Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...bd BOUM 2013 : une édition particulièrement réussie
Nous attendions tous avec impatience la 30e édition de bd BOUM. Ce festival très particulier allait-il encore une fois nous surprendre ? Allait-il rester fidèle à ses valeurs de gratuité et de civisme, dans un climat général morose ? Allait-il drainer autant de public malgré le temps glacial ?
Finalement, chacun a pu vérifier que bd BOUM est resté citoyen, pédagogique, engagé, militant, et surtout que la qualité de son contenu n’a en rien reculé.
Jean-Pierre Baron, président depuis 2007, et Bruno Génini, directeur depuis 2004, ont su préserver l’esprit particulier qu’ont évoqué samedi soir lors de la remise des prix leurs prédécesseurs Fred Dehouck (ancien président) et Maryse Bourgeois (ancienne directrice) : depuis la fondation en 1983 jusqu’à aujourd’hui, la dimension artistique est constamment allée de pair avec le combat pour les valeurs civiques. Le festival blésois marque par là même sa différence : ici pas de mercantilisme, mais au contraire le choix d’une politique particulière qui fait de la BD le support d’un projet pédagogique et social de grande envergure.
Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux ouvrages traitant différents thèmes de société qui sont édités chaque année par bd BOUM. Cette fois, « Les Gens normaux » coordonné par le scénariste Hubert, dont les planches étaient exposées à la bibliothèque Grégoire, donnaient la parole aux lesbiennes, gays, bi et trans. Cet ouvrage, en dévoilant des tranches de vie très émouvantes, entend nous informer, mais aussi nous faire mieux comprendre certains enjeux de société très actuels.
Dans une veine identique, évoquons également le travail réalisé en étroite collaboration avec le CDSAE (Centre Départemental Soin Accompagnement et Éducation). Durant toute l’année, Jean-Charles Enriquez, vice-président de bd BOUM, organise et met en scène des expositions avec l’ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) l’IMP (Institut médico-pédagogique) et le service handicapé. Ainsi est née une exposition de grande qualité autour de « Boule et Bill » bien mise en valeur à l’entrée de la Halle aux Grains. Plus besoin de présenter Boule, ce petit garçon né en 1959 dans le journal de Spirou, et Bill, son chien farfelu à qui il arrive pléthore de mésaventures. Chaque visiteur, petit ou grand, a retrouvé dans cet espace ses personnages familiers et des planches originales, et parfois même inédites. La mise en scène, minutieusement élaborée a cherché à nous immerger d’emblée dans l’univers de nos héros d’enfance. À l’occasion, on a pu aussi y croiser l’auteur Laurent Verron qui, très respectueux de son jeune public, a décidé de n’accorder de dédicaces qu’aux enfants et non aux collectionneurs. À l’angle d’un mur, quelques dessins supplémentaires qu’il affectionne particulièrement : un aperçu de ses carnets de 2003 et 2005 annotés par le scénariste Chric et publiés aux éditions du Lombard sous les titres d’« Au fil du zinc » et « Tête de gondole ».
En poursuivant son chemin, on a croisé le cartoonist Jean-François Batellier qui illustrait ses ouvrages en expliquant ses choix graphiques et ses inspirations. Plus loin encore, une nouveauté : un dessinateur faisait des portraits à la manière d’un manga. Un succès assuré si l’on en juge par le temps d’attente à son stand. Au-delà des stands, la vente aux enchères de planches originales offertes par les auteurs a créé une certaine effervescence dans la Halle.
À l’étage, le public a pu observer le dessinateur belge Joe G. Pinelli, en pleine création. Sur un fond sonore choisi spécifiquement, qui renvoie à sa passion pour la musique, il a longuement crayonné avec ses bâtons à l’huile sur de grands formats de papier kraft. Ce fut l’occasion de percevoir toutes les particularités de son travail sur la transparence et de son jeu avec les couleurs qui peut rappeler certains peintres fauvistes. Pour compléter son œuvre, des citations d’auteurs minutieusement sélectionnés prolongeaient le message des œuvres peintes. Dans la salle adjacente autre auteur, autre genre, mais toujours une grande affluence : des planches d’héroic-fantasy du grand Dany (« Olivier Rameau », « Les Guerrières de Troy »…) côtoient certaines de ses planches coquines.
En sortant de la Halle, le bus qui se trouve comme chaque année sur le parvis permet de découvrir une création ayant pour thématique les transports sentimentaux. Cette année « Ligne de vue » nous a présenté une jeune femme et son chien.Â
Un détour par la Fabrique donnait un aperçu de l’ampleur pédagogique de ce festival. On y a croisé beaucoup d’enfants et de jeunes autour des tables des divers ateliers : au carrefour des histoires, au monotype, au collage, au coloriage à la craie, au dessin, mais aussi aux travaux sur carton visant à aborder la profondeur de champ. La variété des ateliers créatifs proposés a suscité l’enthousiasme et l’application de tous.
Enfin, pour se faire plaisir ou retrouver d’anciens souvenirs, il fallait absolument se rendre à la Bibliothèque de l’Abbé Grégoire, et déambuler dans l’exposition « 30 ans d’Histoire(s) ». On y découvrait de nombreuses photos, dessins et affiches retraçant l’histoire de l’association et du festival bd BOUM. À côté, l’exposition « Clara » draine un public enfantin sur un sujet pourtant délicat à aborder à cet âge : l’album de Christophe Lemoine et Cécile évoque avec délicatesse le décès de la maman d’une petite fille. La mise en scène de l’exposition, en juxtaposant nounours et dessins aux couleurs pastels, a su conjuguer poésie et émotion. Enfin, à l’étage, Denis Bajram (« Universal War ») a animé un atelier très couru destiné à de jeunes auteurs, avant de dédicacer ses albums dans le hall de son hôtel dans une ambiance très conviviale.
Une fois encore, le succès et la qualité furent au rendez-vous. Le public, qui a afflué en masse, ne s’y est pas trompé, rendant ainsi hommage à trente ans d’action mise au service de la BD dans un esprit citoyen.
Josy HERMELINE