Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Dans les glaces » par Simon Schwartz
« Dans le Grand Nord, au point le plus froid du monde, vit Tahnusuk. Le Diable… » Ainsi commence un voyage surprenant vers le Pôle Nord, accompagné d’un dessin représentant un visage hideux et grimaçant, celui de ce diable chassé des terres arctiques par un corbeau tout aussi mythologique. Dans ces contrées alors tranquilles survinrent malheureusement des « visiteurs du printemps » obsédés par Tahnusuk…
Ces visiteurs, ce sont les membres de l’équipage mené par l’explorateur américain Robert Peary, un homme aussi intransigeant que peu respectueux qui, après maintes aventures, s’est décidé à s’attaquer aux étendues polaires. Depuis de nombreuses années, il a ses côtés un domestique qu’il ne ménage pas mais auquel il reste fidèle. Ce Matt Henson, serviable, habile et courageux, a surtout la particularité d’être noir. Pour rentrer dans l’histoire, c’est un handicap ! Or l’aventure polaire de Peary (à partir des années 1891-1892) est tout autant celle d’Henson car c’est non seulement ce dernier qui permet à Peary d’arriver à bon port mais, plus important, c’est lui semble-t-il qui « touche » le premier le pôle magnétique (expédition des années 1906-1909). Pire, Peary lui volera ni plus ni moins les photos qu’il a prises. L’homme n’est pas à une goujaterie près, non seulement il rapporte à New York des météorites dépossédant ainsi les Esquimaux de leurs pierres sacrées (elles sont toujours exposées au Museum d’Histoire Naturelle de New York), mais il se décide aussi à y exposer contre leur gré des « sauvages ». Un seul survivra, un enfant dénommé Minik…
Au sortir de cette lecture, Peary est devenu détestable et on plaint le pauvre Henson, méprisé, exploité, oublié, auquel cet album rend justice. Au prime abord, le dessin de Simon Schwartz surprend par la simplicité des visages, lisses et ronds, mais il sait aussi installer des figures mythologiques tout à fait intéressantes ; et ses paysages maritimes et polaires ne manquent pas de grandeur. L’auteur a judicieusement complété son travail d’un dossier final très intéressant de 26 pages comprenant croquis, photos et chronologie détaillée. A noter que pour cet album le dessinateur allemand a reçu dans son pays le prix Max et Moritz 2012.
Pour compléter cette évocation atypique, il faut absolument lire ou relire deux albums parus en 2008. D’abord « Minik » de Marazano et Hippolyte (éditions Dupuis, 2008). Les auteurs évoquent comment, en 1898, l’explorateur Peary ramena de l’Arctique, une famille d’Inuits et parmi eux, le jeune Minik. L’attraction scientifique fut de courte durée. Un à un, les Inuits meurent de maladie laissant Minik à New York, orphelin, seul, désÅ“uvré, loin de sa banquise natale. Hippolyte apportera à cette histoire incroyable son dessin rehaussé d’aquarelles, c’est-à -dire ce quelque chose de fluet, voire de désuet, qui va bien avec cet univers 19e siècle.
Chloé Cruchaudet a également signé en 2008 un album inspiré de la même histoire. C’est « Groenland Manhattan », chez Delcourt. Elle aussi met en scène les cinq Esquimaux ramenés du Pôle, dont le jeune garçon de 10 ans et son père, logés au Museum d’Histoire Naturelle. La tuberculose ayant eu raison des quatre adultes, Minik est adopté par un conservateur. Il s’adapte peu à peu à sa nouvelle destinée mais découvre un jour le squelette de son père dans une vitrine ! Dès lors l’envie de revenir chez lui est très forte, comme celle de récupérer toutes les affaires de sa tribu. Il fugue et finit par retourner au Groenland où l’accueil n’est pas tout à fait celui qu’il imaginait…  Chloé Cruchaudet s’est appuyée sur l’ouvrage de Kenn Harper, « Minik, l’Esquimau déraciné » et sur le documentaire « Qui se souvient de Minik ? ». C’est d’ailleurs la réalisatrice de ce dernier qui signe la postface qu’un dossier complète en insistant sur l’idéologie qui prévaut à l’époque, inhumaine et raciste. Cet album a reçu en son temps le Prix René Goscinny.
 Alors, bons voyages !
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
 « Dans les glaces » par Simon Schwartz
Éditions Sarbacane (19,50 €) – ISBN : 9782848656403