Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Alice in Borderland » T2 par Haro Asô
Et non, les éditions Ki-oon ne sont pas les seules à avoir, à leur catalogue, des mangas de type « survival game ». Les éditions Delcourt se mettent également sur ce créneau avec « Alice in Borderland ». Si le premier numéro ne m’avait pas convaincu, le second se rattrape largement et le jeu commence à prendre sa vitesse de croisière. Au menu, énigmes, stratégies, dépassement de soi et, bien évidemment, la mort en cas d’échec. Bref, ne serait-ce pas un énième ersatz de ce genre qui a un succès certain chez les adolescents avides de sensations malsaines ?
« Alice in Borderland » fait référence au livre de Lewis Carroll où une petite fille, Alice, se perd dans un monde étrange après avoir chuté dans le terrier d’un lapin. Ici, le « Alice » fait référence au nom du héros et non d’une héroïne. Le terrier du lapin est symbolisé par une explosion de type feu d’artifice démultiplié et le monde étrange serait un Tokyo complètement abandonné et dévasté du nom de Borderland.
Dans le premier tome de cette série de 8 numéros, qui est toujours en cours au Japon, l’auteur, Haro Asô n’a fait que poser les éléments clefs de l’histoire. L’action commence réellement avec ce second volume. Dans le premier chapitre, le lecteur continue d’en apprendre un peu plus sur le passé des 4 héros de l’histoire, Alice, Karube et Chôta, trois amis d’enfance ainsi que sur Shibuki, une jeune femme enfermée depuis plus longtemps qu’eux dans ce jeu. En revanche, toujours aucune explication sur les raisons de leur présence en ce lieu étrange.
Ce qui est certain, c’est que s’ils ne participent pas régulièrement aux épreuves, ils ne pourront plus obtenir un sursis supplémentaire et la mort les frappera immédiatement.
Dans ce volume, le challenge est de rechercher un appartement ouvert sur les milliers de pièces qui composent un énorme bâtiment en L. Il y a trois escaliers, un à chaque bout, et un central. Onze participants et un « chat » prêt à en découdre pour empêcher les souris d’approcher de la pièce salvatrice. Armé de pistolet mitrailleur, le gardien n’hésite pas à tuer, un par un, les participants à ce jeu morbide. Certains, trop incrédules ne font pas long feu, alors que pour d’autres, c’est simplement la malchance de ne pas être au bon endroit au bon moment. Mais, grâce à une stratégie bien rodée ou à un entraînement physique intense, il y en a qui arrivent à s’en sortir sans encombre. Au final, les vainqueurs gagneront quelques jours de vie supplémentaire, jusqu’au prochain jeu.
Les mangas type « survival game » est un genre en vogue au Japon depuis 1999 et la publication du roman de Kōshun Takami, « Battle Royale ». Éditée en français par Soleil, l’adaptation en manga faite par Masayuki Taguchi, d’après un scénario remanié de l’auteur du roman, comporte 15 volumes. Extrêmement violent et sans morale, il est demandé à une classe de 42 élèves, envoyés sur une île isolée, de s’entre-tuer afin de ne garder qu’un survivant. Ensuite, sont apparus de nombreux titres ayant plus ou moins de succès en copiant ce principe du jeu ou il ne doit en rester qu’un. Les plus célèbres, en France, sont « Judge » et « Doubt » de Yoshiki Tonogai chez Ki-oon. Plutôt inspirés de la série de films américains « Saw » , ces titres ont toujours en commun qu’il faut survivre et voir ses compagnons d’infortune tomber les uns après les autres. « Alice in Borderland » fait des emprunts à un peu tous ces titres, il faut tuer ou être tué, question de survie, mais il faut également résoudre des énigmes si l’on ne veut pas être abattu à distance par une puissance occulte encore inconnue.
Le premier manga d’Haro Asô publié en France, « Hyde & Closer », narrait les aventures d’un jeune adolescent poursuivi par des sorciers. La violence et le cynisme du titre n’avaient rien à voir avec celle de « Alice in Borderland ». C’était bon enfant, avec un ours en peluche adepte de la tronçonneuse.
Ici le ton est plus grave, plus réaliste, malgré un dessin toujours extrêmement caricatural pour certains personnages. C’est d’ailleurs cette différence de traitement entre le héros, Alice, et son meilleur ami, Chôta, qui interpelle. Globalement, les personnages sont moins typés shônen manga que dans « Hyde & Closer », on est plus dans un graphisme de type seinen.
Dès le départ, le titre met bien en avant le personnage central de Alice qui, contrairement à son frère qui a tout réussi, se sent comme un paria dans cette société qui l’oppresse. Misant principalement sur l’esprit d’équipe et la cohésion du groupe, les quatre protagonistes ont chacun un passé qui est développé tout au long des épisodes, sous forme de flash-back. Ils ont en commun d’avoir été opprimé et de ne pas se sentir à leur place dans la société japonaise actuelle : un classique…
La couverture aux tons criards est peu engageante, et les dessins intérieurs sont un peu malhabiles. Néanmoins, il faut aller plus loin pour découvrir un titre ou l’ambiance pesante oblige le lecteur à s’interroger sur le sens de sa propre vie. Face au mal-être de ces quatre jeunes parachutés dans ce monde hostile, on ne peut que compatir et faire face à ses actions et sa propre quête d’identité.
Gwenaël JACQUET
« Alice in Borderland » T2 par Haro Asô
Éditions Delcourt (6,99 €) – ISBN : 978-2-7560-3704-2