Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Les Clés de la bande dessinée » T2 par Will Eisner
La réédition augmentée en trois volumes de l’?uvre théorique de Will Eisner se poursuit aux éditions Delcourt : des ouvrages totalement incontournables pour tous les passionnés de bande dessinée qui veulent comprendre la science et les rouages de cet art?
Il y aurait tant à dire, à chaque fois qu’il est question de parler de Will Eisner, de son art, de son importance dans l’histoire non pas des comics mais de la bande dessinée tout court, tant il a été une source d’influence mondiale, un jalon primordial, un artiste hors pair s’étant constamment ouvert aux créations et aux auteurs de tous pays… Et comme si ça ne lui suffisait pas d’avoir été l’inventeur génial du « Spirit » – cette Å“uvre qui fit entrer les comics du Golden Age dans la modernité en brisant les codes de genres et en amorçant d’autres narrations – il fut aussi l’un des grands auteurs théoriciens de cet art, un magnifique vulgarisateur signant ce qui pour d’aucuns allait devenir la Bible de tout auteur de bande dessinée : la fameuse trilogie « Comics and sequential art » / « Graphic Storytelling and visual narrative » / « Expressive Anatomy for comics and narrative ». Une trilogie où Eisner entreprend d’expliquer de manière intrinsèque ce qu’est une bande dessinée, analysant point par point chacune de ses facettes constitutives dans une sorte de cours magistral – mais personnel – censé donner toutes les clés de cet art à qui voudrait tenter réellement l’expérience : comprendre en quoi la bande dessinée est un art de la séquence, savoir raconter une histoire non pas par les mots mais en maîtrisant la science narrative, et créer des personnages qui soient autres choses qu’un simple assemblage de traits séducteurs. Pour ce faire, Eisner appuie son discours sur de nombreux exemples explicites (dessins, cases, planches, scripts…) qu’il tire principalement de ses propres Å“uvres en nous disant : « Ici, j’ai dessiné ça ainsi parce que cela, et voyez comme c’est efficace ! » Avec une extrême parcimonie, Eisner se sert aussi d’Å“uvres signées par d’autres auteurs lorsqu’elles illustrent idéalement son propos, mais le fait qu’il prenne son Å“uvre comme base théorique engendre un double intérêt rendant ses ouvrages tout à fait exceptionnels : non seulement nous écoutons Eisner parler de ce qu’il connaît le mieux et qui n’est pas une interprétation mais une analyse de processus mis en Å“uvre en toute connaissance de causes, mais en plus cela nous permet de plonger au cÅ“ur même du travail d’Eisner, d’en comprendre les rouages, les tenants et les aboutissants, et d’avoir là la chance inespérée de découvrir les secrets du maître, d’en jouir totalement, et d’apprendre de la plus belle des façons… Une merveille pour tout fan de ce génie, et l’opportunité pour tous de bénéficier de cours personnels d’un des plus grands professeurs de la New York School of Visual Arts…
Cette réédition est intéressante pour plusieurs raisons. C’est l’excellente maison d’édition Vertige Graphic qui nous avait permis de lire enfin ces ouvrages en France à la fin des années 90, ne proposant par la force des choses que les deux premiers fameux volumes, puisque le troisième ne sortit aux États-Unis qu’après la mort de Will Eisner en 2005. Cette édition en français devenant de plus en plus difficile à trouver, une réédition semblait de toute façon nécessaire. Le matériel du troisième et dernier volume étant enfin disponible, l’édition intégrale de la trilogie peut enfin voir le jour, et c’est donc une grande première pour nous autres, frenchies passionnés ! Les éditions Delcourt, en décidant de publier cette première édition française de la trilogie, ont su aborder l’événement avec intelligence, se basant sur l’édition américaine posthume de Denis Kitchen chez W. W. Norton, édition très encadrée et respectueuse de l’esprit et des volontés d’Eisner. Dans ses notes ouvrant les trois volumes, Kitchen dévoile d’ailleurs aux lecteurs dans quel contexte et dans quel esprit s’est faite cette édition, améliorant le travail qu’avait fait Eisner lorsqu’il publiait ces livres au sein de sa structure Poorhouse Press (chaque illustration a été scannée d’après les documents originaux là où Eisner photocopiait et collait), actualisant le propos lorsque nécessaire et ajoutant des chapitres tenant compte de l’évolution actuelle du medium (selon la logique même d’Eisner qui complétait ses ouvrages théoriques au fil du temps afin qu’ils ne deviennent pas obsolètes). Oui, je sens déjà chez certains une petite suée d’angoisse puriste : « Quoi ? Ils ont touché à Eisner ? On y parle de webcomics ? » N’ayez crainte, chers eisneriens, Will n’est point dénaturé, et tout ce qui a fait l’intérêt et la richesse de ces ouvrages est là et bien là , vous pouvez comparer, page par page. Il y a simplement des compléments nécessaires à la pérennité du travail d’Eisner, tel qu’il l’entendait lui-même, et tout est fait dans un respect et une continuité qui font plaisir à lire. Et si vous doutiez encore, Denis Kitchen nous apprend que cette édition a bénéficié du savoir de grands spécialistes ou de collaborateurs d’Eisner, tout ce petit monde ayant l’aval des ayants droit du grand Will. So…
Après avoir abordé ce qu’était un art séquentiel dans le premier volume, ce deuxième tome est donc consacré à l’outil phare et quintessenciel de la bande dessinée : la narration. Non pas comment aligner des cases pour raconter une histoire, mais bien comprendre que la narration est un savoir global, englobant, qui s’articule par des strates de langages et des outils très spécifiques pour constituer la nature même du récit. Eisner passe au crible, méthodiquement, l’ensemble des processus qui permettent à une narration figurée d’exister. Le processus de l’écriture, l’agencement des idées, l’utilisation de techniques particulières et efficaces, l’image envisagée comme une narration en soi, faire jouer à ses personnages de papier le rôle exact qu’ils doivent avoir afin de donner l’effet escompté aux lecteurs, etc. C’est toujours passionnant, d’une acuité et d’une clarté exemplaires, et on ne se lasse jamais de lire et de relire sans fin ces cours magistraux issus qui plus est d’un artiste aussi génial que humble, aussi intransigeant qu’ouvert au public, et, aux dires de tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer ou de le rencontrer, un être charmant, passionné, d’une grande humanité. Alors, au-delà de fêter dignement la sortie de ce deuxième volume et avant de trépigner en attendant la sortie du troisième et dernier tome de cet édifice mirifique, cet ouvrage donne avant tout envie une nouvelle fois de saluer bien bas – mais aussi bien haut – ce grand monsieur de la bande dessinée qui nous manque à tous…
Cecil McKINLEY
« Les Clés de la bande dessinée » T2 (« La Narration ») de Will Eisner Éditions Delcourt (17,50€)
et bien sûr toujours disponible :
« Les Clés de la bande dessinée » T1 (« L’Art séquentiel ») de Will Eisner Éditions Delcourt (17,50€)