’a poussée à faire une embardée dans le fossé avec les conséquences dramatiques qui peuvent résulter d’un tel accident. « L’Oiseau bleu » qui donne son titre à cet album est à l’origine une pièce de théâtre datant de 1908 créée par le Belge Constantin Stanislavski. Elle raconte la quête de deux enfants pour retrouver un oiseau censé apporter une guérison rapide à leur mère. Au cours de leur périple, ils vont rencontrer de nombreux membres de leur famille qui ne sont pas encore nés ou sont déjà décédés. Cette pièce est extrêmement connue au Japon, notamment chez les quarantenaires, car une adaptation en anime y fut diffusée dans les années 1980 (1). Le spectacle est d’ailleurs évoqué dès le début du manga, alors que la famille n’a aucune idée des événements qui se préparent : cette pièce et l’oiseau servant ici de fil conducteur et de symbole de vie ainsi que de mort.
Takashi Murakami est également l’auteur du « Chien gardien d’étoiles » paru chez Sarbacane. Manga également bouleversant sur la vie et la mort d’un homme et d’un chien. C’est avec le même style, très simple, plein de tendresse et de réalisme qu’il aborde son triptyque de « L’Oiseau bleu ». Son trait plein de vie donne de l’espoir face à la réalité sombre qu’il expose dans ses cases. Tout est ici traité de manière assez positive, même si la réalité est tout autre. C’est par les mots et les actions que l’on sent le profond désespoir qui envahit les différents protagonistes. Bien sûr, ces trois histoires sont liées entre elles et ce recueil ne leur donne un sens qu’une fois lues les unes après les autres. Lorsqu’on referme ce livre, tout semble évident, l’enchaînement des événements, la vie passée et présente des acteurs, leur devenir, leur choix et tout ce qui fait qu’ils existent tout simplement.
Ce manga est à l’image de la vie, faite de joies, de peines et surtout de beaucoup de moments d’abattement qu’il faut surmonter. Loin d’être déprimant malgré le sujet lourd de la perte d’un enfant, il nous enseigne qu’il y a toujours de l’espoir si on veut bien s’y accrocher.
« L’Oiseau bleu » par Takashi Murakami
Éditions Ki-oon (15€) – ISBN : 9782355928857
(1) Le dessin animé « L’Oiseau bleu » fut diffusé sur FR3 (ancienne dénomination de France 3) durant l’année 1986. La série compte 26 épisodes qui ont été rediffusés en 1988 et 1998.