Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Cat Street » T1 & 2 par Yoko Kamio
Yoko Kamio revient avec une nouvelle série en huit tomes, après avoir finalement clôturé son chef-d’?uvre, » Hana yori Dango « , au bout de 37 volumes. Cette fois-ci, ce n’est pas Glénat qui édite cette série, mais Kana.
» Cat Street » commence comme un conte de fées. Keito Aoyama est une très jeune actrice. À cinq ans, elle passe haut la main le casting de sa première publicité… Enchaînant rôle sur rôle. Et comme elle ne pense qu’à son travail, ses études vont en pâtir et ses amis s’éloigner extrêmement rapidement.
image © Yoko Kamio – Kana
À neuf ans, elle croit se lier d’amitié avec Nako, une jeune actrice, engagée en binôme avec elle, pour jouer dans une pièce de théâtre. Yoko va lui apprendre les ficelles du métier, la faire progresser afin de lui redonner confiance. Nako finira par se révéler être un adversaire redoutable prêt à tout pour lui voler la vedette. Avoir cru en cette amitié est le coup de grâce pour Yoko : cela se traduira par une extinction de voix lors de la première représentation.
À seize ans, alors qu’elle ne fait plus rien de ses journées, l’ex-star rencontre, par hasard, un inconnu lui proposant d’intégrer une école spéciale destinée aux jeunes sortis du système scolaire habituel, « El Liston « . Réticente au départ, elle s’habituera à cette nouvelle vie en rencontrant toutes sortes d’élèves aux passions étranges : Tayô Harasawa, ex-joueur de football ayant perdu son rêve d’aller en série A, Rei Saeki, un garçon plus que mystérieux, Kôichi Mine, un nerd restant enfermé toute la journée à programmer sur son ordinateur, Momiji Noda, lolita passionnée par le design de la mode… Et quelques autres protagonistes, au fur et à mesure que l’histoire se développe.
Comme c’est souvent le cas dans les shôjo mangas, on pourrait croire que l’aventure qui va nous être contée sera empreinte d’amitié, de bonheur et d’acharnement dans le travail. On se rend vite compte, passé le premier chapitre qu’il n’en est rien. Avec cette histoire, l’auteure va traiter du syndrome d’hikikomori (1), une maladie consistant à se renfermer sur soi et à se couper du reste du monde, jusqu’à ne plus sortir de sa chambre. Ce sujet a été largement traité dans un autre manga sorti en 2008, chez Soleil , » Bienvenue dans la NHK » (2). Bien connu au Japon, ce syndrome est quand même assez peu traité en manga et donc le retrouver dans un shôjo est plutôt surprenant.
image © Yoko Kamio – Kana
Yoko Kamio, en plus d’être une très bonne dessinatrice, excelle également dans l’art de la narration. Elle nous le prouve encore en mélangeant des moments empreints de légèreté à d’autres, assez graves, ou l’on se rend compte que la vie n’est pas toujours rose. Une scène du second volume permet de bien résumer ces tensions lorsque Taiyo, un camarade d’enfance, ramène à Keito une bouteille qu’elle avait laissée en classe, une dizaine d’années plus tôt, et qui devait servir pour un projet scolaire. Elle se rend compte que ce garçon est beaucoup plus qu’un ami pour elle. Tout bascule lorsqu’il lui annonce clairement qu’il était amoureux d’elle ; qu’il a fait de gros efforts pour la ramener en classe ou juste pour la voir un instant à sa fenêtre?! Le temps à passer, Keito ne sais pas comment se comporter devant cette annonce et se renferme sur elle même, devient blessant ; et lorsque Taiyo s’en va, elle réalise que son monde s’écroule autour d’elle.
Pas besoin de longs discours pour montrer toutes ces subtilités narratives quand on sait dessiner comme Yoko Kamio. Cette auteure nous fait ressentir les choses très simplement, grâce à l’attitude de ses personnages. Tout passe par leur expression du visage. Le graphisme est un mélange de dessins réalistes et d’autres, plus schématiques; passant par toutes les facettes de la surprise, l’empathie, le repli, l’exubérance, la colère, le dégoût et bien évidemment l’incompréhension.
Pas besoin de décors poussés pour se situer : une tenture symbolise le théâtre, les balançoires le parc, une barrière le terrain de foot. C’est clair, net et précis, sans en faire trop. Tout comme la mise en page et le jeu de trame qui serve impeccablement le récit.
image © Yoko Kamio – Shueisha
Sous des couvertures très différentes de l’édition originale japonaise, et même plus pastel que celle d’ « Hana yori Dango « , l’édition française de ce récit comblera les amateurs de shôjo. Transportant le lecteur dans le monde de désarrois dans lesquels est plongée l’héroïne, ces deux premiers volumes se lisent d’une traite ; et l’on en sort forcément bouleversé. Et peut être même un peu plus serein quant à sa propre condition et à ses passions somme toute bien anodines.
Gwenaël Jacquet
» Cat Street « T1 & 2 par Yoko Kamio
Édition Kana
image © Yoko Kamio – Kana
(1) Wikipedia en fait une très bonne description : Hikikomori (?????) est un mot japonais désignant une pathologie psychosociale et familiale touchant principalement des adolescents ou de jeunes adultes qui vivent cloîtrés chez leurs parents, le plus souvent dans leur chambre pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, en refusant toute communication, même avec leur famille, et ne sortant que pour satisfaire aux impératifs des besoins corporels…
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hikikomori.
(2) » Bienvenue dans la NHK » » NHK ni y?koso! » (NHK?????!) , manga en huit volumes par Kenji Oiwa, sur une nouvelle de Tatsuhiko Takimoto ; paru en France aux éditions Soleil.