Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Le Journal de Jo Manix : mai 1996 – mai 2001 » par Joëlle Guillevic
La dernière partie d’un témoignage important de l’histoire de la bande dessinée est paru en ce début d’été aux éditions Flblb. Il s’agit du deuxième tome du « Journal de Jo Manix : mai 1996 – mai 2001 », écrit et dessiné par Joëlle Guillevic. « Le Journal de Jo Manix : mars 1994 – juillet 1995 » était paru en 2009. La lecture de ces ouvrages nous replonge à la charnière des années 1990/2000, dans l’univers du fanzinat.
Joëlle Guillevic (alias Jo Manix), son compagnon Nylso (signant à l’époque Nyls O.) et  le frère de ce dernier Philipe Masson (sous le pseudonyme de Fil-Hyp) lancèrent Le Simo, fanzine rennais en 1993. Le principe de cette publication était de publier six histoires pour lesquelles le lecteur devait trouver les six mots à l’origine de chaque chapitre. Dans la mouvance de l’esprit du Do it Yourself, Le Simo devint aussi une structure d’édition permettant aux membres fondateurs de développer des projets plus personnels.
Au sein de cette structure, Joëlle Manix se lance alors dans l’autobiographie pour relater son expérience de dessinatrice débutante au travers de ses « Carnets », ses « Artists Sketch Book » et autres petites publications : « Sierre », « Nice », « Le Cadeau d’anniversaire ».
« Le Journal de Jo Manix : mars 1994 – juillet 1995 » nous entraîne avec Joëlle et Nylso dans leur première tournée d’éditeurs et journaux parisiens, ceci afin de placer leur travaux ; nous rencontrons avec eux d’autres représentants de l’auto-édition (Laurent Lolmède, Jean-Paul Jennequin, Richelieu, l’équipe d’Ego comme X …) et les librairies devenues mythiques qui les soutiennent : Impressions, Le Regard moderne… Nous les accompagnons à travers la France dans les festivals BD (ceux de Chinon, Redon, Chalonnes-sur-Loire…), avec les joies de remporter des prix et la fatigue des kilomètres, mais aussi l’opportunité de voir des travaux paraître dans Astrapi après la rencontre avec Serge Bloch à Angoulême.
Rendez-vous chez l’imprimeur, animation en M.J.C., cession de dessins… Parallèlement à ce travail de dessinatrice et d’éditrice, Joëlle nous raconte aussi sa vie quotidienne. Les repas de famille chez ses parents ou ceux de Nylso, la garde de leur neveu, les virées sur les plages malouines pour fuir la chaleur rennaise, les soirées cinéma et les discussions en découlant comme ce très beau passage sur la création artistique après avoir vu « Salam cinéma » de Mohsen Makhmalbaf.
« Le Journal de Jo Manix  : mai 1996 – mai 2001 » débute dans le même esprit avec la participation du Simo au festival de Sierre 1996, grâce au concours « Nouveaux talents » remporté par Jo Manix. Entre visite de la ville et randonnées, elle rencontre d’autres dessinateurs et dépeint un milieu scindé entre professionnels installés et illustrateurs débutants.  Le carnet suivant se place dans le sud de la France : Nice, Solliès-Ville, Narbonne… Comme d’habitude ce périple mêle travail et plaisir, festival et tourisme avec Fafé et El Pitù, collaborateur au Simo et au fanzine Le Phacochère ou Olivier Josso et Laure del Pino, autre couple marquant de ces années-là avec leur fanzine Brulos Le Zarzi.
Malheureusement les fanzines de Joëlle prennent une autre direction, fin 1999, avec la découverte de son cancer. Les soins et la fatigue en découlant s’immiscent un temps dans la vie du Simo et dans son travail. Mais le temps passé en convalescence lui permet de dessiner régulièrement, couchant sur papier l’avancée de sa guérison et ses réflexions sur sa maladie. Le Simo sort en janvier 2000, son deuxième « Sketch Book » pour le festival d’Angoulême. Sa curiosité toujours vaillante, elle assiste à la naissance de la librairie Alphagraph.
Au moment de sa guérison, le nombre d’auteurs rennais s’étoffe et la librairie Alphagraph devient le centre de tout ce petit monde fréquenté par Joëlle et Nylso.
De cette effervescence naîtra le fanzine hebdomadaire Chez Jérôme Comix auquel l’équipe du Simo participera, le n° 0 paraissant fin octobre 2000. Dans ses carnets, la rubrique « Ma semaine rennaise » relate cette ébullition créatrice conjointement à sa vie de tous les jours, à ses questionnements d’auteur.
La dernière publication de Jo Manix datée de mai 2001 annonce la récidive du cancer. Joëlle Guillevic s’éteindra en septembre 2001.
 Nous sommes les témoins, au travers de ces journaux de l’audace tranquille de Joëlle Guillevic qui lui permit d’exposer tous les aspects de sa vie. L’acquisition rapide de son style graphique et narratif, sa maîtrise du pinceau lui donnèrent l’énergie de transférer sur le papier sa gentillesse, son humour et sa liberté. La réédition de cette œuvre offre, sur près de 300 pages, un bel hommage à la mémoire de cette jeune femme, figure majeure des pionniers de l’auto-édition.
« Le journal de Jo Manix : mai 1996 – mai 2001 » par Joëlle Guillevic
Éditions Flblb (15,00 €) – ISBN : 978-2-35761-083-5
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