Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Eurêka ! » par Hitoshi Iwaaki
La Rome antique, popularisée par les films de péplums il y a un demi-siècle, reviendrait-elle à la mode grâce à la bande dessinée ? En manga, Mari Yamazaki nous a amusées avec sa vision loufoque des bains avec son « Thermae Romae ». Dans la BD européenne c’est également un sujet récurent : « Murena » du regretté Philippe Delaby et de Jean Dufaux, « Les Aigles de Rome » d’Enrico Marini ou encore « Vae Victis » de Jean-Yves Mitton et Georges Ramaïoli alias Simon Rocca. « Eurêka » de Hitoshi Iwaaki, quant à lui, se concentre sur cette période trouble ou l’envahisseur romain tente de prendre Carthage par la force. Mais cette armée, qui est surpuissante à l’époque, est confrontée aux fabuleuses machines inventées par Archimède. Un scientifique bien réel, plutôt connu pour son travail sur les fluides.
Qui n’a pas appris en cours de physique la fameuse théorie sur la poussée d’Archimède. La légende veut qu’il ait trouvé un moyen de prouver que la couronne du roi Hiéron II était réellement faite d’un mélange d’or et d’autres métaux, et non d’or pur. Et donc, qu’il s’était fait berner par le joaillier qui la lui avait confectionnée ! Cette astuce a germé dans sa tête alors qu’il se prélassait dans les bains publics. Il en est soi-disant sorti en criant « Eurêka ! » (Littéralement « j’ai trouvé ! » en grec ancien). D’où le titre de ce manga mettant en scène ce fameux savant et ses machines destructrices.
Ici, Archimède est vieux, il est fatigué et perd même un peu la tête. Pourtant, il a inventé de nombreuses machines de guerre à même de repousser les barbares qui souhaiteraient envahirent Syracuse. L’armée romaine va s’y frotter et aura bien du mal à accepter sa défaite cuisante face à ces ingénieux et mortels mécanismes.
Après « Parasite », Hitoshi Iwaaki est enfin réédité en France avec ce volume unique à la pagination importante (258 pages). Son graphisme à un petit peu évolué, en plus fin, il est aisé de reconnaître ses protagonistes, toujours un peu mélancoliques. Néanmoins, il reste égal à lui même dans la mise en scène et le traitement de l’histoire, toujours aussi forte. Dés le départ, la bataille sanglante opposant les troupes romaines au féroce Hannibal, est explicitement détaillée. Les corps à corps sont sanglants, les glaives et autres tridents transpercent les adversaires de part en part pour laisser un paysage de désolation ou 5 000 soldats romains succombèrent.
Ensuite, ce manga se tourne vers une romance entre le jeune spartiate Damippos, et une Romaine : Claudia. Damippos est l’égérie de ces dames, il n’est pourtant pas à l’image des gens de Sparte, réputés pour leur force et leur courage. Ce petit moment de bonheur sera très vite troublé par l’arrivée des troupes romaines qui font vite basculer le récit, avec ses successions de batailles. Les morts s’accumulent, les boulets volants envoyés de Syracus par les machines inventées par Archiméde les transpercent littéralement. Mais ils sont également estropiés, décapités, défigurés, démembrés… Les inventions de ce génie balayent tout sur son passage. Et il n’en a pas créé qu’une, il a su s’adapter à toutes les situations, ce qui nous offre de nombreux délires graphiques ; preuve de la défaite cuisante des Romains. Les corps ne volent pas en éclats, comme on pourrait s’y attendre, ils sont vraiment foudroyés sur place. Un trou béant à l’endroit de l’impact. Situation surréaliste, mais parfaitement explicite sur la violence des combats. Du coup, on se régale devant l’ingéniosité de ces systèmes somme toute assez simple.
Comme cette histoire est assez courte par rapport à une série de manga qui peut s’éterniser durant de nombreux volumes, la stratégie développée prime ici par rapport aux protagonistes. La romance naissante entre ce spartiate et cette Romaine est vite balayée par l’arrivée de l’ennemi. Publié en 2002, ce récit, réalisé bien après « Parasite » (1990-1995) est un tournant dans sa carrière puisqu’ensuite, dés 2004, il va se consacrer à sa nouvelle série « Historiē ». Elle compte aujourd’hui 8 volumes e retrace la vie d’Eumène de Cardia, chancelier d’Alexandre le Grand. Il reste donc dans le récit historique se passant avant notre ère. Avec cette histoire, il a été distingué lors du 16e prix culturel Osamu Tezuka, en 2012. Tout comme en 1993, lorsqu’il avait reçu le prix du manga Kōdansha pour « Parasite » dans la catégorie Seinen.
« Eurêka » est le premier one-shot publié par la jeune maison d’édition Komikku (1). Savant mélange d’invention, d’ingéniosité, de combats et de romance, ce livre devrait facilement trouver son public. Il permet surtout de découvrir une autre face du célèbre Archimède tout en se basant sur des faits historiques largement romancés. Une chose est certaine, à cause de ce génie, le siège de Syracuse par l’armée romaine ne fut pas une partie de tout repos !
Gwenaël JACQUET
« Eurêka ! » par Hitoshi Iwaaki
Éditions Komikku ((8,95 €) – ISBN :979-10-91610-37-7
(1) Avant, les éditions Komikku avaient déjà publié 5 séries : « L’Île infernale », « Les Fleurs du passé », « Mes petits plats faciles by Hana », « Malicious Code » et « Yanaka-Histoire de chats »
Copyright : © 2002 Hitoshi Iwaaki / HAKUSENSHA, Inc., Tokyo