Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Spécial « séries Urban Comics »
Pour cette dernière chronique estivale (votre rubrique « comics » préférée fera sa rentrée le 29 août), je vous propose un petit tour d’horizon des derniers tomes parus au sein de séries éditées chez Urban Comics : certaines débutent, d’autres sont en cours, d’autres encore se terminent, mais elles ont toutes en commun d’être intéressantes et réjouissantes. Bref, que de la qualité ! Bonnes vacances !
« Harley Quinn T1 : Complètement marteau » par Chad Hardin, Amanda Conner et Jimmy Palmiotti
On commence avec une nouvelle série… et un vrai coup de cÅ“ur ! Si vous êtes fans de Batman (et encore plus du Joker), vous connaissez bien sûr l’ineffable Harley Quinn, ancienne psy qui – après avoir pété un gros câble en tombant amoureuse du Joker qu’elle rencontra alors qu’elle le soignait à l’asile d’Arkham – est devenue « complètement marteau » comme l’indique le titre de ce premier volume. Harleen Frances Quinzel s’est donc transformée en Harley Quinn, super-vilaine extrêmement ambiguë, à la fois touchante, tendre, dangereuse et totalement barrée dans des délires entre rire et larmes… Alors, certes, tout le monde s’accorde à dire qu’Harley Quinn est complètement dingue, mais combien d’auteurs ont réellement su exploiter, explorer et tirer quelque chose de très chouette de ce personnage ? Je ne dis pas qu’il n’y en eut aucun, loin de là , mais avec cette nouvelle série débutée en 2013, on a franchi un pas – et quel pas ! Rarement on avait eu un tel bonheur à lire les aventures d’Harley, dans un second degré aussi libre et respectueux du personnage. Personnellement, je crois que c’est cette série qui me ravit le plus, par rapport à la psychiatre-psychopathe : c’est vraiment dingue, vraiment drôle, vraiment touchant, bref : une réussite totale ! Rarement nous avions eu le privilège d’aborder ce personnage avec autant de vérité, d’amusement et d’intérêt, la série nous faisant plonger dans le quotidien d’Harley sans que des combats à proprement parler super-héroïques ne viennent donner le « ton de rigueur ». Est-ce parce que le duo de scénaristes est sexuellement mixte ? Il y a peut-être un peu de ça, Palmiotti et Conner arrivant à trouver un équilibre parfait dans le délire. Les dialogues sont percutants et drôles tout autant que les situations, donnant à Harley Quinn toute la dimension qu’elle incarne, femme avant tout. L’épisode du n°0 est particulièrement délirant et jouissif, Harley Quinn se voyant dessinée par une flopée de dessinateurs vedettes (Charlie Adlard, Adam Hughes, Sam Keith, Jim Lee, Walter Simonson…) qui se relayent tout au long du « récit ». L’occasion d’exprimer une autodérision absolue, que ce soit envers les personnages, les artistes et auteurs, mais aussi l’éditeur ! L’impertinence règne ici en majesté, et l’on s’amuse beaucoup, vraiment ! Les épisodes suivants ne sont pas en reste, ayant chacun leur lot d’incongruité, d’humour, de pathétique et de folie pure. Alors suivez donc les péripéties d’Harley Quinn dans cette série brillante où vous rencontrerez un teckel et autres amis à quatre pattes, un nain bourru et un vieux machiavélique en fauteuil roulant, ou encore une équipe de roller girls assez dépassées par leur nouvelle joueuse à couettes bicolores… sans parler d’une marmotte empaillée qui parle ! Bref, on est loin des séries super-héroïques habituelles, et Deadpool n’a qu’à bien se tenir : il a maintenant une concurrente de choix ! (Et c’est tant mieux.)
« Transmetropolitan » T4 par Darick Robertson et Warren Ellis
Avant-dernier tome de la belle réédition de ce chef-d’œuvre, en attendant l’ultime volume qui paraîtra mi-octobre (je vous en reparlerai à ce moment-là , Urban Comics préparant une copieuse rentrée ellisienne : outre le cinquième et dernier tome de « Transmetropolitan » paraîtront les T1 de « Trees » et de « Warren Ellis présente Hellblazer »). Au stade où nous en sommes dans ce quatrième tome, les choses se corsent et l’étau se resserre pour notre cher Spider Jerusalem : son affrontement final avec le président « Le Sourire » Callahan est maintenant proche, mais avant d’arriver à cela, rien ne va être simple, bien sûr, car l’adversité est retorse et perverse à souhait ! J’ai déjà dit et redit, ici et ailleurs, combien « Transmetropolitan » est l’une des Å“uvres les plus géniales de l’ère moderne des comics, pour des raisons multiples que je ne vais pas à nouveau répertorier exhaustivement, mais ce quatrième tome – comme les autres – me permet néanmoins d’en exprimer les qualités intrinsèques. Il y a bien sûr Darick Robertson dont le style est impeccable de bout en bout, réussissant à donner corps et âme aux personnages mais aussi à la Ville. Ses dessins incarnent bien l’une des créations les plus puissantes jamais créées par le grrrrand Warren Ellis, « Transmetropolitan » étant assurément l’un de ses chefs-d’œuvre absolus. Ici, précisément, Ellis ne se focalise pas sur ce qui est pourtant le grand combat en devenir du récit, celui d’un journaliste ingérable face à un politique immonde. Alors que le dénouement n’est pas loin, Ellis continue de donner une vision d’ensemble de son projet, ne se jetant pas sans réfléchir dans l’acmé mais préférant offrir un état des lieux des personnages et du contexte social pour mieux faire vivre sa création. Ainsi, l’aspect punk de cette Å“uvre qui, je le rappelle, reste l’un des plus beaux coups de pied au cul de notre société et de notre condition humaine dans l’histoire des comics, n’est pas une finalité ni une posture : Ellis sait comme personne marier l’improbable, nous faisant passer du rire aux larmes, de la révolte à l’émotion, exprimant des ressentis très profonds et sensibles entre deux énormités constituant des monuments de grossièreté et d’esprit trash sans concession. Ici, comme d’habitude, on rit, on écarquille les yeux, on se réjouit, mais on est aussi frappé par des émotions intenses, vraies, d’un humanisme remarquable. Alors que Spider Jerusalem poursuit sa croisade médiatico-politique, il continue de se pencher sur les habitants de sa ville, dressant un portrait de ceux-ci se voulant aussi lucide qu’impitoyable et pourtant plein de compassion. Il sera question dans ces pages de prostitution infantile, du sort réservé aux patients des hôpitaux psychiatriques, et de cette cohorte silencieuse de personnes de tous bords, de tous sexes, de toutes origines constituant l’âme de la Ville… De même, ces grandes gueules de Spider et ses sordides assistantes se voient percées à jour, avec leurs failles, leurs difficultés, leurs impossibilités profondes qui les pétrissent tout autant que leur courage. Le chemin n’est pas tracé, et les héros ne sont pas immortels. Les doutes, la maladie, la fatigue, le désespoir sont là , tout autant que la hargne, le militantisme et la révolte. Bref, ce sont des êtres humains, et Ellis ne l’oublie jamais, à aucun coin de planche. C’est bien cela qui rend « Transmetropolitan » si unique, si génial. Car Ellis, qu’il le veuille ou non, reste un punk humaniste, un révolté sensible, un iconoclaste tendre, un auteur écÅ“uré par la marche que nous prenons tous mais qui n’oublie pas de quoi nous sommes faits. Quinze ans après leur parution, ces épisodes sont toujours aussi percutants, dérangeants, d’une actualité cruelle et révoltante. Ils le seront toujours, si rien ne bouge. C’est bien là le signe d’une grande Å“uvre, importante, nécessaire, iconoclaste, outrancière, déchirante et jouissive.
« Gotham Central » T3 et T4 par Michael Lark, Stefano Gaudiano, Steve Lieber, Ed Brubaker et Greg Rucka
On finit avec une autre très belle série dont j’ai souvent dit aussi tout le bien que j’en pensais… Avec le quatrième tome récemment sorti se clôt donc « Gotham Central », pour la première fois éditée en intégralité chez le même éditeur français, ce qui n’est que justice ! « Gotham Central », c’est la chronique de la vie des flics de Gotham dans l’ombre de Batman, devant protéger la population de menaces parfois « seulement » criminelles, parfois émanant de super-vilains, sans autre super-pouvoir que leurs flingues et leur courage. Une série 100% polar dont les ambiances noires et réalistes font merveille, grâce aux talents combinés des scénaristes Ed Brubaker et Greg Rucka et des dessinateurs Michael Lark et Stefano Gaudiano. Bien sûr, la sortie de ce quatrième et dernier tome fait l’actualité, mais je vais aussi vous parler un peu du tome 3 paru ce printemps, car les deux volumes sont intimement liés par plusieurs éléments. Tout d’abord, il y a « l’affaire Corrigan ». Jim Corrigan est expert scientifique, un technicien du crime sur lequel pèsent de lourds soupçons quant à sa transparence dans sa collaboration avec les flics de Gotham, semblant dissimuler ou revendre des preuves trouvées sur les scènes de crime. Ce n’est pas du tout du goût des inspecteurs de l’unité des crimes majeurs de Gotham, et l’enquête débutée dans le troisième tome va trouver sa finalité dans le tome 4. Ensuite, en « bonus » de la série régulière, on trouve dans ces deux derniers tomes les épisodes des « affaires classées de l’inspecteur Josie Mac » qui étaient parus antérieurement à ceux de « Gotham Central » dans « Detective Comics ». 11 courts chapitres racontant comment cette flic un peu spéciale (elle a des pouvoirs psychiques qu’elle cache à ses collègues et qui font d’elle une personne borderline entre normalité et surhumanité, sorte d’écho au postulat de « Gotham Central ») va finir par intégrer l’unité des crimes majeurs après des enquêtes où se mêlent histoire personnelle et disparitions… Comme d’habitude, Batman est présent sans l’être, ombre planant au loin, entre sympathie et révulsion de la part de ces inspecteurs livrés à eux-mêmes. On retrouvera aussi Catwoman et le Docteur Alchimie qui vont donner du fil à retordre à nos fameux flics… Les dessins et l’ambiance colorée toute en tons rompus expriment toujours aussi bien l’atmosphère polar sombre de la série, avec une petite mention spéciale pour la collaboration de l’excellent dessinateur Jason Alexander sur l’histoire en deux chapitres « Boulevard des tordus ». Les épisodes de « Josie Mac », eux, sont signés Judd Winick et Cliff Chiang, dans un style plus « clair ». L’ensemble de l’œuvre reste et restera un événement important dans l’univers DC, série d’une grande intelligence lui apportant une dimension humaine indéniable…
Cecil McKINLEY
« Harley Quinn T1 : Complètement marteau » par Chad Hardin, Amanda Conner et Jimmy Palmiotti
Éditions Urban Comics (19,00€) – ISBN : 978-2-3657-7768-1
« Transmetropolitan » T4 par Darick Robertson et Warren Ellis
Éditions Urban Comics (22,50€) – ISBN : 978-2-3657-7662-2
« Gotham Central » T3 par Michael Lark, Stefano Gaudiano, Ed Brubaker et Greg Rucka
Éditions Urban Comics (22,50€) – ISBN : 978-2-3657-7623-3
« Gotham Central » T4 par Stefano Gaudiano, Steve Lieber, Ed Brubaker et Greg Rucka
Éditions Urban Comics (22,50€) – ISBN : 978-2-3657-7688-2