N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...« Sandman » T3 par Neil Gaiman & co
J’ai déjà tout dit ou presque sur « Sandman » ici même. Mais je vais en redire encore quelques mots à l’occasion de la récente sortie du T3 de la belle intégrale en cours de parution chez Urban Comics. On l’a tellement attendue, cette intégrale…
Noyau de ce volume, l’arc « Le Jeu de soi » (« A game of you »), entouré des épisodes « libres » alentour et de quelques belles curiosités ou/et inédits. « A game of you » semble être l’un des arcs préférés de Neil Gaiman, et je partage tout à fait son avis. Certes, chaque arc (et chacun des épisodes qui se suffisent à eux-mêmes) a son propre esprit, son caractère unique faisant écho à l’ensemble de cette œuvre à la fois polymorphe et extrêmement cohérente à la fois, et donc il sera difficile de comparer ces multiples facettes les unes aux autres, engendrant chacune des émotions et des ressentis différents. C’est bien sûr l’une des très grandes qualités connues et reconnues de ce chef-d’œuvre. Mais c’est vrai que « A game of you » a une substance toute particulière, point névralgique où se croisent et se mêlent l’ensemble des prérogatives de Gaiman, entre chronique intime, humour décalé, étrange, dark fantasy, miroir social, aventure existentielle, merveilleux, etc. L’héroïne principale qui s’appelle Barbie a été mariée à un certain… Ken, ce qui en dit long sur ce que sous-entend Gaiman quant au formatage systémique et mercantile que nous subissons et qui nous éloigne de notre vraie nature ; n’importe qui aurait utilisé ces deux noms ridicules n’aurait pas échapper lui non plus au ridicule, embourbé dans un gag dont il serait impossible de s’extirper pour accéder à un propos sérieux. Miracle, Gaiman y parvient sans aucune difficulté, réussissant au contraire le tour de force de nous émouvoir et de nous interloquer via ce procédé. Autour de Barbie, il y a Hazel et Foxglove, un couple de lesbiennes dont une se retrouve enceinte après une incartade masculine alcoolisée, Thessaly, qui sous des dehors d’étudiante en histoire de l’art toute sage se révèle être une sorcière ancestrale, et Wanda, la grande tige un peu vulgaire qui s’appelle en fait Alvin, transsexuel essayant d’assumer sa vraie nature déviante. Tout ce beau petit monde a clairement un problème d’identité, d’où le « jeu de soi » : qui sommes-nous, que disons-nous être, quel est notre vrai nom et pourquoi veut-on en changer, que voulons-nous être ? Autant de question sur ce qui définit le « soi » et que nous avons parfois du mal à comprendre ou à articuler pour vivre… Dans cette histoire se déployant sur deux mondes, deux réalités, Barbie devra passer de l’autre côté du rêve pour comprendre qui elle est et ce qu’elle doit être, dans une quête aux accents de « Magicien d’Oz » qui dérape dans l’horreur. Un très beau récit, majoritairement dessiné par Shawn McManus qui distille ici de magnifiques images, expressives et fantastiques.
Autour de ce « Jeu de soi », il y a donc cinq épisodes qui sont autant de one-shots et qui explorent encore une fois différentes époques et différents visages de ce qui constitue l’ensemble de l’œuvre. On y croisera des figures historiques comme Marco Polo, l’Empereur Auguste ou Marco Polo, d’autres fictives, comme une ancêtre de John Constantine (« Hellblazer ») ayant vécu au temps de la Terreur qui suivit la Révolution française, Joshua Abraham Norton, entrepreneur et inventeur ayant vécu au fin du XIXe siècle, ou encore ce grand-père qui raconte une bien étrange histoire de chasse à sa petite-fille… Autant de récits, d’univers, de directions imaginaires où Sandman apparaît, avec différents visages et diverses intentions… Petite « coquetterie » chronologique, vous aurez le plaisir de lire aussi dans ce volume un récit difficilement trouvable et pourtant important : l’unique numéro de « Sandman Midnight Theatre », crossover entre « Sandman » et « Sandman Mystery Theatre » paru en 1995 et écrit par Neil Gaiman et Matt Wagner : jouissive rencontre entre le héros de Gaiman et celui repris par Wagner en 1993 en hommage au premier « Sandman » de l’Âge d’Or. Un épisode superbement peint par Teddy H. Christiansen qui ravira les fans des deux séries. Enfin, comme pour les autres volumes de cette belle intégrale, un dossier de fin assez copieux vous propose des bonus inestimables, comme cette histoire courte génialement illustré par l’immense John Bolton et qui parut en 1997 dans l’anthologie « Vertigo Winter’s Edge » n°1, ou les sublimes portraits de Dream et de Death réalisés par de grands artistes dans les numéros spéciaux « Sandman Gallery ». Enfin, des entretiens entre Neil Gaiman et Hy Bender issus du « Sandman Companion » (inédit en France) nous permettent d’apprendre de nombreuses choses sur la création des épisodes présents dans cet album. Quelques autres surprises vous attendent, mais je n’en dirai pas plus… On ne remerciera donc jamais assez Urban Comics pour cette intégrale « Sandman » qui comble avec talent une injustice éditoriale française de longue date… Indispensable.
Cecil McKINLEY
« Sandman » T3 par Neil Gaiman & co
Éditions Urban Comics (35,00€) – ISBN : 978-2-3657-7314-0
Bonsoir Cecil
« Une injustice éditoriale française de longue date », un doux euphémisme… La série a obtenu de multiples distinctions aux Etats-Unis notamment pour l’intelligence de son scénario, où elle s’est trés bien vendue dés le début ainsi qu’en Angleterre. Quasi-inconnu outre-Atlantique lors de sa création, Neil Gaiman a pu y obtenir une liberté de création appréciable grace à l’éditrice à l’époque du label Vertigo, Karen Berger. Ce qui lui a permis de mener sa barque jusqu’à bon port, en dépit de changements parfois intempestifs de dessinateurs.
En France, la série a déjà été traduite, mais de façon discontinue et sans honneurs (lLe Téméraire de Jean Wacquet a cessé ses traductions avant terme, et ne parlons pas des livres de panini, dont certains tomes restaient épuisés des mois, rendant impossible toute lecture continue de ce chef d’oeuvre, peu reader-friendly au départ il faut le reconnaitre, mais dont la lecture régulière permet de comprendre et d’apprécier toutes les subtilités).
Cette version Urban Comics (qui est sans doute celle des Absolut de DC, bourrés de matériel complémentaire) permettra au public français d’y accéder en toute facilité.
Bonjour Michel,
Merci de votre commentaire.
Cette intégrale française reprend bien l’édition « Absolute » américaine, avec quelques variantes structurelles, mais contient bien tous les trésors de bonus qu’on y trouvait. Quant au parcours éditorial chaotique de « Sandman » en France, je l’avais bien sûr abordé dans un article antérieur ainsi que dans l’interview de Neil Gaiman que j’avais eu la chance de faire il y a quelque temps. L’occasion pour moi de rappeler et de confirmer les très grandes qualités humaines de cet auteur qui – malgré sa renommée – reste d’une humilité, d’une gentillesse, d’une accessibilité et d’une profondeur tout à fait bluffantes: un amour!
Bien à vous,
Cecil McKinley
Oups! J’avais oublié les albums Delcourt, entre le Téméraire et Panini!
Exact!