Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Cette histoire, romanesque à souhait, du boxeur Amadou M’Barick Fall, dit Louis Siki Fall puis Battling Siki, lequel fut le premier africain champion du monde (en 1922), nous permet de découvrir deux nouveaux talents narratifs assez originaux !
Si on avait déjà remarqué le trait fin et charbonneux à la fois du marseillais Eddy Vaccaro dans divers ouvrages prometteurs (« La Fantôme » en 2004 à La Boîte à bulles, « La Promesse » en 2007 chez Carabas ou « Baybars » en 2008 chez EP), il s’agit du premier scénario du journaliste et photographe de presse Aurélien Ducoudray. Coaché par son directeur de collection Luc Brunschwig, ce reporter, responsable de nombreux documentaires réalisés pour la télévision, a su mettre tout son sens inné du découpage et de la documentation dans ce portrait attachant qui nous raconte la destinée tragique et hors du commun d’une victime de la colonisation, de l’immigration et du racisme.
Alors que ce dernier a quasiment disparu des livres de l’histoire du sport, et même de celle la boxe dont il fut pourtant un noble représentant en battant la star française qu’était Georges Carpentier, les auteurs s’efforcent de réhabiliter l’image de ce champion du monde et héros de la Grande Guerre, injustement accusé de tricherie : tous les articles de l’époque se moquant de sa couleur de peau et le décrivant comme une bête de foire ou « une sorte de chimpanzé à qui on aurait appris à mettre des gants » !
Né à Saint Louis du Sénégal, celui qui va devenir Battling Siki débarque en France avec une troupe de danseuses hollandaises dont il a intégré le spectacle en jouant le rôle d’un boy en costume récitant des fables de La Fontaine. Se retrouvant seul et sans papiers à Marseille, il découvre la boxe à la suite d’une vulgaire bagarre… Il va alors gravir les échelons de la société à la force de ses poings, sans y être vraiment jamais admis. Sombrant dans l’alcoolisme, un policier retrouvera son corps criblé de balles, en 1925, au fond d’une ruelle new-yorkaise, près de la voie ferrée.
Avec la vision caricaturale des faits reportés à l’époque, c’est toute une société au racisme profondément ancré qui se dessine à travers un personnage haut en couleurs, héros de cette très convaincante bande dessinée en bichromie qui se révèle être aussi un important travail contre l’oubli. Bonne nouvelle, les mêmes auteurs nous concoctent deux autres biographies de boxeurs du même tonneau (en sus d’une adaptation du « Club du suicide » de Robert Louis Stevenson) : celles de Victor Young Perez (champion du monde d’origine tunisienne, et amant de l’actrice de cinéma Mireille Balin, qui fut déporté à Auschwitz) et de Primo Carnera (boxeur italien érigé en symbole du fascisme par Mussolini et qui a, ensuite, tourné dans des péplums avant de finir dans la misère). On attend ça avec impatience…
Gilles RATIER
? Championzé ? par Eddy Vaccaro et Aurélien Ducoudray
Éditions Futuropolis (20 Euros)