Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« Seuls T9 : Avant l’Enfant-Minuit » par Bruno Gazzotti et Fabien Vehlman
Déjà deux fois primée au festival d’Angoulême, la série « Seuls » renouvelle l’écriture de la bande dessinée jeunesse au long cours. Beaucoup de surprises et de rebondissements pour cinq jeunes héros, toujours solidaires dans un monde apocalyptique sans adultes, dans ce neuvième volume qui clôt brillamment le second cycle de la série.
Commencée en 2006, la série « Seuls », prépubliée dans le magazine Spirou, devrait compter au total une vingtaine d’albums. Elle rencontre, depuis près de 10 ans, un succès jamais démenti, car elle a su toucher un vaste public ; des plus jeunes qui suivent impatients les aventures d’un groupe de cinq enfants-adolescents de leurs âges aux adolescents dont les centres d’intérêt ont évolué en parallèle de ceux des héros de la série. Ainsi, le duo d’auteurs Vehlmann–Gazzotti a pu fidéliser des lecteurs âgés d’une dizaine d’années, lors de la parution du tome 1, qui sont maintenant de jeunes adultes. C’est ce même phénomène qui a expliqué le succès de la saga « Harry Potter », dont une partie du lectorat a grandi en même temps que le jeune sorcier.
La série s’ouvre par la découverte d’une ville vidée de ses habitants, excepté cinq enfants, seuls donc, mais toujours solidaires. Dodji, 11 ans s’impose comme le chef de la petite bande par sa maturité. Son enfance difficile, sa vie dans un pensionnat pour délinquants explique son caractère trempé. Leïla, 12 ans, est une jeune fille débrouillarde, toujours positive qui seconde Dodji. Plus réfléchi, avec un côté artiste, Yvan, 9 ans compense un caractère craintif par un solide sens de l’humour. De quoi s’occuper des deux benjamins de la troupe, la timide et trop naïve Camille et le petit dernier de 6 ans, l’émotif Terry.
À l’issue d’un premier cycle de cinq albums, les cinq héros comprennent la cause de leur situation ; ils sont tous décédés et errent dans une quatrième dimension qu’ils appellent les limbes. Dans un second cycle de quatre albums, ils découvrent ce monde étrange peuplé d’autres enfants dans le même état qu’eux, mais dont certains bénéficient de pouvoirs parfois inquiétants, que ce soit l’Enfant-Minuit, le Maître Fou ou le Maître des couteaux.
Dans le neuvième album de la série, qui clôt le second cycle, Camille reste en ville pour surveiller Saul et l’empêcher de nuire. Ses quatre camarades, bloqués par la neige, trouvent refuge dans un chalet. Une dispute éclate alors, Dodji s’enfuit sur une motoneige, car il a peur d’être l’Enfant-Minuit, c’est-à-dire l’élu du mal. Peu après, Leïla, Yvan et Terry sont attaqués par la milice d’Achille. Les héros de Seuls sont menacés par un danger qu’ils ignoraient jusqu’à présent, la séparation. De nombreuses questions n’auront de réponses que dans le troisième cycle de leurs aventures.
Le succès de cette série épique s’explique par la réussite de l’alliance contre nature entre le sombre scénario de Fabien Vehlmann et le classique, mais efficace, dessin de Bruno Gazzotti, dans un pur style franco-belge, réaliste à « gros-nez ». Le récit d’aventures fantastiques pour lequel les jeunes lecteurs se passionnent est sous-tendu par des thématiques sérieuses, de la fragilité de la vie ou de l’amitié à la perte de l’innocence enfantine face à la mort et de la formation du caractère de chacun par la confrontation aux autres à un questionnement quasi métaphysique sur le sens de la vie.
L’évolution des personnages sonne juste, les joutes verbales fort bien dialoguées crédibilisent encore davantage le réalisme des relations entre les enfants. Vehlmann mêle subtilement passages sérieux et situations gaguesques, de quoi soutenir l’attention d’une génération de lecteurs depuis près de 10 ans, génération qui accompagne des héros qui mûrissent en même temps qu’eux.
Autre héros du magazine Spirou, dont les aventures connaissent un beau succès public en album : Louca, le footballeur paresseux et maladroit qui est, heureusement pour lui, aidé par Nathan, un talentueux fantôme. Le jeune Bruno Dequier a su mener tambour battant un récit initiatique souvent drôle, toujours émouvant autour de la relation amicale entre le naïf Louca et le plus volontaire Nathan, son camarade décédé que lui seul peut voir.
Le quatrième volume de la série reprend à un moment crucial d’un match de football, indécis et vital pour la survie de l’équipe de Louca (voir notre chronique sur le tome 3). L’occasion pour le collégien de faire, enfin, preuve de caractère, avec l’aide bienveillante de Nathan.
Plusieurs questions restent toutefois sans réponses, elles ne seront élucidées que dans un cinquième volume, très attendu.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Seuls T9 : Avant l’Enfant-Minuit » par Bruno Gazzotti et Fabien Vehlman
Éditions Dupuis (10,60 €) – ISBN : 978-2-8001-6094-8
« Louca T4 : L’Espoir fait vivre » par Bruno Dequier
Éditions Dupuis (10,60 €) – ISBN : 978-2-8001-6334-5
Je ne partage pas tout à fait votre critique si positive sur ce deuxième cycle de la série Seuls. Le scénariste nous perd volontairement dans une nébuleuse incompréhensible.
Je n’ai par ailleurs pas vraiment trouvé que cet album marquait la fin d’un cycle. Autant, le tome 5 marquait effectivement une mini-conclusion (bien que résumée en une petite phrase lapidaire), autant là, j’ai du mal à comprendre. Je reconnais aussi volontiers que j’oublie certainement d’une année sur l’autre quelques éléments qui doivent être distillés au compte-goutte et de manière cachée. Je ne prends pas la peine de relire mes anciens Spirou avant de débuter la lecture de chaque nouveau tome.
Certains éléments mystérieux depuis le début de la série restent toujours sans aucune réponse, et non contente de nous éclaircir de ses lumières ou de nous apporter quelques révélations, la série en fait un peu trop en ajoutant de l’énigmatique, du surnaturel et du fantastique à haute dose, telles des couches qui s’empileraient, sans jamais n’apporter qu’un semblant d’explications.
Bref, les auteurs en font trop, et n’apportent pas assez de réponses au fur et à mesure de leurs albums. Et j’y perds donc progressivement en intérêt.
Bonjour,
Votre avis argumenté est tout à fait recevable. La série multiplie les personnages et les lieux, loin de la simplicité des premiers volumes. On peut trouver difficile de s’y retrouver, en lisant un nouvel album, si la lecture du précédent remonte à sa parution, un an auparavant.
Néanmoins, je pense que les auteurs maitrisent l’évolution du récit. L’apparition de nouveaux personnages et de lieux inusités apportent des indications sur le passé des héros et relance l’intérêt de la série. Les auteurs pour la jeunesse comme Vehlmann et Gazzoti n’hésitent plus à noircir leurs histoires, à jouer avec les angoisses des lecteurs sans rebuter les plus jeunes. C’est une évolution que l’on retrouve chez plusieurs bédéistes. Ainsi dans une interview à paraitre bientôt sur notre site, Patrick Sobral, (« Les Légendaires ») explique qu’il n’hésite plus à franchir certaines barrières (violence/drame/histoires complexe/etc…) après avoir fait paraitre son album « La Belle et la bête », Je cite « (…) J’ai pris un tel plaisir à tester cette noirceur à laquelle je faisais barrage depuis plusieurs années que, lorsque je suis revenu à la série des Légendaires, j’ai décidé de faire sauter toutes ces barrières que je m’étais imposées. Les Légendaires est devenu plus « dark », plus violent, plus dramatique… plus épique ! Il est vrai que ce virage dans la série a choqué et braqué une infime partie de mes fans, mais je sais que j’ai pris la bonne décision car la série est bien meilleure depuis et les enfants gèrent beaucoup mieux ce nouveau ton que je ne l’aurais cru. C’est gagnant pour tout le monde. ».
Avec cette évolution, la BD jeunesse franco-belge, assimile certains aspects qui étaient l’apanage du manga ; violence – histoire complexe – évolution des personnages sur des dizaines de volumes. Difficile, à moins de relire tous les tomes régulièrement, de se repérer aisément dans tous les volumes de sagas comme « One piece » ou « Naruto » !
Personnellement, je trouve cette évolution très positive, elle enrichit tout un domaine de la BD francophone, trop longtemps brimé par la loi sur les publications pour la jeunesse de 1949.
Laurent Lessous