Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Vivre à en mourir » par Jeanne Puchol et Laurent Galandon
Juif polonais né en mai 1923, Marcel Rajman/Rayman sera l’un des 23 membres du célèbre réseau de résistance Manouchian : le 21 février 1944, il est fusillé avec ses camarades par les Allemands à Paris, au fort du Mont-Valérien, tandis que la propagande pro-nazie a déjà diffusé depuis quelques semaines la terrible « Affiche rouge », qui fait de ces sacrifiés de vulgaires criminels… Le scénariste Laurent Galandon et la dessinatrice Jeanne Puchol renouent avec le devoir de mémoire en racontant dans « Vivre à en mourir » le destin tragique de Rajman, disparu à l’âge de 21 ans. Nous dévoilons ici en avant-première la genèse de la couverture de cet album, qui paraîtra le 09 mai 2014 aux éditions du Lombard, tel un prélude aux émouvantes commémorations des 70 ans de la fin du second conflit mondial.
Initialement prévu pour Maximilien Le Roy (auteur notamment de « Dans la nuit, la liberté nous écoute » (Le Lombard, 2011) et scénariste de « Ni Dieu, ni maître », paru chez Casterman depuis février 2014), ce projet est donc revenu à Jeanne Puchol, qui fut récompensée en 2013 du Prix Artémisia pour son album sur la guerre d’Algérie (« Charonne – Bou Kadir », éd. Tirésias, 2012). Tout au long des 92 planches de ce récit, les auteurs se sont donc intéressés plus particulièrement à l’un des protagonistes figurant sur « l’Affiche rouge » : Marcel Rajman, dit Simon Maujean ou Faculté. Militant actif, initialement pacifiste mais révolté par la cruauté de l’occupant, Rajman prendra les armes et enseignera aux nouvelles recrues l’art militaire des partisans. Après plusieurs attaques au pistolet ou à la grenade sur des cibles ennemies repérées à l’avance, Rajman est traqué à partir de juillet 1943. Le 28 septembre 1943, avec trois complices des FTP-MOI parisiens (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée), il abat le général SS Julius Ritter, alors superviseur en France du STO. Le nom du résistant sera désormais inscrit sur l’affiche de propagande (réalisée et éditée en 15 000 exemplaires par le Centre d’étude anti-bolcheviques), accompagné de la mention « Rayman, juif polonais, 13 attentats ». Finalement arrêté le 16 novembre 1943, Rajman sera rapidement condamné à mort…
Un square parisien porte son nom depuis 1994 et, en 2009, dans le film hommage « L’Armée du crime » de Robert Guédiguian, c’est l’acteur Robinson Stévenin qui interprète le rôle du résistant.
Pour la couverture du présent album, c’est finalement le portrait de Rajman figurant sur l’affiche rouge qui a été redessiné par Jeanne Puchol. Un portrait assez proche est encore conservé actuellement par les Archives fédérales allemandes. Outre un inévitable angle tragique et historique, mis en valeur par le choix des couleurs noire et rouge, ainsi qu’une imagerie et une mention datées (en noir et blanc), c’est le titre – manuscrit – de l’album qui fait adhérer le lecteur au propos engagé. « Vivre à en mourir » est une citation de la fin du poème hommage d’Aragon « Strophes pour se souvenir » (1955), repris en chanson par Léo Ferré en 1959 sous le titre « L’Affiche rouge » :
« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. »
Laurent Galandon et Jeanne Puchol reviennent avec nous dans les lignes suivantes sur les détails de cet album et de sa couverture.
Laurent Galandon, comment a débuté ce projet d’album ?
« L’album « Vivre à en mourir » est né de ma rencontre avec Maximilien Le Roy. Nous nous retrouvions sur de nombreux sujets, et notre envie de collaborer était forte. Après discussion, nous convenons de travailler autour de Marcel Rayman, membre des FTP-MOI, et dont le visage apparaît sur « l’affiche rouge », document de propagande nazie. Issus d’une génération qui n’a connu que la Paix, le destin de ses hommes qui, contraints par les événements, prennent les armes, nous intéressait particulièrement.
Pour écrire « Vivre à en mourir », je vais à la rencontre d’Elise Couzens/Frydman, cousine de Marcel. Elle l’a peu connu : elle n’avait que deux ans lorsqu’il est fusillé en février 44. Par contre, elle a très bien connu Simon Rayman, le frère de notre principal protagoniste, lui-même résistant, très proche de son aîné et revenu de déportation. Elise a fait un important travail de mémoire autour de sa famille, dont de nombreux membres ont été assassinés dans les camps d’extermination. Initialement, elle n’était pas franchement enthousiaste à l’idée de voir son cousin devenir le héros d’une nouvelle histoire. En effet, elle avait été blessée par l’image que Robert Guédiguian avait donnée de son cousin dans son film, « L’Armée du crime », en 2009. Elle va d’ailleurs écrire une lettre ouverte au réalisateur, parue dans le Monde (http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/11/26/lettre-ouverte-a-robert-guediguian-par-elise-frydman_1272724_3232.html). Cependant, après avoir défini quelques modalités de travail, elle m’a accordé sa confiance. J’ai pu ainsi bénéficier d’informations rares. »
Finalement, pourquoi M. Le Roy n’a-t-il pas réalisé cet album ?
« Le scénario rédigé et ajusté grâce aux remarques d’Elise, Maximilien Le Roy m’a alors fait part de son besoin de se consacrer essentiellement à l’écriture. Il n’avait donc plus le temps de mettre en image « Vivre à en Mourir ». En tant que raconteur d’histoires, j’ai parfaitement saisi son souhait. Soutenu par l’éditeur, je suis donc parti en quête d’un nouveau partenaire, trouvé en la personne de Jeanne Puchol qui connaît bien la période et que le sujet intéressait. Jeanne a su offrir à ce récit un trait humain et sensible, qui permet de saisir toutes les affres physiques et psychologiques rencontrées par les résistants.»
Jeanne Puchol, quelle fut la genèse exacte de cette couverture ?
« La couverture de « Vivre à en mourir » a été un véritable feuilleton, que je vais donc traiter comme il se doit, épisode par épisode…
Premier épisode en juin 2013 : je suis à peu près aux deux tiers de l’album quand Gauthier Van Meerbeeck, notre éditeur au Lombard, me demande les premières propositions pour la couverture. Je travaille sur trois pistes, que je décline aussi en couleurs.»
« Deuxième épisode en octobre 2013 : il est maintenant question que l’album sorte dans la collection Signé. Il faut tout reprendre, eu égard à la maquette si particulière de cette collection. Je ne proposerai pas moins de dix pistes de recherche ; celle qui est retenue connaîtra cinq versions différentes, au stade du rough couleurs.»
« On garde ainsi l’idée de montrer « l’Affiche rouge » : elle a un tel impact visuel que ce serait dommage de ne pas l’utiliser. Néanmoins, aucune de ces versions ne convaincra totalement notre éditeur ! »
« On en est là quand, coup de théâtre et troisième épisode : finalement, l’album sortira en hors-collection. Tout est à re-refaire… La recommandation de l’éditeur est désormais d’utiliser une des scènes d’attentat de l’album. Je choisis l’exécution du général Ritter, mais n’arrive pas à trouver l’angle. Et puis un soir dans le métro, eurêka ! Je note fébrilement le cadrage sur mon carnet de poche. »
« Le gribouillis en bas de l’image précédente est la première esquisse de ce qui deviendra la couverture définitive. Car je n’ai pas abandonné l’idée de citer « l’Affiche rouge » et que je viens de trouver la solution : ne pas la montrer en entier, mais seulement le portrait de Marcel Rayman ; en utilisant, pour le titre, une écriture manuscrite qui n’est autre que celle d’Aragon, auteur du poème dont ces mots sont extraits. »
« C’est cette dernière proposition qui est finalement retenue. »
« C’est fini ? Non : même le dernier stade de la maquette a donné lieu à quelques péripéties entre janvier et février 2014… Rouge en aplat ou avec ajout de texture ? Quadrichromie ou bichromie ?
Médaillon avec ou sans gros point de trame ? Eh oui, parce qu’il ne s’agit pas d’une photo, mais bien d’une illustration, réalisée à la peinture vinylique. »
Philippe TOMBLAINE
« Vivre à en mourir » par Jeanne Puchol et Laurent Galandon
Éditions du Lombard (16, 50 €) – ISBN : 978-2803634392
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