Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Wormwood » T3 par Ben Templesmith
Damned ! Wormwood le gentleman zombie est de retour pour un troisième opus réjouissant où Ben Templesmith brille de tous feux?
Que les amateurs de Grand Guignol se réjouissent : Wormwood revient nous ronger la moelle. Le troisième volume de cette série iconoclaste publiée chez Delcourt est toujours aussi rock’n'roll, entre horreur et absurde, dans un esprit résolument hédoniste et provocateur. Une provocation salutaire venant débroussailler un peu les pseudo-tentatives underground de certains auteurs. Templesmith, à l’instar d’un Ashley Wood, enfonce le clou et n’hésite pas à mettre en scène ses idées les plus saugrenues – et néanmoins géniales – pour donner quelques coups de pied dans la fourmilière. D’un gag plutôt basique et parfois édifiant, il tire des situations grotesques et hilarantes qu’il pousse au bout de leur « logique ». C’est comme ça qu’on se retrouve avec un combat cosmique entre un ver et des calamars… Templesmith s’amuse à mélanger toutes sortes d’éléments cocasses avec la même jouissance – semble-t-il – que les artistes du cinéma fantastique des fifties et des sixties qui ont réalisé des films où des tentacules géants apparaissaient dans les baies de certaines villes américaines et où d’improbables créatures venaient semer le chaos au sein de notre bonne vieille civilisation… So… Quoi de mieux que des calamars pour incarner une invasion extraterrestre ? Et ça marche… « Wormwood » devient alors une lecture un peu hybride, entre l’hommage dévergondé et la tentative de dynamiter un certain consensus des révoltés de la bulle. Le maître mot de l’Å“uvre semble définitivement être « plaisir ». Un plaisir communicatif.
Loin d’être une suite sans ambition, ces nouvelles aventures de Wormwood sont un véritable délice, et Templesmith ne cabote pas, trouvant de chouettes ramifications à l’univers qu’il a mis en place. Les membres de son « équipe » sont de plus en plus attachants, Médusa s’avérant tout à fait fascinante, Pendule pathétiquement désopilant, Phébée toujours un peu plus cynique, et Trotski redoutablement pleutre. La complémentarité de ces fortes personnalités est maintenant tout à fait en place, nous offrant des scènes et des dialogues souvent surréalistes. Quant à Wormwood, il ne cesse de s’affirmer, et l’on sent que – loin d’être blasé par son grand âge – il en est à un moment de sa longue existence où le poids de celle-ci et des conneries qu’il a pu y faire lui reviennent en pleine gueule comme un boomerang mal foutu. Assume, vieux. En plus de l’aventure principale où des calamars géants viennent d’une autre dimension pour venir zigouiller notre planète, cet album nous propose aussi plusieurs récits courts de « Wormwood » antérieurs à la saga, une bonne surprise pour les fans. Trois récits qui nous dévoilent certains éléments historiques du personnage principal et nous permettent de juger de l’évolution du style de Templesmith sur la série. De nombreuses reproductions de couvertures sont présentes, faisant de cet album un ouvrage très complet ; et les dessins de Templesmith sont tellement beaux que c’est un vrai plaisir d’ouvrir cet ouvrage, de lire, de regarder, de relire et de re-revoir toutes les visions de cet artiste dans un si bel écrin. Cela nous permet aussi de constater que oui, Ben Templesmith évolue, que son style continue de s’étendre et de se resserrer en même temps, que l’emploi de ses outils informatiques a échappé à de terribles écueils, qu’il réussit finalement à rebondir et aller de l’avant grâce à un vrai travail du dessin où il continue de chercher des formes saisissantes au sein de cadrages faisant mouche. L’incandescence de ses couleurs n’est pas en train de devenir un système ou un processus « enfermant » ; il semblerait au contraire que Templesmith trouve de nouvelles voies dans son style, qu’il nuance et contrebalance le trait et l’informatique dans une plus grande sensibilité de la chose. Moins froid, plus velouté, « Wormwood » est en train de prendre de la patine… Bonne nouvelle pour les vers.
Cecil McKINLEY
« Wormwood » T3 : « L’Invasion des tentacules » par Ben Templesmith
Éditions Delcourt (13,00€).