N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...« Gloria Victis T1 : Les Fils d’Apollon » par Matteo Guerrero, Juanra Fernández et Javi Montes
« Alix », « Murena », « Golias », « Les Aigles de Rome » ou le récent « Maxence » n’ont qu’à bien se tenir, car de plus en plus de bons titres fleurissent autour du thème plurimillénaire de l’Antiquité gréco-romaine ! Paru en octobre 2014, le premier tome de « Gloria Victis » a la bonne idée de se démarquer des titres précédents en abordant un thème inédit : celui des auriges, ces prestigieux conducteurs de char qui, voici deux mille ans, devinrent des légendes en risquant leur vie pour divertir les foules dans le cirque. En couverture, Matteo Guerrero et Juanra Fernández nous propulsent dans leur récit épique au galop, tel un hommage en cinémascope à LA scène mythique du film « Ben Hur »…
En l’an 156 de notre ère, en Hispanie (Espagne), Hermeros, gloire montante chez les auriges, meurt dans un accident provoqué par un de ses concurrents lors d’une tentative d’intimidation pendant une course. Douze ans plus tard, son fils Aelio, devenu esclave public mais engagé – suite à un heureux concours de circonstances – en qualité de palefrenier, va reprendre les rênes de sa destinée.
À l’instar d’une série plus contemporaine comme « Michel Vaillant », le scénario de Juanra Fernández s’attache à donner de l’épaisseur à l’ensemble des personnages, ainsi qu’à rendre compte de la ferveur sauvage et des paris qui entouraient les épreuves antiques. Ce monde sans pitié, dans lequel tous les coups sont permis, est rendu avec dynamisme par le dessinateur espagnol Mateo Guerrero, que les lecteurs de bande dessinée connaissent autant pour ses comics (« Warlands: The Age of Ice » chez Panini Comics en 2003) que pour ses séries franco-belges : citons « Dragonseed », publié par les Humanoïdes Associés avec McClung et Jimenez en 2006 et 2007, « Beast » au Lombard (2008 à 2010) et « Turo » (4 albums au Lombard depuis 2011).
Pour notre présent décryptage de couverture, commençons la course par le début, c’est-à-dire l’explication du titre : « Gloria Victis » se traduit par Gloire aux vaincus selon une formule livrée par l’auteur romain Tite-Live comme antithèse de la célèbre formule Vae Victis (Malheur aux Vaincus !), prononcée par le chef celte Brennus après la conquête de Rome en 390 av. J.-C. Ce « Gloria Victis » vient magnifier l’héroïsme – parfois mortel – de ces hommes devenus l’égal des dieux dans le stade antique, dans un titre complet qui évoque par ailleurs le nom d’Apollon. Nous pourrions nous étonner de voir figurer côte à côte une expression latine et un nom de dieu grec (l’équivalent romain étant Phébus) mais il faut rappeler que les coûteuses courses de char furent jadis instituées en Grèce et en Sicile au Ve av. J-C lors des Jeux pythiques, qui se tenaient tous les quatre ans en l’honneur d’Apollon. Les visiteurs actuels du Musée archéologique de Delphes peuvent également contempler cette célèbre sculpture en bronze qu’est l’ « Aurige de Delphes », découverte en 1896 et témoignage précieux concernant les anciennes traditions sportives. Enfin, la victoire était synonyme d’une distinction honorifique, la couronne de laurier, ce symbole d’Apollon étant aussi mis à l’honneur sur le premier plat ici évoqué.
L’impressionnant visuel de couverture montre la compétition sous ses aspects les plus âpres : l’aurige dirige ici un char en bois léger (une trentaine de kilos) tiré par deux chevaux (bige) et défendant les couleurs (ici les Rouge ou russata) de sa faction. Ces dernières étaient toujours identiques : outre les cochers rouges figuraient les Bleus (veneta), les Verts (prasina) et les Blancs (albata). Comme on peut s’en rendre compte, le passage du premier virage en épingle autour de la spina (partie centrale de la piste) était un moment aussi déterminant que fatidique, où pouvaient s’enchaîner les accidents les plus dramatiques (renversement, bris d’essieux, aurige assommé, écrasé ou piétiné), alors que les chevaux atteignaient en bout de ligne droite leur vitesse culminante, à près de 75 kilomètres/heure dans le cas des quadriges. Ces chars, tirés par quatre chevaux durant les 7 tours de l’épreuve, ont consacré de manière plus ou moins véridiques la course de char (ludi circences) comme l’un des spectacles les plus populaires de l’empire romain.
À Rome, plus de soixante jours par an pouvaient y être consacrés, avec parfois vingt-quatre courses par jour (du matin au soir). De grands édifices furent construits pour satisfaire le peuple, dont le plus célèbre, le Circus Maximus (le très grand stade, en latin), laissa pour sa postérité des nombres vertigineux : un hippodrome de 600 mètres de long dont la capacité d’accueil, déjà de 150 000 spectateurs sous César, passera à 250 000 sous le règne de Titus, pour atteindre le chiffre de 385 000 au IVe siècle !
Une œuvre a à jamais immortalisé la course à la mort des auriges : il s’agit bien sûr de « Ben Hur : Un Récit du Christ », roman de l’écrivain américain Lewis Wallace publié en 1880 et qui relate l’histoire d’un prince juif fictif, Judah Ben-Hur, à l’époque de Jésus-Christ. Au cours du récit, c’est le cheik arabe Ildérim le Généreux qui engage le héros comme conducteur de char, afin de gagner une course de chars prestigieuse où il affronte Messala, un ami d’enfance qui l’avait cependant condamné aux galères pendant trois ans. Adapté plusieurs fois au cinéma (1907, 1925), « Ben Hur » remporte de manière fulgurante la course aux Oscars (11 trophées remportés dont celui du meilleur acteur pour Charlton Heston) dans la spectaculaire version livrée par William Wyler en 1959. Le clou du film, la fameuse course de chars, exigea cinq mois de préparation et 78 jours de tournage. Elle fut prise en charge par Andrew Marton et Yakima Canutt, spécialistes des scènes d’action, ainsi que Sergio Leone et Mario Soldati. Le décor de l’arène, qui s’étendait sur 8 hectares, comportait une piste de 1 400 mètres tournant autour de statues monumentales de 16 mètres de haut. Il pouvait recevoir entre 6 000 et 15 000 figurants sur le plateau creusé des studios romans de Cinecittà.
Notons, qu’assez inévitablement, « Ben Hur » aura donné lieu à nombre de transcriptions graphiques : peintures, décors peints du film mais aussi comics (première version dans Popular Comics n° 38 dès avril 1939 ; Golden Reading Adventure n° 382 par Willis Lindquist et Mario Cooper en 1956 ; Classics Illustrated n° 147 en novembre 1958 par Gerald McCann ; Four Colour n° 1052 en novembre 1959, sous une couverture de Sam Savitt officiellement inspirée du film de Wyler) et albums franco-belges, tels les quatre tomes de « Ben Hur » livrés par Jean-Yves Mitton de 2008 à 2010 chez Delcourt (la course se déroule dans le troisième opus).
Comme le dévoile le projet de couverture du tome 2 de « Gloria Victis » (« Le Prix de la défaite », à paraître en février 2015), le parcours de l’aurige Aelio est loin d’être achevé : de cirques en hippodromes plus prestigieux, ce sont désormais des épreuves bien plus risquées qui l’attendent, dans un monde de compétition symbolisé par des murs hauts et étroits…
Philippe TOMBLAINE
« Gloria Victis T1 : Les Fils d’Apollon » par Matteo Guerrero, Juanra Fernández et Javi Montes
Éditions Le Lombard (13, 99 €) – ISBN : 978-2-8036-3388-3