On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...« No pasarán, le jeu » par Antoine Carrion et Christian Lehman
« Depuis la nuit des temps … la race humaine a pris part au jeu le plus excitant, au jeu le plus dangereux, au jeu le plus prestigieux de l’Univers.
L’écran s’éclaircit encore. La prise de vue changea, et ils avaient maintenant l’impression de survoler à vive allure la surface d’une planète, à l’extrême limite de la stratosphère. Des bribes de nuages flottaient dans leur champ de vision. L’illusion de profondeur était extraordinaire. Subjugués, les trois garçons fixaient l’écran. La caméra plongea. Le dessin se fit plus précis, et Éric se rassit, ébahi, pris de vertige. Le choc des armes parvint à leurs oreilles avant même qu’ils aperçoivent le champ de bataille. […]
Là encore des fantassins de la Première Guerre mondiale, lancés dans une course folle au milieu d’un champ de mines, disparaissaient l’un après l’autre dans le fracas des explosions.
Ce jeu ancien, reprit la voix, ce jeu fascinant, est l’ultime jeu. Un jeu de conquêtes et de souffrances, un jeu de victoire et de mort. Êtes-vous assez courageux pour affronter L’EXPERIENCE ULTIME ? »
Le texte ci-dessus est un extrait (p. 58 – 58) du roman de Christian Lehman, publié pour la première fois en 1996 à l’École des loisirs, et destiné aux adolescents.
Le texte de Lehman, qui n’a rien perdu de sa pertinence dix-huit ans après sa parution, interroge de manière subtile la fascination des adolescents pour les jeux vidéo violents, fait réfléchir sur la mémoire, l’absence de mémoire et la perte des repères. Très bien écrit et composé, il a connu un énorme succès, tant chez les prescripteurs que chez les plus jeunes lecteurs, a été très souvent étudié en classe et il fait figure aujourd’hui de classique incontournable de la littérature destinée aux adolescents.
En 2005 paraissait le deuxième volume de la trilogie, « Andreas, le retour », trilogie qui trouve sa conclusion en 2012 avec « No pasarán, endgame ».
Les protagonistes de « No pasarán, le jeu » sont trois lycéens, Thierry, Éric et Andreas. Ils sont amis, malgré de notables différences, et passionnés de jeux vidéo. Thierry, le plus raisonnable des trois, aime aussi l’informatique et son aspect technique. Éric, un garçon sensible à l’intelligence vive, est marqué par son milieu familial, entre une mère dépressive et un grand frère militaire déglingué par ce qu’il a vécu. Il est amoureux d’Elena, une jeune émigrée yougoslave. Quant à Andreas, le plus âgé du trio, c’est un colosse au crâne rasé, très attiré par les jeux violents, qui ne fait pas toujours la différence entre virtuel et réel. La violence qu’Andreas a en lui et qu’il exprime n’est pas contenue par son père, qui affiche des idées d’extrême-droite. Les trois amis sont un peu rebelles et insouciants. « L’expérience Ultime » qu’ils vont vivre va les changer à jamais.
Lors d’un voyage scolaire à Londres, Thierry, Éric et Andreas sèchent les visites « pédagogiques » et se rendent dans une petite boutique de jeux vidéo où un vieil homme mystérieux les accueille. Remarquant l’insigne nazi, « la légion Condor », qu’Andreas arbore sur son blouson, l’homme s’énerve, ne cessant de répéter « Ça ne finira jamais … » et remet aux garçons une simple disquette en leur disant « Jouez avec votre ami, surtout s’il n’est pas déjà trop tard. »
De retour chez eux, ils vont tester l’Expérience Ultime, s’étonnant qu’une seule disquette puisse contenir autant de données, s’interrogeant sur l’avancée technologique et les possibilités infinies qu’offre le jeu. Il permet de se transporter à différentes époques de l’Histoire et d’en vivre, non pas seulement derrière l’écran mais de l’intérieur, les plus grands conflits. C’est ainsi que Thierry, Éric et Andreas se trouvent plongés en tant que combattants ou victimes au cœur dans la boucherie de la Première Guerre mondiale, aux côtés des Républicains de Guernica, en 1937, durant la guerre d’Espagne, ou dans la France occupée de 1940. Andreas, qui rêve de massacres dans la folie nazie, est arrêté parce que juif. Le bourreau qu’il voulait être, devient victime.
Ce qu’ils vivent dans le jeu, adolescents devenus hommes, les décisions qu’ils doivent prendre ou subir, les transforment profondément. Thierry et Éric, conscients de la dangerosité du jeu, veulent tout arrêter. Mais Andreas s’entête et se perd …
Christian Lehman utilise l’univers du jeu vidéo pour bâtir son roman aux tonalités fantastiques, captant rapidement les lecteurs, qui sont souvent aussi des joueurs. Même si la technologie d’aujourd’hui a considérablement évolué et que ces joueurs n’ont sans doute jamais vu une disquette 3,5 pouces, le roman demeure d’actualité, par l’intelligence de son propos, par sa cohérence, par ce qu’il dénonce. Le travail de mémoire, notamment auprès des jeunes, est plus que jamais essentiel, si l’on veut qu’ils apprennent à penser par eux-mêmes.
La bande dessinée publiée par Rue de Sèvres, scénarisée par Christian Lehman lui-même et mise en images par Antoine Carrion (qui vient du jeu vidéo), reprend l’intégrale du premier volume de la trilogie. Même si l’on n’est pas entièrement convaincu par le dessin, l’album propose une excellente adaptation du roman et séduira un large public. On passe aisément du présent aux époques dans lesquelles évoluent les trois joueurs, grâce à des transitions visuelles habiles, qui mettent le récit et le lecteur en tension, et qui montrent les personnages confrontés aux pièges que le jeu leur tend.
Précisons enfin que la légion Condor, dont Andreas porte l’insigne en ignorant ce qu’il signifie exactement, était une force aérienne de l’Allemagne nazie, composée de volontaires, qui combattit en Espagne aux côtés des nationalistes, et responsable du bombardement de Guernica le 26 avril 1937.
L’expression espagnole, « No pasarán », qui constitue le titre du roman et de la bande dessinée, signifie « Ils ne passeront pas ». Elle est le slogan des républicains pendant la guerre d’Espagne et le symbole de la lutte contre le fascisme.
Enfin, l’on peut visionner une vidéo réalisée par le CNDP (Centre National de Documentation Pédagogique) en 2000, présentant « No pasarán ». Là :
https://www.youtube.com/watch?v=-ndYu2Xe04
Catherine GENTILE
« No pasarán, le jeu » par Antoine Carrion et Christian Lehman
Éditions Rue de Sèvres (16 €) – ISBN 978 2 36981 035 3