Vivant depuis 25 ans avec Tanie — qui est aveugle d’un œil et qui, en conséquence, doit se démener tous les jours pour s’adapter de son mieux aux charges du quotidien —, le dessinateur et scénariste Marc Cuadrado a repris ses crayons pour nous expliquer comment sa courageuse femme fait face à sa déficience visuelle. Pour l’occasion, cet adepte du style gros nez — « Norma » chez Casterman et « Parker & Badger » chez Dupuis ou « Je veux une Harley » pour Frank Margerin chez Fluide glacial et Dargaud (1) — renoue avec la discipline graphique qu’il avait abandonnée depuis une dizaine d’années : passant à autre trait, plus semi-réaliste, où sa plume se fait alors tendre et émouvante… même s’il insuffle toujours sa lumineuse touche d’humour personnelle !
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Par défi, Lewis Trondheim a décidé de montrer, à la terre entière, qu’il peut faire autre chose que de l’humour et de la dérision : qu’il est capable d’écrire une « vraie » histoire réaliste ! Pour ce faire, il a repris une idée jetée un jour sur le papier, il y a quelques années, et en a fait une tragi-comédie proche, dans la forme, d’un roman graphique.
Pour illustrer son scénario malin, assez délirant et parfaitement rythmé (comme à son habitude), il s’est associé les talents graphiques de Matthieu Bonhomme (« Le Marquis d’Anaon », « Esteban », « Messire Guillaume »…). Or, l’élégance et le dynamisme du trait de ce dernier, ici pourtant assez allégé (mais mis en valeur par une tonalité bleutée qui donne une meilleure lisibilité à l’objet), convient parfaitement à l’originalité de ce récit fort prenant qui nous dévoile une autre facette du travail de ce dessinateur haut de gamme ; lequel aurait, d’après la rumeur, refusé de faire un « XIII Mystery » pour se consacrer à cet épais livre de cent cinquante-six pages !
Un beau matin, Hervé, jeune publicitaire dans la trentaine légèrement cynique mais plutôt du genre maniaque (un genre de Trondheim poussé à l’extrême, à ce qu’il paraît !), se rend compte que les gens peuvent voir à travers ses yeux : vous vous imaginez l’angoisse ? Six milliards d’êtres humains qui peuvent voir tout ce que vous voyez… Énorme comme pouvoir, non ? Oui mais… C’est peut-être rigolo sur le coup… Par contre, à la longue, ça doit quand même être assez flippant !
En partant de ce postulat assez insensé qu’il a très bien développé, en lui donnant le souffle nécessaire, l’auteur de « Lapinot » nous a concocté un opus aussi inattendu que réjouissant, et même inespéré ! Donc, au final, on peut dire qu’il a gagné son pari !!!
Gilles RATIER
« Omni-Visibilis » par Matthieu Bonhomme et Lewis Trondheim
Éditions Dupuis (19 Euros)