« Moto Hagio Antologie »

Moto Hagio est une des plus grandes créatrices de shojo manga. Dès les années 1970, elle a révolutionné la bande dessinée pour filles, en la rendant plus mature. Finis les récits simplets et cloisonnés où l’amour désuet prédomine. Finis les stéréotypes envers les femmes. Place aux sujets sérieux… Avec cette anthologie que Glénat nous offre, le talent de Moto Hagio éclate enfin au grand jour et nous découvrons en français tout le panel des obsessions de cette auteure majeure.

« Nous sommes onze ! Est et Ouest, un lointain horizon »

Née en 1949, Moto Hagio fait partie du groupe dit  » de l’an 24  » qui a révolutionné le manga pour filles. Si le calendrier tel que nous le pratiquons est couramment utilisé au Japon, ce pays compte également les années en fonction de l’ère d’un empereur ; en l’occurrence l’an 24 est celui de l’ère Showa (1926-1989), année de naissance de nombreux auteurs féminins ayant bouleversé la manière de raconter les histoires pour jeunes filles. Parmi elles, on peut citer Keiko Takemiya, Riyoko Ikeda, Mineko Yamada, Yumiko ÅŒshima, Toshie Kihara, Ryoko Yamagishi, Yasuko Aoike, Minori Kimura et Nanae Sasaya. Leur travail, bien moins enfantin que ce que Tezuka proposait aux lectrices de l’époque, offrait une véritable réflexion sur la vie, le genre et la philosophie. Souvent traitées de manières extrêmes et détachées, ces histoires demandaient une vraie implication de la part de leur lectorat.

« Le Pensionnat de novembre »

Cette anthologie de l’Å“uvre de Moto Hagio que publient aujourd’hui les éditions Glénat en est un excellent reflet. Ces deux livres, l’un argenté titré : « De la rêverie » et l’autre doré : « De l’humain », rassemblent en tout neuf histoires plus ou moins courtes, publiées sur une période d’un peu plus de vingt ans : « Un rêve ivre » (1980), « Nous sommes onze ! » et sa suite « Est et Ouest, un lointain horizon » (1975), « Le Petit Flûtiste de la forêt blanche » (1971), « La Princesse iguane » (1992), « Mon côté ange » (1984), « Le Pensionnat de novembre » (1971), « Pauvre Maman » (1971) et « Le Coquetier » (1984).

« La Princesse iguane »

« Nous sommes onze ! »

Le premier tome contient quatre histoires. Une extrêmement courte en guise d’introduction, mélange d’androgynité, de mythologie, de rêve et de conquête spatial. Un condensé des thèmes chers à cette auteure. Le dernier chapitre fait plutôt appel à notre imaginaire avec une histoire fantastique où un jeune garçon fantomatique apparaît aux yeux d’une jeune fille afin qu’il puisse bénéficier du repos éternel. Entre ces deux courtes histoires (respectivement 22 et 31 pages), s’intercale une Å“uvre majeure de la mangaka : « Nous sommes onze », un récit de science-fiction où dix étudiants embarquent dans un vaisseau afin d’aller passer leurs examens finaux. Là, ils se rendent compte qu’ils sont en fait onze passagers. Qui est l’intrus ? Ce récit d’anticipation a rendu célèbre la mangaka et l’a fait passer du statut d’auteur féminin à auteur tout court. Toute une génération de lecteurs connaît cette histoire, soit pour l’avoir lue, soit pour avoir vu son adaptation en long métrage animé. C’est d’ailleurs le film qui fera découvrir Moto Hagio en Occident grâce à l’édition VHS américaine (1), à une époque où la diversité du manga ne s’était pas pleinement exprimée à travers le monde. Devant le succès de ce premier opus, Hagio devait renouer avec ce groupe d’étudiants du futur à l’occasion d’une suite. Même si l’on est dans la science-fiction, c’est la psychologie des personnages et les implications politiques qui ici intéressent : de la difficulté à vivre en communauté restreinte jusqu’à celle de gouverner un peuple, tout est fait pour renvoyer le lecteur à sa propre vision de la vie.

« Nous sommes onze ! »

« Pauvre Maman »

Dans le second tome, moins épais mais tout aussi dense, cinq autres histoires s’orientent dans un registre plus réaliste et contemporain, que ce soit celui de la famille, des amours contrariés, des petits secrets inavouables ou de la difficulté de vivre en société. La première, mélange de fantastique et de découverte de la vie, raconte la douloureuse enfance d’une jeune fille que sa mère déteste : celle-ci la voit comme un monstrueux iguane difforme et répugnant, alors que sa sÅ“ur bien moins intelligente est d’une beauté sans égal. Le second récit, dont le dessin de couverture est tiré, est assez tragique puisqu’il raconte le destin forcément lié de deux sÅ“urs siamoises. On enchaîne sur une sorte de préquelle à l’unique manga déjà publié en France (2) de cette auteure : « Le CÅ“ur de Thomas » (3). On y retrouve l’ambiance typique d’un pensionnat pour jeunes garçons dans l’Europe du début du siècle dernier. Dans « Pauvre Maman », un petit garçon comprend les souffrances de sa mère face à son amour disparu. Dans « Le Coquetier »,  se déroulant en France durant la Seconde Guerre mondiale, morts et complots sont au rendez-vous pour une Å“uvre dérangeante et extrêmement réaliste.

« Le Coquetier »

Injustement méconnue dans l’hexagone, Mato Hagio était jusqu’alors boudée des éditeurs. Voici donc enfin une anthologie en langue française qui rend hommage à cette grande conteuse aux thématiques si diverses. Nul doute que son talent saura s’imposer aux lecteurs. Son univers dramatique si proche de nos préoccupations quotidiennes met parfois mal à l’aise et ne laisse assurément pas indifférent, tout comme son extraordinaire dessin qui, même s’il semble aujourd’hui un peu daté, a su révolutionner le média en son temps.

« Le Petit Flûtiste de la forêt blanche »

Présentés dans un beau coffret, ces deux pavés n’ont qu’un seul inconvénient avec leurs 350 et 250 pages : ils tiennent mal en main. Mais devant de tels chefs-d’Å“uvre, cet aspect semble bien dérisoire, surtout que le papier utilisé est d’excellente facture.

Les deux tomes sont agrémentés de nombreuses explications sur la vie et l’Å“uvre de la mangaka, ce qui nous permet d’entrevoir son importance dans le paysage graphique nippon : de vrais plaisirs de bibliophiles à ranger sur ses rayonnages, après les avoir lus bien évidemment.

« Mon côté ange »

Gwenaël JACQUET (avec ses remerciements à Jean Depelley pour son aide précieuse)

« Moto Hagio Antologie » par Moto hagio
Éditions Glénat – Collection Vintage (25 €) – ISBN : 9782723493444

(1) « They Were Eleven » : Film d’animation sorti aux USA en VHS au début des années 90 dans une version sous-titrée en anglais, puis en 1996 cette fois-ci doublée, avant l’édition ultime en DVD de 2004. Auparavant, un épisode spécial de 40 minutes avec de vrais acteurs avait été commandé par la chaîne NHK et diffusé le premier février 1977, soit deux ans après la publication papier. À ma connaissance, il n’en existe pas de version internationale.

(2) Il existe également un fanzine traduit dans notre langue que Moto Hagio a édité et distribué elle-même, en toute indépendance des maisons d’éditions françaises, lors de la Japan Expo de 2012. Seuls les visiteurs du salon ont pu l’acquérir et il est aujourd’hui introuvable.

(3) Prépublié entre 1974 et 1975 dans le magazine Shôjo Comic, « Le CÅ“ur de Thomas » a fait l’objet de trois recueils au Japon et d’une édition en France (chez Kazé manga en décembre 2012). Ce manga est le premier à aborder les relations amoureuses entre deux hommes.

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