Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Al Feldstein, le grand artiste des E.C. Comics et du magazine Mad vient de nous quitter à 88 ans…
Al Feldstein est né le 24 octobre 1925 à Brooklyn, New York. Enfant, il gagne plusieurs prix de dessin, ce qui le décide à s’orienter vers une carrière artistique et à prendre des cours à la High School of Music and Art de Manhattan. En 1940, il est engagé par le studio d’Eisner & Iger (voir : Will Eisner parle de Jack Kirby/). Pour 3 $ par semaine, le garçon de 15 ans y trace les cases, encre des planches, gomme les crayonnés, avant de rapidement réaliser les décors de « Sheena, Queen of the Jungle » (voir : Les auteurs de pin ups des comic books des années 30 jusqu’au comics code…).
Après son diplôme, il obtient une bourse et poursuit ses études, tout en continuant son apprentissage artistique la nuit.
En juillet 1943, il s’engage dans l’armée de l’air à 17 ans. Il réalise de nombreuses décorations d’avions et des cartoons pour les journaux militaires.
À sa libération, par l’entremise de Bob Farrell, il est engagé chez Fox Comics (voir Le Coin du patrimoine sur Jack Kirby). Il y corrige les scénarios de Farrell et dessine quelques histoires pour Junior, Sunny, démontrant déjà tout son talent de pin-up artist. Il adapte, en comics, le personnage de feuilletons radio soap Corliss Archer.
Mais les difficultés qu’il a à se faire payer par l’éditeur l’obligent à démarcher ailleurs. En 1948, il rencontre Bill Gaines qui vient de reprendre la tête d’E.C. Comics (après la mort de son père, Max, dans un accident de bateau).
À E.C., Feldstein écrit et dessine de nombreuses histoires d’amour.
En 1950, Bill Gaines décide de changer sa direction éditoriale en abordant les genres horreur et science-fiction. Feldstein devient responsable de publications. Il s’occupe des 7 revues de la nouvelle ligne éditoriale, écrivant et dessinant, généralement, au moins une histoire par numéro : Weird Science, Weird Fantasy, Tales from the Crypt, The Haunt of Fear, The Vault of Horror, Shock SuspenStories, Crime SuspenStories. C’est l’âge d’or des comic books américains.
Les histoires de Feldstein se focalisent sur le vécu des petites gens dans l’Amérique de l’époque. Il aborde avec courage des thèmes souvent occultés dans les autres médias : le racisme (en pleine période de ségrégation), les violences conjugales, les addictions aux drogues, la maltraitance…
En tant que directeur de publications, Feldstein engage les scénaristes Harlan Ellison (le futur auteur de SF), Robert Bernstein (de Crime Doesn’t Pay), Otto Binder (celui de Captain Marvel chez Fawcett), Jack Olek (du studio Simon & Kirby)…
Il donne aux couvertures E.C. leur aspect définitif, facilement identifiable par les lecteurs avec les cartouches présentant The Old Witch, The Crypt-Keeper et The Vault-Keeper, les personnages hôtes des petites histoires horrifiques.
En parallèle, Gaines sort Mad, la revue satirique dirigée par l’autre éditeur d’E.C., Harvey Kurtzman.
Sous l’égide de Kurtzman, le comic book Mad parodie l’American Way of Life, à travers des petites histoires formidables illustrées par les plus grands dessinateurs de la profession (Wallace Wood, Jack Davis, Joe Orlando, Bill Elder, John Severin, Kurtzman lui-même) et présentées par l’imbécile personnage hôte Alfred E. Neuman.
En 1953, devant le succès de la revue, Gaines demande à Feldstein de sortir une autre revue du même genre, au grand dam de Kurtzman. Ce sera Panic.
En 1954, la société américaine s’inquiète de la montée de la délinquance juvénile. Les comics sont accusés d’en être responsables.
Suite à une enquête sénatoriale, une commission d’autocensure, le Comics Code Authority, est montée par la profession. E.C. est dans la ligne de mire des autres éditeurs. Gaines perd son distributeur et doit suspendre ses séries horrifiques. Le seul survivant du naufrage est Mad. Mais l’aspect satirique ne plaît pas à tout le monde et, pour éviter de nouveaux tracas avec le Comics Code, Mad devient magazine au n° 17 (les revues de ce format n’étant pas soumises au comité de censure).
Gaines et Feldstein lancent en catastrophe une nouvelle ligne moins violente et plus axée sur des thèmes consensuels (Valor, M.D., Piracy, Aces High, Impact, Psychoanalysis…). Mais le succès n’est pas au rendez-vous.
Après le départ de Kurtzman en 1956, Feldstein reprend Mad (à partir du n° 29).
Il engage les dessinateurs Don Martin, Mort Drucker, Angelo Torres…
Les séries « Spy Vs. Spy », « The Lighter Side of… » ou « Snappy Answers to Stupid Questions » démarrent.
Il développe un peu plus le personnage d’Alfred E. Neuman, qui parodiera de nombreux politiciens, acteurs…
Voir ci-contre, Alfred E. Neuman sur la couverture de Mad n°30.
Mais certains ne rient pas. Le FBI s’invite aux bureaux de Mad lorsqu’une parodie d’Edgar J. Hoover est publiée.
Des artistes n’apprécient pas de voir leurs travaux fustigés et intentent des procès à la revue.
La revue, acquise par DC Comics, devient extrêmement populaire dans les années 1970, se vendant à plus de 2 millions d’exemplaires en 1974.
Feldstein en tiendra les reines pendant 28 ans.
En 1984, Feldstein prend sa retraite et se lance dans l’acrylique, démarrant avec succès une nouvelle carrière de peintre animalier. Il réalise de nombreuses toiles pour les grands parcs naturels, lesquelles lui valent la reconnaissance des milieux artistiques.
En 2003, il rejoint le Hall of Fame des Will Eisner Awards.
Al Feldstein nous a quittés le 29 avril à l’âge de 88 ans, dans sa maison du Montana.
Pour l’auteur de ces lignes, il restera associé à la grande époque des E.C. Comics en tant qu’éditeur (Tales from the Crypt, Vault of Horror, Haunt of Fear, Shock Suspenstories… et bien sûr Mad) et, en tant que scénariste et illustrateur, aux meilleures histoires de Weird Science et Weird Fantasy auxquelles il a su donner une atmosphère inimitable.
Jean DEPELLEYÂ
(qui dédit cet article à la mémoire de celui qui aurait dû l’écrire, notre regretté camarade Jacques Dutrey)
Voir aussi l’article de Cecil McKinley traitant des rééditions d’E.C. chez Akileos.
Merci Jean pour cet article sur cet artiste encore méconnu du grand public BD (et moi-même, j’y ai appris pas mal de choses
Merci, Gilles ! Effectivement Feldstein est moins connu que Wallace Wood, Graham Ingels (Gastly), Jack Kamen, Joe Orlando ou Jack Davis, mais son empreinte sur les comic books de E.C. en tant que directeur de publications (Weird Science, Weird Fantasy, Tales from the Crypt, The Haunt of Fear, The Vault of Horror, Shock SuspenStories, Crime SuspenStories) en fait un auteur exceptionnel à redécouvrir, notamment dans les rééditions de chez Akileos. Pour moi, E.C. représente le meilleur de ce qui s’est fait dans les comic books. C’est dire !
Très bon article pour cet artiste méconnu en France. Juste une précision : Mad est devenu un magazine non pas à cause du Comics Code mais parce que Kurtzman avait reçu une offre du magazine Pageant. Kurtzman voulait que Mad devienne un magazine alors que Gaines hésitait. Pour garder Kurtzman Gaines a accepté le changement de format.