« Metropolis T1 » par Stéphane de Caneva, Benjamin Carré et Serge Lehman

C’est sous une couverture concoctée par Benjamin Carré que se dévoile le premier tome de « Metropolis », nouvelle série proposée par Delcourt (en 4 tomes de début 2014 à fin 2015) mais mûrie, non sans difficultés, par le romancier et scénariste Serge Lehman depuis de longues années. Les lecteurs seront d’emblée intrigués par ce polar de 96 pages, tentaculaire et complexe, s’immisçant au cœur de l’Interland des années 1930 : soit un monde – fictif – n’ayant jamais connu ni les plaies ni les séquelles du 1er conflit mondial… Pour l’inspecteur Gabriel Faune comme pour les autorités de la mégapole, le danger semble pourtant imminent : un tueur démoniaque rôde, et une autre Histoire est peut-être déjà en marche…

Affiche de "Metropolis" par F. Lang

Tout amateur d’anticipation et d’uchronie connaît les noms de Serge Lehman et de « Metropolis » !

Né en 1964, l’écrivain et scénariste Serge Lehman est l’un de ses « enfants de Jules Verne » qui va porter la science-fiction française des années 1990, aux cotés d’autres grands noms tels Ayerdhal, Pierre Bordage ou Maurice G. Dantec. De la plume de Lehman naîtront « le cycle de F.A.U.S.T. » (1996-1997) ou l’anthologie « Escales sur l’horizon » (1998), sans compter des dizaines d’autres romans et nouvelles et des centaines d’articles spécialisés. S’il participe ensuite au scénario du film « Immortel Ad Vitam » d’Enki Bilal (adapté de sa « Trilogie Nikopol » et paru en 2004), Lehman échoue dès 2001 à faire aboutir son grand projet… qui n’est autre que « Metropolis » ! Après 2005, le romancier sort d’une crise profonde et retrouve son appétit littéraire : s’en suivront de notables séries BD, dont les 6 volumes de « La Brigade chimérique », série coécrite avec l’auteur Fabrice Colin et dessinée par Gess (L’Atalante, 2009 à 2010). On y retrouvera du reste un monde alternatif, contextualisé autour des années 1930 et des grandes capitales européennes. Idem pour la série « Masqué » (4 tomes chez Delcourt de 2012 à 2013), qui met en scène Paris-Métropole, une ville au gigantisme rétro dessinée par Stéphane Créty (et, déjà, des couvertures imaginées par Benjamin Carré).

Couverture de "Masqué" T1 (Delcourt, 2012)

Vue de New York le 15 decembre 1931, par Samuel H. Gottscho.

Etudes de la ville par Stéphane de Caneva

Outre un inévitable renvoi symbolique à l’inquiétante cité dystopique de Fritz Lang (film de 1927) et un autre à celle voyant se dérouler les aventures de « Superman » (Jerry Siegel et Joe Shuster, depuis 1938 ; Metropolis étant apparue pour la première fois dans Action Comics n° 16, en 1939), la ville reprend ici – comme on le voit en couverture – son caractère de mégapole similaire au New York ou au Chicago des années 1920-1940. L’élément architectural emblématique demeure le gratte-ciel, avec l’Empire State Building (inauguré le 1er mai 1931) dont le prestigieux style Art déco va marquer pour des générations le monde occidental… à commencer par le cadre du Cinéma (l’escalade de « King Kong » en 1933). Plongée dans un mélange de brumes, de fumées, de nuages de pollution et de vapeurs inquiétantes, la ville revêt ici un aspect fantasmagorique et fantastique. En arrière-plan, le ciel nuageux et crépusculaire, couplé à une blanche pleine Lune, ne dessine-t-il pas avec cynisme ou ironie une tête de mort ? Cette épée de Damoclès plane de fait sur cette autre Gotham ou « Dark City » (Alex Proyas, 1998) que la vie semble déjà redouter et fuir : temporels (une architecture années ’30) et intemporels (la suggestion d’un nuage atomique renvoie à une autre chronologie), nocturnes mais illuminés, côtoyant le ciel mais sans assises (sol noyé dans le brouillard), les lieux paraissent donc littéralement cacher leurs insondables mystères.

Études d'ambiance par Stéphane de Caneva

Eléments esthétiques : études par Stéphane de Caneva

Peut-être – encore une fois, symboliquement – verrons-nous transparaître au loin, derrière ces murs et fenêtres anonymes, un autre visage que celui présenté de prime abord par un être cinématographique et cyclopéen (l’œil de la Lune…), tout à fait digne de l’omniprésent Big Brother d’Orwell. Marque, logo, être/monstre ou code ? Il y a tout à la fois dans ce « M » (Mal et « M le Maudit » (Lang, 1931)) et ce « S » (Science ou Surhomme) livrés en majuscules dès le titre de « Metropolis »… Énigmatique et cyclopéenne, labyrinthique et infernale, « Metropolis » reconstruit de fait une mythologie des origines : ville-cité-état-mère digne de Babel, Babylone, Jérusalem, Alexandrie, Rome, Paris ou New-York. Microcosme et méta-organisme selon Borgès (« Fictions », 1944), la ville dessert ses habitants, rongés par leur propre peur viscérale de l’avenir. Criminalité, chômage, corruption, haine, racisme et finalement fascisme…

Voici racontée l’histoire de l’univers à l’échelle (du grec « metro », mesure) de la ville.

Philippe TOMBLAINE

« Metropolis T1 » par Stéphane de Caneva, Benjamin Carré et Serge Lehman
Éditions Delcourt (15, 95 €) – ISBN : 978-2756040240

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