Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Dans l’intimité de Marie » T1 par Shûzô Oshimi
Isao Komori fait partie de ces jeunes qui n’ont pas de travail et restent cloîtrés chez eux à jouer aux jeux vidéo, ce que les Japonais appellent Hikikomori (1). Il sort seulement le soir pour faire quelques courses dans le coin. Ce qui est bien évidement un prétexte pour croiser « l’ange de la supérette », une jeune fille qu’il aimerait bien aborder, mais il ne sait pas comment. Elle-même, à ses petites routines, elle se rend systématiquement dans cette boutique à 21h et achète toujours la même chose, puis rentre chez elle alors que Isao la suit. Mais un jour, il va étrangement se réveiller dans son corps.
Complètement déboussolé, il ne saura pas comment réagir. Il va tout faire pour préserver l’intimité de cette jeune fille. Il comprend surtout qu’il n’a aucun repère concernant sa vie passée. Il ne sait même pas qui sont ses parents, son frère ou même où se trouvent les toilettes. À l’école, ses copines sentent bien que quelque chose d’inhabituel se passe. Apparemment, cette fille, Marie Yoshizaki, était une bonne élève, studieuse et entourée d’amis. Tout l’inverse d’Isao qui, aujourd’hui, parasite son organisme. Dans un moment de lucidité, le jeune homme va imaginer que s’il est prisonnier du corps de Marie, l’inverse doit également être possible. Mais le Isao qu’il trouve à la supérette ne se souvient même pas de cet ange et semble encore plus nonchalant qu’avant.
Les échanges de corps entre homme et femme, voilà un sujet récurrent de la science-fiction ou de l’érotisme. Ici, c’est l’enquête qui en résulte qui est mise en avant. Quel est le mystère entourant la disparition de Marie ? Dans ce premier tome, l’intimité n’est pas si intime que ça puisque Isao refuse de souiller son corps, ne serait-ce qu’en la regardant dans la glace. Il a même du mal à fouiller dans ses affaires pour choisir des sous-vêtements. Il va jusqu’à s’habiller ou prend son bain avec un bandeau sur les yeux. Mais ne vous laissez pas attendrir par ce premier volume, la véritable nature des différents protagonistes va se révéler au fur et à mesure que l’histoire progresse.
Au travers des interrogations et des différentes situations, on peut facilement deviner que c’est un homme qui est derrière ce récit. La psychologie féminine n’est clairement pas son fort, mais comme il est question d’un garçon dans un corps féminin, il est logique qu’il finisse par agir en mâle. Les premiers chapitres expliquent la situation et lèvent le voile sur d’éventuelles relations lesbiennes de l’héroïne avec l’une de ses camarades. Mais tout cela, et bien d’autres révélations, sera à découvrir dans les tomes suivants. Une chose est sûre, Isao Komori, qu’il soit dans son corps ou dans celui de Marie est vraiment pathétique. Bien évidemment, le plus important est : mais qu’arriverait-il lorsque la vraie Marie reviendra et surtout où est-elle maintenant ?
Aujourd’hui, cette série ne compte que 5 volumes au Japon et avance doucement, mais sûrement. Les sentiments des personnages évoluent et on découvre leurs vraies natures. Inévitablement, on arrive à des états de fait contraires à la logique. Ces situations paradoxales révèlent de vraies surprises. En espérant que la conclusion soit à la hauteur.
Gwenaël JACQUET
« Dans l’intimité de Marie » T1 par Shûzô Oshimi
Éditions Akata (7.95 €) – ISBN : 2369740574
(1) Hikikomori pourrait se traduire par NEET en bon franglish (Not in Education, Employment, or Training : Ni dans l’éducation, au travail, ou stagiaire). Les deux termes étant utilisés au Japon en fonction de la gravité de la pathologie.