Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : ? Le Procès ? par Chantal Montellier et David Zane Mairowitz [d'après Franz Kafka], ? Les Fleury-Nadal T.4 : Anahide ? par Didier Courtois et Frank Giroud, et ? Martin Mystère : Les Treize travaux ? Le Code Caravage ? par Daniele Caluri et Alfredo Castelli.
- ? Le Procès ? par Chantal Montellier et David Zane Mairowitz d’après Franz Kafka
Éditions Actes Sud BD (18 Euros)
L’écrivain américain, mais aussi dramaturge, metteur en scène de pièce radiophonique et traducteur, David Zane Mairowitz, avait déjà mis en cases (avec Robert Crumb) la biographie de Franz Kafka, juif issu de la petite bourgeoisie tchèque qui écrivait en allemand, dans le superbe « Kafka » traduit également chez Actes Sud BD, en 1996 (réédition en 2007). Cette passionnante approche de l’homme et de son œuvre se poursuit aujourd’hui avec l’adaptation de l’un des chefs-d’œuvre de la littérature écrit par cet auteur fondamental du XXème siècle : l’histoire d’un certain Joseph K., arrêté sans savoir pourquoi, un matin, dans son lit. Publiée l’an passé à Londres, chez Self/Made-Hero, sous le titre « The Trial », cet ouvrage kafkaïen par excellence, sorte de cauchemar qui s’enracine dans le banal quotidien, est remarquablement illustré par le trait élégant et souvent un peu froid, mais qui colle ici parfaitement au sujet, de la talentueuse dessinatrice et scénariste de « Tchernobyl mon amour » ou des « Damnés de Nanterre », entre autres ouvrages exceptionnels dus à la trop rare Chantal Montellier. Et quand on sait que cette irréductible féministe est l’un des rares auteurs de bande dessinée à affirmer ses opinions politiques et à militer pour la cause des victimes d’un monde déshumanisé, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on ressente son engagement dans ce projet à la simple lecture de ces pages dont on ne ressort pas indemne !
- ? Les Fleury-Nadal T.4 : Anahide ? par Didier Courtois et Frank Giroud
Éditions Glénat (13 Euros)
Avec cet éclaircissement bouleversant sur le début du tome 5 du « Décalogue » (l’extraordinaire saga historique et politique concoctée par Frank Giroud), ce prolongement romanesque, via l’histoire de la famille des Fleury-Nadal, est un intense et émouvant témoignage dénonciateur ! Alors que le groupe d’Arméniens dont elle fait partie marche vers la mort, en 1915, pour finir jeté dans un précipice par les Turcs, l’insouciante petite Anahide est enlevée par un Kurde et échappe ainsi à cet horrible destin. Tout en nous apprenant ce qu’elle est devenue par la suite, le prolifique scénariste développe parallèlement une autre intrigue, soixante-dix ans plus tard : alors que la Turquie est en effervescence quand le parlement européen reconnaît officiellement, en 1987, le génocide arménien. Voilà qui tombe plutôt mal à un moment où ce pays frappe à la porte de la C.E.E. ! Parmi les milliers de manifestants qui envahissent les rues se trouve une jeune et belle idéaliste qui ne peut imaginer que ses ancêtres aient pu commettre des actes aussi barbares… Non seulement ce solide et très intelligent scénario est particulièrement efficace sur le plan narratif, mais il permet aussi au style du dessinateur Didier Courtois (avec qui Frank Giroud nous avait déjà conté la jeunesse de « Louis Ferchot » alias « Louis la Guigne ») de se libérer grâce à un trait beaucoup plus jeté et moins académique que pour ses précédentes réalisations : ceci pour obtenir, peut-être, au bout du compte (du conte ?) l’un des meilleurs albums de la série !
- ? Martin Mystère : Les Treize travaux – Le Code Caravage ? par Daniele Caluri et Alfredo Castelli
Éditions Clair de lune ( 14,90 Euros)
Quelle bonne nouvelle ! Les éditions Clair de lune nous proposent quelques inédits de « Martin Mystère », cette formidable et très documentée bande populaire italienne dont les récits, qui flirtent toujours avec le fantastique, renouvellent les poncifs du roman populaire en accumulant les citations et les références culturelles : voir bdzoom.com/article3598. Les scénarios de l’érudit Alfredo Castelli choisis pour ce premier recueil de 336 pages (ils datent de 2005 et 2007) font partie de ses meilleurs écrits pour cette série mythique de l’éditeur italien Bonelli ; en particulier « Les Treize travaux » qui extrapole l’histoire du 9e art, de la caricature et de l’illustration, en nous contant la réalisation d’un 13ème travail d’Hercule réalisé par le très jeune Gustave Doré (il n’avait alors que quinze ans) avant sa visite aux éditions Aubert pour tenter de se faire publier : point de départ pour une nouvelle enquête passionnante de notre aventurier-écrivain (diplômé d’anthropologie et spécialisé en archéologie, histoire de l’art et cybernétique) ! Un vrai bonheur de lecture dont on ressort bien plus intelligent, d’autant plus que la narration graphique de Daniele Caluri, également dessinateur de la série « Don Zauker » qui met en scène un drôle d’exorciste scénarisé par Emiliano Pagani, depuis 2003, et dont les « chauds » épisodes sont également traduits chez Clair de lune en albums cartonnés, est particulièrement bien adapté : à soutenir d’urgence en courant acheter cet ouvrage indispensable à tout amateur de bonnes bandes dessinées, en espérant qu’il soit suivi de bien d’autres recueils du même acabit !
Gilles RATIER