Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Premier tour de table sur le numérique entre le SNE et le SNAC !
Ouverture de discussions entre le groupe BD du SNE (Syndicat National de l’Édition) et le SNAC BD (Syndicat National des Auteurs et Compositeurs) : ceci afin de faire un premier tour de table portant sur les questions posées au SNE par les auteurs via l’Appel du Numérique. Sur bien des points, cette rencontre aura confirmé des désaccords très marqués entre le SNE et le SNAC, mais la discussion est désormais lancée, et elle n’en est qu’à ses débuts….
Comme le SNAC a été le premier à réagir et que leur retranscription de cette réunion semble exposer tous les points de vue, en attendant une version du SNE que nous n’hésiterons pas à mettre en ligne si elle se fait jour, voici le compte-rendu de cette rencontre faite par les membres du SNAC BD :
Compte rendu de la rencontre SNE – SNAC BD du 16/06/2010
Une délégation du SNAC BD (composée de Hubert, Sébastien Cosset – Kerascoet, Fabien Vehlmann, Maëster, Henscher et Emmanuel de Rengervé ) a été reçue le 16 juin 2010 dans les locaux du SNE, afin de faire un premier tour de table portant sur les questions posées au
SNE par les auteurs via l’Appel du Numérique.
Le moins que l’on puisse dire est que cette rencontre a mobilisé les éditeurs, et non des moindres, puisque se sont joints à Louis Delas (PDG de Casterman et président de la commission BD du SNE), rien moins que Guy Delcourt, Jacques Glénat, Jean Paciulli (Glénat), Claude de Saint Vincent (PDG de Dargaud) et Philippe Ostermann (Dargaud).
Cette affluence prouve à la fois que la question numérique est un sujet qui retient toute l’attention des éditeurs regroupés au sein du SNE, et elle fait également du SNAC BD un partenaire incontournable et légitime dans les discussions à venir.
Nous ne pouvons que nous féliciter de l’ouverture de ces discussions, trop longtemps repoussées, et de la diversité des éditeurs qui y ont pris part.
Étaient également présents à cette table ronde :
- Christine de Mazières, déléguée générale du SNE,
- Lore Vialle-Touraille, responsable juridique du SNE.
- Christine Filloux, chargée de mission.
- Vianey de la Boulaye (directeur juridique de Hachette livres et président de la commission juridique du SNE).
En préambule, Louis Delas tient à préciser qu’en l’état actuel du marché du numérique, il est très difficile sinon impossible de construire un modèle chiffré pertinent, notamment en termes de volumes de ventes potentiels, de prix des ouvrages numériques et de répartition des
revenus entre les différents acteurs. Une chose est sûre, aux yeux du SNE, le marché n’est absolument pas viable pour le moment et les éditeurs y investissent à perte.
Pour cette raison, il leur est impossible de discuter plus avant de conditions chiffrées. Le mieux que les éditeurs puissent proposer est de fixer les droits d’auteur à la même hauteur que le taux papier moyen (10%), non progressif.
Le SNE, toujours par la voix de Louis Delas, a souhaité présenter au SNAC le fruit de ses réflexions sur le marché numérique, ses travaux en la matière ainsi que les initiatives entreprises sur plusieurs dossiers rattachés à cette problématique. Pour Louis Delas, il est
important que tout le monde, éditeurs et auteurs, aient « une même vision réaliste et objective » de la situation actuelle.
A donc été rappelé le combat dans lequel le SNE est engagé contre le piratage, combat dans le cadre duquel le SNE a perdu une bataille contre l’opérateur Free, échouant à faire reconnaitre sa responsabilité dans les échanges de BD piratées sur des serveurs dépendant de son
domaine.
Il a également été fait référence à la bataille du SNE en faveur de l’alignement de la TVA du livre numérique – actuellement à 19.6% – au même niveau que celui du livre papier – 5.5% – un élément déterminant selon le SNE afin de pouvoir proposer une offre plus attractive en
terme de prix aux lecteurs. Cet alignement ne pourra être décidé que dans un cadre européen, et il n’est pas attendu avant 2015, dans le meilleur des cas.
Enfin, le SNE est très inquiet de la situation des libraires indépendants, qui sont à ses yeux des relais cruciaux pour le secteur de la BD, et dont l’avenir est menacé par la révolution numérique, si d’aventure la BD numérique devait s’imposer de façon significative. Il parait donc important pour le SNE de prendre en compte le devenir des libraires dans la réflexion globale sur l’économie du livre numérique.
Ce tour d’horizon accompli, le SNE nous a présenté le résultat de ses études sur la nouvelle répartition des rôles dans l’économie du livre numérique, et la redistribution des revenus qui en découle. Cette étude tend à montrer que les coûts de fabrication vont être remplacés par les
coûts de maintenance des plateformes numériques, et la mise à jour constante de métadonnées, tâche devant être réalisée manuellement et demandant d’importants moyens humains.
De fait, il ressort de cette étude que la seule marge de manœuvre dans la nouvelle économie naissante – livre numérique : le seul poste sur lequel on peut générer des revenus supplémentaires – est la TVA, laquelle est destinée à baisser le prix des ouvrages.
Emmanuel de Rengervé fait remarquer à ce stade que d’une part l’avant propos de Louis Delas était de dire qu’il était impossible de chiffrer un modèle économique naissant et d’autre part d’autres études, telle celle du Motif, ou plus récemment une étude commandée par le Ministère de la Culture, divergent significativement des conclusions auxquelles le SNE a abouti. Il ressortait clairement de cette « mise en bouche » ou « en condition » faite par les éditeurs qu’il ne fallait pas demander plus puisque leur étude (celle du SNE) démontre qu’il n’y aurait pas plus…
Passé ce préambule, nous sommes entrés dans le vif du sujet, et nous avons abordé les questions soulevées par l’Appel du Numérique.
Aux délégués du SNAC qui s’étonnent de ce que l’on demande aux auteurs de céder leurs droits sur la version numérique ou numérisée de leur œuvre, les éditeurs répondent qu’à leurs yeux, si le support change, la forme de l’œuvre ne diffère pas fondamentalement. La BD reste un objet de lecture. Un livre reste un livre, qu’il soit imprimé sur papier ou qu’il soit lu sur un Ipad – quand le format choisi par l’éditeur le permet – et sa fonction essentielle n’est pas altérée par le support, au contraire, par exemple, d’une adaptation audiovisuelle.
D’autre part, au vu de la révolution que laisse envisager le développement du marché de la BD numérique – que les éditeurs reconnaissent bien volontiers – il leur semble foncièrement injuste de ne pas disposer des droits numériques sur une création qu’ils ont financée via les à valoir.
Ce même argument justifie selon le SNE une cession des droits numériques de la même durée que pour le livre. En effet, une cession courte – de 3 ans re-négociable, telle que proposée par le SNAC – ferait de facto perdre de la valeur à cette cession. Cela empêcherait les éditeurs d’une part de pouvoir planifier leur activité sur le long terme grâce à des revenus assurés, et d’autre part de pouvoir négocier dans de bonnes conditions des cessions à des tiers éventuels. En effet, ces derniers n’auraient qu’à attendre la fin de la cession pour « récupérer » les droits directement auprès des auteurs. Quand la concurrence s’appelle Google, Amazon ou Apple, accepter des cessions de 3 ans reviendrait selon les éditeurs à se saborder, à les affaiblir vis-à -vis
des « gros » méchants du marché les Google, Amazon et autres Orange ou opérateurs de téléphonie. Si nous sommes puissants (par les droits que nous aurons des auteurs) nous pourrons les défendre efficacement.
Puisque ce marché numérique semble devoir prendre son essor à plus ou moins long terme, les délégués du SNAC s’étonnent que les pourcentages actuellement proposés aux auteurs soient si bas – de l’ordre de 8, parfois 10% dans le meilleur des cas – et non progressif. Qu’un auteur vende 500 ouvrages numériques, ou 500 000, son droit d’auteur ne varie pas, contrairement à ce qui se fait pour la version papier, au régime de laquelle il est pourtant soumis selon le SNE.
Selon le SNE toujours, cela s’explique par l’absence d’un quelconque marché à l’heure actuelle, et par les sommes très importantes que les éditeurs doivent investir, pour le moment à perte. S’ils ne sont pas opposés à l’idée de pallier en fonction du niveau de ventes, ils sont
dans l’incapacité de définir lesdits paliers, ne sachant pas quels seront à terme les volumes des ventes dans un marché numérique arrivé à maturation.
Ils ajoutent cependant que lorsque le marché aura atteint sa vitesse de croisière, les pourcentages proposés actuellement seront bien entendus revus à la hausse – ou à la baisse, dans l’hypothèse très pessimiste où ledit marché ne décollerait jamais.
Les délégués du SNAC font remarquer que de fait, rien ne permet de garantir dans les conditions actuelles de cession (70 ans au-delà de la mort de l’auteur) que les auteurs pourront renégocier leur contrat. Pour pallier à ce qui est une inquiétude chez un nombre grandissant
d’auteurs, le SNAC propose donc d’instituer une clause obligeant auteurs et éditeurs à se rencontrer pour renégocier, au bout d’un laps de temps bien plus court – 3 ans, donc.
Le SNE est opposé à une durée limitée des droits mais accepte ce qu’il appelle la « clause de revoyure »), et propose même qu’un groupe de travail commun au SNAC et au SNE soit créé afin de rédiger une clause qui satisfera toutes les parties. Étant entendu que pour le SNE, ladite clause ne peut pas prévoir de rendre les droits numériques à l’auteur, en cas de désaccord. Tout au plus le SNE est-il d’accord pour que, en cas d’échec de la discussion entre un éditeur et l’auteur, ce dernier ait la capacité de geler l’exploitation de son ouvrage en version numérique.
Pour le SNE, ce gel de l’exploitation serait une sorte de dérivé naturel du droit moral que possède chaque auteur sur son oeuvre. Mais en aucun cas le SNE ne peut envisager qu’un désaccord rende les droits caduques et les fasse donc revenir à l’auteur. Cet aspect des choses
n’est pas négociable pour le SNE, tout comme l’obligation de cette cession comme condition sine qua non de signature d’un contrat de publication papier.
A la remarque des délégués du SNAC qui demandent pourquoi un auteur n’irait finalement pas directement voir Apple, Amazon ou Google, qui proposent notamment des droits d’auteur nettement plus élevés, le SNE répond qu’en effet, il est impossible d’éviter cela. Cependant,
pour les éditeurs, ces géants d’internet restent de simples diffuseurs de contenu, or le métier d’éditeur est bien plus que cela, et c’est prendre un très gros risque que d’aller se perdre dans les innombrables références d’un Apple ou Google. Un véritable éditeur, lui, travaille le projet avec les auteurs, et assure par ailleurs toute une partie marketing que ne fera pas un géant d’internet.
Pour le SNE, la solution de l’indépendance des auteurs vis-à -vis de leurs éditeurs traditionnels est une chimère, un mirage dangereux qui va faire beaucoup de déçus. Le SNE estime que ce serait se tirer une balle dans le pied que de se lancer dans ce genre d’aventure. De plus, si les
auteurs décidaient en masse de s’auto-éditer sur Internet, cela fragiliserait dangereusement tout un secteur, mettant en péril autant d’emplois, et sciant la branche qui soutient les auteurs depuis plusieurs décennies. Ce ne serait donc une bonne opération pour personne.
Sur bien des points, cette rencontre aura confirmé des désaccords très marqués entre le SNE et le SNAC. Mais la discussion est désormais lancée, et elle n’en est qu’à ses débuts. Il a été décidé par les deux parties qu’une première proposition de clause de revoyure écrite par le
SNE serait communiquée au SNAC avant le 31 juillet 2010 de même qu’une clause encadrant la notion d’exploitation permanente et suivie appliquée au numérique.
Le Snac de son côté doit envoyer avant le 31 juillet un projet de clause sur les moyens de l’exercice du droit moral appliqué au livre numérique.
La Délégation du Snac a clairement dit qu’elle devait rendre compte au comité de pilotage pour savoir s’il y avait accord pour poursuivre ou pas les discussions sur ces points. La délégation a précisé en début de discussions sur la clause de revoyure, l’exploitation permanente et suivie, le droit moral que discuter selon les conditions du SNE ne voulait pas dire accepter son point de vue pour autant.
Aucune date n’a été fixée pour une prochaine rencontre entre les deux parties, mais septembre a été envisagé comme un horizon réaliste, afin de se revoir pour confronter de nouvelles propositions émanant des deux instances représentatives.
Pour le groupement bande dessinée,
le « comité de pilotage » du SNAC BD
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