Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Esprits des morts » par Richard Corben
Poe, Corben. Corben, Poe. Deux noms qui résonnent comme un mythe jumeau depuis des décennies, maintenant… Alliance de deux génies au-delà du temps, éternellement renouvelée… Les éditions Delirium nous proposent aujourd’hui un album reprenant les dernières adaptations en date des grands textes de Poe réalisées par Maître Richard. À nouveau un bonheur effroyable… !
Poe et Corben, ça ne date pas d’hier… Les fans français se souviennent de l’album « La Chute de la maison Usher » paru chez Albin Michel/Spécial USA dans les années 1980. Depuis des décennies, Richard Corben se penche régulièrement sur l’œuvre d’Edgar Poe, à l’instar de Baudelaire qui semblait avoir trouvé là les écrits d’un frère d’âme et d’art. La résurgence récurrente de Poe dans le travail de Corben pourrait même inquiéter, révélant une sorte d’obsession pathologique où l’artiste n’arriverait pas à sortir de tentatives sans fin, toujours en-deçà d’un idéal jamais atteint… Mais le travail de Corben sur Poe ne s’inscrit pas dans cet écueil ; il est certes obsessionnel, mais il obéit à d’autres voies. Selon Corben, on ne devrait même pas appeler son travail « adaptations » tant il se sent éloigné de ce procédé. Dans l’interview que nous pouvons lire en ouverture de cet album, Corben s’explique à ce sujet en précisant que son travail n’est pas une mise en images des textes de Poe, ni leur adaptation littérale, mais une interprétation de ce qu’il peut ressentir en recevant ce que suggère Poe à travers ses récits horrifiques. Ainsi, en explorant telle ou telle facette de ce ressenti, à travers le temps, différentes expressions de ces textes peuvent être réalisées sans qu’elles soient des redites ou des réactualisations, ni même de réelles déclinaisons tant les différentes versions de Corben n’ont souvent rien à voir les unes avec les autres, notamment en compagnie de Rich Margopoulos…
Cet album de 244 pages nous offre l’intégralité de la dernière « session » d’adaptations de Poe qu’a réalisée Corben entre le début de l’année 2012 et fin 2014. Près de trois ans pendant lesquels l’artiste a réinventé une nouvelle fois sa passion de Poe et son regard sur ses œuvres, ne cherchant pas la surenchère dans le gore mais essayant plutôt d’en dégager une autre dramaturgie. Bien sûr, l’horreur et l’érotisme si chers à l’auteur sont présents, mais l’on sent avant tout une volonté de mettre en scène la théâtralité de l’angoisse au sein d’une trame respectueuse de l’esprit du grand Edgar. 14 récits plus ou moins longs où nous retrouvons de grands classiques tels que « La Chute de la maison Usher », « Le Corbeau », « Double Assassinat dans la rue Morgue », « Le Ver conquérant », pour ne citer qu’eux, trouvant ici une nouvelle respiration malgré leur caractère maintenant éternel. Le trait de Corben est rond et généreux, presque gras, n’hésitant pas – comme à son habitude – à lorgner vers l’exagération, la déformation, la bizarrerie, afin de générer des visions ambiguës et inquiétantes au-delà de certaines apparences. On le sait, l’une des facettes primordiales du style de Corben est la mise en couleurs, et même si le numérique est passé par là , l’ambiance chromatique de ces récits est réussie, alternant tons rompus et couleurs vives dans des contrastes à la fois forts et subtils (une mise en couleurs qu’il a coréalisée avec sa fille, Beth Corben Reed).
Outre l’interview précitée et une biographie de Corben par George Walter, cet ouvrage nous propose aussi une nouvelle traduction du poème éponyme « Spirits of the Dead » par Jean Hautepierre et une galerie des couvertures originales américaines. Je ne pourrais décemment pas finir cet article sans dire quelques mots sur le réjouissant hommage à EC Comics et aux publications Warren (Eerie et Creepy) que rend une nouvelle fois Corben à travers ces récits. La plupart d’entre eux sont en effet introduits et conclus par la tirade d’une certaine vieille sorcière au physique plus qu’ingrat, participant même parfois à l’action de quelques histoires… Ce faisant, Corben confirme son attachement à ses racines tout autant qu’il le fait avec Poe, infini va-et-vient entre passé, présent et futur… Les esprits des morts sont toujours vivants, chers fans d’horreur… vous le constaterez en vous plongeant dans ce nouvel opus de l’immense Corben, à jamais complice d’Edgar…
Cecil McKINLEY
« Esprits des morts » par Richard Corben
Éditions Delirium (26,00€) – ISBN : 979-10-90916-20-3
Ah ce Corben! Depuis la découverte des planches de Den, je ne m’en suis jamais remis! C’est comme pour le cochon, tout est bon dans le Corben et il fait partie de ces dessinateurs qui, lorsqu’ils sont dans une « petite veine » créative, sont encore au dessus du lot!
Edgar Allan Corben et Richard Poe étaient faits pour se rencontrer, ou comment la bande dessinée rejoint la littérature et fusionne avec elle telle la rencontre oh combien fusionnelle entre Den et Katherine (Keeth-ren dans cet autre univers) ooh ooh.. je me calme!
Hello, Barre.
Merci de votre commentaire. Et quand la BD enflamme et passionne ainsi, il ne faut surtout pas se calmer !
Bien à vous,
Cecil
Très bon article récapitulatif.
Je suis en train de finir l’album, et je suis déjà très heureux de pouvoir découvrir une nouvelle version de « la Chute ».
> 49 pages pour bien développer, à nouveau, ce qui avait déjà été fait une première fois dans l’album Albin Michel (associé au Corbeau et à Ombre, versions couleur), mais en 28 pages seulement… c’est un régal.
…Superbe maquette, grand format. Delirium nous gâte vraiment.
Hello Hector,
Merci pour votre commentaire.
Oui, Delirium nous gâte, c’est vrai !
Comme vous le dites, un régal…
Bien à vous, Cecil