Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Chat vs Humain » par Yasmine Surovec
Au sein de cette rubrique « comics », l’album que je vous propose cette semaine est un peu à part, et résolument atypique par rapport à l’ensemble de la production que je critique généralement. Mais c’est justement l’occasion de rappeler une nouvelle fois combien la bande dessinée américaine ne peut se résumer aux seuls super-héros et autres créations vertigoesques, bien plus éclectique qu’il y paraît. Ici, nous avons affaire à un album acidulé et charmant dressant le portrait d’une « femme à chats » complètement gaga de tout ce qui miaule et ronronne, parfois jusqu’au ridicule. À la fois léger et caustique, ce comic offre un vrai bol d’air frais, d’une drôlerie épatante. Un petit bijou pour toute personne folle des minous !
Au départ, Yasmine Surovec a posté quelques petits dessins sur Facebook décrivant des scènes humoristiques sur le thème des relations entre humains et chats. Mais assez vite, cela devint un blog proposant une suite de bandes dessinées courtes au trait plus affirmé qui explorèrent plus avant les différentes facettes de la vie d’une femme complètement folle des chats, mettant en exergue les éléments les plus symptomatiques que tout dingue des minous a connu un jour dans sa vie. Parfois tendres, parfois acides, ces saynètes irrésistibles de drôlerie dressent le portrait psychologique de la femme à chats tout autant que celui du chat lui appartenant. Chaque lecteur ou lectrice minouphile retrouvera ici ce qu’il a un jour connu – ou connaît encore – à travers sa vie avec son ou ses chats, l’auteure ayant un réel talent pour traquer tous les travers et les bonheurs inhérents à cette relation si particulière… qui peut mener très loin ! Et c’est là où cet album est tout à fait épatant ; en effet, le résultat aurait pu être mièvre ou gnan-gnan, mais c’est tout le contraire, Yasmine Surovec ne s’épargnant pas une seconde (car nul doute : la femme à chats ici représentée, c’est bien elle !) lorsqu’il s’agit de montrer combien l’amour des chats peut rendre toute personne totalement débile d’amour, perdant toute dignité, se noyant dans le ridicule. Et le résultat est souvent à mourir de rire, mélange détonnant de mignonnerie et d’humour grinçant. Et comme tout ceci sonne vrai !
Car les chats, Yasmine Surovec les connaît par cÅ“ur. Elle sait donc de quoi elle parle ! « J’ai eu des chats toute ma vie durant. J’ai grandi entourée de chats qui étaient des chats sauvages avant qu’on ne les accueille. Mes tantes et mes parents avaient pour habitude de recueillir les chats errants qui miaulaient en pleine rue. Ce sont vraiment de sacrés personnages, tous empreints d’une personnalité unique. C’est la raison pour laquelle une bonne partie de mes scenarios est tirée de la relation que j’entretiens tous les jours avec eux. J’aime beaucoup continuer à m’occuper de mon blog tout en faisant le livre. Je prends beaucoup de plaisir à le faire, et je continuerai aussi longtemps que je le pourrai. Mon but est de divertir les gens et de partager ma vision des chats à travers mes bandes dessinées. » Divertissement assuré en parcourant cet album où l’on sourit et rit tout en jouissant de ces situations qui font écho à notre propre expérience des chats, parfois jusqu’à l’outrance, la démesure. Ainsi, les scènes comparant la femme à chats « normale » (qui lance une phrase dégoulinant de tendresse à son protégé) et la femme à chats déblatérant des mots complètement incohérents tellement elle est gaga des minous sont vraiment drôles, tout comme ces séquences intitulées « Si les humains agissaient comme des chats » qui sont des petites perles dont je ris encore…
Ici, aucune condescendance, aucune pitié. Ni pour la femme à chats (qui peut être pathétique, ou victime consentante), ni pour le chat (qui en prend aussi pour son grade, l’auteure égratignant nos félins domestiques dans ce qu’ils ont de plus pénible). Mais il règne en ces pages beaucoup d’amour et d’humour, ainsi qu’un esprit bienveillant où se côtoient ironie et lucidité, tendresse et folie… Avec un style rond au trait épuré et des couleurs en à -plats, l’auteure nous convie à un petit théâtre qui nous pousse à regarder notre relation aux chats avec maturité et espièglerie, contraste aigre-doux qui entend nous faire rire avant tout. Il sera aussi question des hommes, des chiens, des relations entre tout ce petit monde du quotidien où êtres humains et animaux cohabitent dans une douce folie… qui dit tant sur notre nature profonde ! Délicieux, féroce, charmant, drôle, malin, ce « Chat vs Humain » ravira tous les amoureux et amoureuses des chats au-delà de leurs espérances, croyez-en l’auteur de ces lignes qui est lui-même un frappadingue des ’tits minous ! Un régal…
Cecil McKINLEY
« Chat vs Humain » par Yasmine Surovec
Éditions Hugo Desinge (14,95€) – ISBN : 978-2-7556-1774-0