Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Thierry de Royaumont », chef-d’œuvre de la BD médiévale !
Les éditions du Triomphe (1), éditeur précieux pour ses travaux en faveur de la réédition du patrimoine du 9e art chrétien (2), proposent une nouvelle réédition particulièrement soignée de « Thierry de Royaumont », série médiévale de Pierre Forget et Jean Quimper publiée dans l’hebdomadaire Bayard entre 1953 et 1959. Aujourd’hui, Henri Filippini vous dit tout sur ce petit joyau méconnu de la bande dessinée populaire !
Thierry de Royaumont, jeune noble provincial vivant sous le règne de Philippe Auguste, est le témoin impuissant de la déchéance de son père, Arnold de Royaumont, accusé d’avoir trahi ses compagnons croisés en Terre sainte. Refusant de croire en cette félonie, le jeune homme décide de partir pour le lointain Orient, chercher les preuves de l’innocence de son père.
C’est en parcourant les routes de France qu’il rencontre ses compagnons d’aventures : Galeran (intellectuel à l’immense culture et habile jongleur), Sylvain (le petit marmiton parisien rusé) et Gaucher (le géant passeur sur le Rhône, dont la force leur est précieuse). Le quatuor embarque à Marseille destination la Syrie. Sur les terres sarrasines, le preux chevalier parvient à prouver l’innocence de son père, grâce à l’aide de Leïla, la fille du curieux émir de Homs. Une rencontre qui permet au jeune noble de tomber amoureux de la brune et belle Leïla.
Notons que ce récit médiéval, notamment le premier épisode « Le Secret de l’émir », a été inspiré à Jean Quimper par un roman de Max Colomban, illustré par P. Darrigan : « Raoul du Vertfaucon », publié par la Maison de la Bonne Presse en 1912.
Très vite, ce nouveau héros devient la vedette du magazine Bayard (créé le 8 décembre 1946 par cette même maison d’édition gérée par la congrégation religieuse catholique Les Augustins de l’Assomption, laquelle est, aujourd’hui encore, la propriétaire exclusive de ce qui est devenu le groupe Bayard), plébiscité par les jeunes lecteurs.
Il faut dire que la série bénéficie d’une publication en couleur en première et dernière page de cet hebdomadaire pour jeunes garçons qui compte, à l’époque, seize pages de format moyen, dont la moitié en noir et blanc. Notons que plusieurs jeunes auteurs y font leurs premiers pas : Gaston Jacquement, Pierdec, Loÿs Pétillot, Jean Chakir, Alain d’Orange… Seul vétéran rescapé de l’avant-guerre : Gervy, avec la reprise d’« Alain au Far West » (voir « Pat’ Apouf détective »).
Cette première aventure de Thierry de Royaumont, en 124 planches, a été publiée à raison de deux planches hebdomadaires par l’hebdomadaire Bayard (donc, l’ancêtre d’Okapi et d’Astrapi) du 9 août 1953 au 10 octobre 1954. Les scénarios sont signés par le père André Sève, sous les pseudonymes Marie-Paul Sève, Jean Quimper et André Divajeu.
Assomptionniste, né à Crest dans la Drôme le 10 février 1913, il entre à la Maison de la Bonne Presse en 1943, après avoir obtenu une licence de théologie.
Rédacteur en chef du Bayard de l’après-guerre à partir de 1946, auteur de livres spirituels et scénariste d’histoires souvent religieuses avec le dessinateur Loÿs Pétillot (« Le Lion des Cévennes » en 1950, « Le Chevalier inconnu » en 1952, « Jésus de Nazareth » de 1953 à 1955, « La Vie de la Sainte Vierge » en 1957, « Lourdes » ou « La Vie du curé d’Ars : je veux être prêtre » en 1958) (3), il signe aussi ses éditoriaux de l’alias Chevalier noir ; pour plus de précisions, voir http://bdoubliees.com/bayard/auteurs5/seve.htm.
Il quitte la rédaction de Bayard en 1959 pour d’autres magazines du groupe (Rallye Jeunesse, Panorama chrétien, Peuples du monde, La Croix, Aujourd’hui, Le Pèlerin…). Le père Sève était un ami de Georges Brassens et il lui a consacré un livre : « Brassens : toute une vie pour la chanson » aux éditions Le Centurion en 1975. Il décède le 20 mai 2001 à Albertville, en Savoie.
Né à Pontoise le 5 décembre 1923, le professeur de gravure à l’école Estienne, créateur et graveur de timbres-poste (lauréat du plus beau timbre du monde en 1979) que fut Pierre Forget signa des illustrations pour les Presses d’île de France, les éditions du Soleil levant, Alsatia (collection Signe de piste), Spes (collection Jamboree, concurrente du Signe de Piste)… Tout en réalisant des BD pour les magazines Bayard et Bernadette de la Maison de la Bonne Presse !
Il y osa les images éclatées, les contre-plongées, les décors fastueux, les foules compactes, les images cataclysmiques… À cent lieues des images figées de la ligne claire, il opta pour le mouvement, la profondeur de l’image bien avant la génération Giraud. (4)
Grand admirateur de Pierre Joubert, Pierre Forget publie ses premiers dessins en 1946 dans des revues scoutes comme Scout et Louveteau ou pour des romans de la Collection joyeuse. Suite à sa rencontre avec le père Sève qui cherche des dessinateurs pour son journal, il débute dans Bayard en 1951 en illustrant des rubriques rédactionnelles et en adaptant deux aventures scoutes de Grenouille, dues au romancier Jean-Louis Foncine (les textes étant sous vignettes), qu’il mettra aussi en images pour les romans de la collection Signe de piste.En 1952, il dessine les courts récits de « Michou des Gazelles » d’après André Garbit et le long western à suivre « Faucon noir » de Michel Bernard : sa première BD avec phylactères, dont un album sera proposé par la Bonne Presse en 1956.
C’est donc en 1953 qu’il donne vie à Thierry de Royaumont, son héros le plus connu et suivront, dans la première série de Bayard, « Tourville : la vie d’un grand marin » en 1954 (textes sous images écrits par Claude Marin, lequel n’a rien à voir avec son homonyme dessinateur) et « Chrétiens du Viet Nam » (textes sous images de Tô Thi Diên).
Il inaugure la deuxième série du journal pour garçons de la Bonne Presse avec, en 1956, une somptueuse adaptation du film « Les 7 samouraïs » d’Akira Kurosawa par Pierre Mérou (dont le véritable nom était Antoine Graziani et qui signait aussi Jean Acquaviva en travaillant avec Loÿs Pétillot sur « Bill Jourdan » et « Pascal et Michèle Monfort »).
Cette dernière sera reprise en album dans la collection Ciné-Color en 1958, puis aux éditions du Triomphe en 2004.
Notons aussi, en 1958, une mise en images, surmontant les textes de Jean d’Izieu, d’une autre série scoute, « Baldur de la forêt », que Pierre Joubert avait également illustrée pour Cœurs vaillants et les romans de la collection Signe de piste.
C’est avec bonheur qu’il aborde l’humour en lançant, toujours dans Bayard, les aventures de Mic et Mac, deux collégiens entourés d’une joyeuse bande de copains imaginés par Jacques Petit-Duc, pseudonyme de l’écrivain Jacques Duquesne.
Ils vivront trois longues aventures entre 1957 et 1962, mais seul le premier aura l’honneur d’un album publié par la Bonne Presse, dans la collection Ciné-Color en 1958, et le dernier se terminera dans Bernadette, l’équivalent féminin de Bayard.
Pourtant, après quelques illustrations de romans dans Bayard (« L’Inconnu du 5 septembre » d’Élisabeth Cazardès) ou dans Mireille en 1960, de rares récits complets en quatre pages ou « À bride abattue » et « La Reine du lasso » (deux histoires écrites par Albert Bonneau) publiés par Bernadette en 1962 et 1963, Pierre Forget abandonne la bande dessinée en 1963 ; mais il continuera de dessiner jusqu’à son décès, le 30 janvier 2005.
Proposé en un seul volume par la Bonne Presse en 1954 (sous le titre « Le Mystère de l’émir »), « Le Secret de l’émir », première aventure de Thierry de Royaumont par Pierre Forget et André Sève, a été rééditée en deux albums cartonnés de 64 pages en couleurs par les éditions du Triomphe en 1994 et sont donc, aujourd’hui de nouveau disponible au prix de 16,40 euros l’un, avec des couvertures différentes. Attention ! Ces ouvrages sont essentiellement vendus par correspondance : aux éditions du Triomphe, 7 rue Bayen, 75017 Paris, www.editionsdutriomphe.fr.Bien entendu, les autres épisodes de la série seront eux aussi réédités : il s’agit de « La Couronne d’épines » (publié dans Bayard du 24 avril 1955 au 25 décembre 1955 et en album par la Bonne Presse en 1956, puis une première fois au Triomphe en deux tomes en 1995), « L’Ombre de Saïno » (publié dans Bayard du 31 mars 1957 au 25 mai 1958 et en album par la Bonne Presse en 1958, puis par Bayard Presse en 1986 et au Triomphe en 1996) et « Pour sauver Leïla » (publié dans Bayard du 5 octobre 1958 au 18 octobre 1959 et en seulement album par Bayard Presse en 1987 et au Triomphe en 1997).
Bien avant la vague ésotérique qu’a connue la bande dessinée à l’aube du troisième millénaire, André Sève et Pierre Forget font figure de précurseurs avec cette œuvre novatrice aux personnages étonnamment modernes pour leur époque.
Ceux qui apprécient ce genre de séries mêlant religion, ésotérisme, histoire et aventure se doivent de dévorer les aventures du fougueux Thierry de Royaumont et de ses compagnons. Par ailleurs, notons que ses personnages féminins, loin de jouer le rôle de potiches, sont l’égal des héros : ainsi la belle Leïla aux formes sensuelles, compagne du héros.
Henri FILIPPINI
mise en pages, notes et diverses vérifications : Gilles Ratier
(1) À l’occasion du centenaire de la naissance de Joseph Gillain, alias Jijé, ce même éditeur propose la réédition de son célèbre « Baden-Powell » qui ne figure plus dans le catalogue des éditions Dupuis (96 pages, 19,80 €). Notons que « Don Bosco » (112 pages, 19,80 €), « Charles de Foucauld » (14,70 €) et « L’Étrange Destin de Bernadette » (12,70 €), trois autres ouvrages signés Jijé sont également disponibles au Triomphe, dans des éditions de belle qualité.
(2) Puisque nous parlons de bandes dessinées chrétiennes, ceux que cette thématique intéresse peuvent s’abonner à Gabriel, trimestriel publié par le CRIABD (Centre Religieux d’Informations et d’Analyse de la Bande Dessinée) dont le n° 67 vient de paraître. Ce modeste magazine, bourré d’infos, est animé par le frère Roland Francart, inlassable porte-parole de la bande dessinée religieuse (Gabriel, Boulevard Saint-Michel, 24, BE 1040 Bruxelles ; e-mail : roland.francart@jesuites.be).
(3) La plupart de ces bandes dessinées ont été publiées en album par la Bonne Presse (« Le Lion des Cévennes » en 1951 et réédité en 1956 sous le titre « Emmanuel d’Alzon », « Le Chevalier inconnu » en 1953, « Jésus de Nazareth » en 1955 et réédité en 1957, « Lourdes » en 1958 sous le titre « Histoire des apparitions de Lourdes » et « La Vie du curé d’Ars » en 1959) et sont aujourd’hui disponible aux éditions du Triomphe : « Le Chevalier inconnu » en deux albums en 2002) repris en une intégrale publiée en 2011 sous le titre « La Reine de Bohême et ses 7 châteaux, « Jésus de Nazareth » en deux albums en 1997 et « La Vie du curé d’Ars » en 2004 sous le titre « Jean-Marie Vianney, curé d’Ars ».
(4) Pour en savoir plus sur Pierre Forget, on peut consulter à bon escient les n° 11, 12-13, 14 et 106 de Hop !, le n° 21 de RanTanPlan et le n° 34 du Collectionneur de bandes dessinées ; et retrouver sa bibliographie dans Bayard sur http://bdoubliees.com/bayard/.
(5) En fait, Pierre Forget s’était déjà essayé au genre humoristique dans Bayard, en 1959, le temps de quelques planches pour « Les Histoires de Titou » ou encore sur de courts récits complets comme « Les Trois Peintres d’Abdul El-Azim », « Le Perroquet et la mandragore » (réédité dans Hop ! n° 12-13 de juin 1977)  ou « Le Joyeux Fantôme de Kirkmuir » (réédité dans Hop ! n° 11 de mars 1977) .
Merci pour toutes les infos et mon adresse
Merci pour cette belle rétrospective. Quelques précisions, correctifs ou ajouts: Galeran n’est pas bossu, il a simplement appris à se « désosser », comme, plus tard, Lagardère, le héros de Paul Féval. « Les 7 samouraï » ont été scénarisés par Pierre Mérou, qui signait aussi Jean Acquaviva et travailla avec Pétillot sur « Bill Jourdan » et « Pascal et Michèle Monfort » (son véritable nom est Antoine Graziani; cf. HOP! n° 113). Le père Sève était un ami de Georges Brassens, et il lui a consacré un livre, « Brassens : toute une vie pour la chanson » (Le Centurion, 1975) . Enfin c’est Pierre Joubert qui a illustré « Baldur de la forêt » en Signe de piste, et aussi dans CÅ’URS VAILLANTS. Un site est consacré au personnage de Thierry de Royaumont: http://royaumont.free.fr/. On y trouve beaucoup de renseignements sur Forget et ses autres séries.
Bonjour et merci pour toutes ces précisions, nous corrigeons tout de suite l’article d’Henri Filippini !
Bien cordialement
La rédaction