Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« L’Amérique ou Le Disparu » par Réal Godbout [d’après Franz Kafka]
Karl Rossman, jeune homme originaire de Prague, est forcé d’émigrer à New York pour fuir le scandale : il a malencontreusement engrossé la bonne de ses parents. Naïf, seul et sans le sou, il ne va cesser de passer de malentendus en mauvaises rencontres, ratant les opportunités de s’en sortir qui se présentent à lui. Victime de toutes sortes d’injustices, il est piégé dans un labyrinthe social où le faible est condamné à l’échec…
Réal Godbout, célèbre dessinateur et scénariste montréalais – ne serait-ce qu’avec ses antihéros Michel Risque et Red Ketchup, dont les aventures déjantées sont également rééditées aux éditions La Pastèque —, est presque un mythe chez nos cousins québécois (voir : Vive le Capitaine Kébec : Libre !.
Aussi, pour ses derniers, rien que le fait d’apprendre qu’il s’était enfin remis à la bande dessinée, se hasardant, en plus, sur un terrain sur lequel on ne l’attendait pas (l’adaptation du premier roman, resté inachevé, de Franz Kafka) – était un événement en soi.
Tout en prenant à contre-pied l’atmosphère sinistre et extrêmement étrange des autres récits du romancier praguois, avec son caricatural et efficace graphisme très ligne claire, Godbout reste toutefois fidèle à ce roman enlevé et ironique… Et c’est une totale réussite : tant sur le plan graphique que narratif !
Il aura quand même fallu sept ans pour qu’il vienne à bout de cette mise en bulles et en cases où l’on retrouve, évidemment, les thèmes favoris de l’auteur du Procès ou du Château ; notamment cette critique du rêve américain, de la bureaucratie et d’une société impersonnelle qui ont entièrement prise sur l’individu déraciné, lequel reste le seul véritable responsable de ses choix. Heureusement, Godbout a eu la bonne idée d’épicer agréablement le tout d’une touche d’humour absurde et de mettre en valeur les ressorts feuilletonesques de l’histoire par un découpage maîtrisé. On obtient alors, au final, une forme cocasse et burlesque du pessimisme kafkaïen : suscitant autant les pleurs que les rires !
Gilles RATIER
« L’Amérique ou Le Disparu » par Réal Godbout [d’après Franz Kafka]
Éditions La Pastèque (23,70 €) – ISBN :978-2-923841-35-9