Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Cinder & Ashe » par José Luis GarcÃa-López et Gerry Conway
Lorsqu’on réfléchit à tous les anciens comics qui n’ont pas encore été édités en France, on pense tout de suite à des séries ou à des one-shots emblématiques, en se demandant bien quand quelqu’un réparera ces manques éditoriaux. Et puis il y a des mini-séries dont on ne parle jamais, semblant avoir été englouties dans la mémoire sélective des lecteurs, effacées par le temps et noyées dans la masse exponentielle de publications tapageuses. À l’heure où tout le monde veut publier des comics en éditant souvent tout et n’importe quoi, la sortie de « Cinder & Ashe » rappelle avec éclat combien il reste de pépites à faire redécouvrir au public, et que la chasse aux trésors est loin d’être terminée pour les éditeurs avisés et passionnés…
Ashe est un vétéran du Vietnam. De ce conflit, il n’a pas ramené en Amérique que des souvenirs et des visions d’horreur qui continuent de le hanter malgré sa force intérieure : il a recueilli et pris sous son aile une petite fille aux cheveux roux prénommée Cinder, traumatisée par la perte brutale de sa mère sous le feu des bombes. Le temps a passé, et nous voici à la fin des années 80, en Louisiane. La petite fille est devenue une jeune femme, et Ashe a les cheveux poivre et sel. Tous deux ne se sont pas perdus de vue, au contraire, puisqu’ils travaillent ensemble au sein de leur agence de détectives privés. Un duo porté par une forte éthique et une soif de justice à la fois radicale et humaniste. « Cinder », cela veut dire « braise », en anglais ; et « Ashe » signifie « cendre ». Une chevelure flamboyante et l’autre grisonnante, la braise et la cendre : le couple exprime symboliquement ce qui brûle et qui meurt, le feu de la vie et l’inéluctabilité de la mort. Des concepts qu’ils rencontrent au jour le jour, le long de leurs enquêtes qui les mènent à voir en face toute la dureté de la société gangrénée par la violence et la corruption. Ni l’un ni l’autre n’ont réussi à extirper de leur for intérieur le passé brutal de la guerre du Vietnam, sorte de cauchemar éternellement tapi au creux de leur mémoire, ressurgissant tel un démon lorsqu’ils se retrouvent dans des situations où l’injustice et la cruauté sévit en toute impunité. Ils savent qu’ils ne s’en sortiront jamais, et peut-être est-ce justement pour cela qu’ils ne désarment pas face à cette autre guerre qui n’a pas de nom ni de début, celle qui perdure au quotidien depuis que l’homme est homme, déterminés à ne plus laisser passer aucune horreur – même cachée.
« Cinder & Ashe » a paru chez DC Comics en 1988. Certes, la série a bénéficié du contexte de l’époque où les comics se sont sentis devenir plus adultes, pouvant explorer des thèmes s’écartant du postulat super-héroïque dans un état d’esprit plus dur et réaliste. Mais – et ce n’est pas un défaut, loin de là – « Cinder & Ashe » se démarque des séries d’alors par un ton et une ambiance qui nous ramènent à un certain cinéma américain des années 70, celui de Don Siegel avec « L’Inspecteur Harry », par exemple. Il y a là une force narrative très spécifique, dans le découpage ou bien la violence explicite. Au lieu de profiter de la vague de l’époque, cette série renoue avec certaines racines de la culture américaine moderne, dans une certaine âpreté. Âpre, « Cinder & Ashe » l’est, assurément. Et l’amour qui unit les deux héros (un amour dans le premier sens du terme, pas envisagé selon les seuls paramètres des amants) engendre un contraste très particulier avec cette cruauté froide qui semble tout dévorer au quotidien et avec les visions du passé vampirisées par la guerre. Le trait de José Luis GarcÃa-López, acéré et dynamique, exprime parfaitement l’ambiance du scénario, dans un découpage classique mais ultra efficace. Et comme si cela ne suffisait pas d’avoir les deux maestros Gerry Conway et José Luis GarcÃa-López, c’est le grand Joe Orlando qui s’est occupé des couleurs ; des couleurs crues, parfois criardes, ajoutant à la tension du récit. Il ressort de tout ceci une Å“uvre pleine et rythmée, sans concessions, qui va droit au but et se révèle frontale tout en bénéficiant de belles nuances, de sentiments importants qui ne sonnent jamais faux. « Cinder & Ashe » n’est pas un récit de guerre, ni une histoire d’amour, même si amour et guerre y sont omniprésents. « Cinder & Ashe », c’est un polar pur jus, brut de décoffrage, qui ne perd jamais de son humanité. Une histoire sombre et moite comme les rizières ou les bayous, entre passé et présent, entre deux continents, entre deux personnes d’exception. Un couple très attachant et une histoire à couteaux tirés qui font de cette mini-série une Å“uvre à (re)découvrir urgemment. Très très très chouette…
Cecil McKINLEY
« Cinder & Ashe » par José Luis GarcÃa-López et Gerry Conway
Éditions Delcourt (14,95€) – ISBN : 978-2-7560-3751-6
Bonsoir Cecil!
Encore un bel article, qui réhabilite une pépite du comics injustement passée inaperçue chez nous depuis près de vingt-cinq ans (même si la revue Scarce en avait évidemment parlé en bien dés sa parution). Cinder & Ashe est effectivement une mini-série qui tranchait agréablement avec le comics mainstream de l’époque: pas de super-héros costumés, ni de science-fiction ou de surnaturel. Juste un polar assez noir et violent, dessiné avec efficacité par José Luis GarcÃa-Lopez, malheureusement disparu depuis.
Je ne vais pas compléter votre article, juste signaler un fait éditorial. La série est publiée par Delcourt, alors que la licence DC est passée depuis début 2012 de Panini à Urban Comics. Cela signifie qu ‘Urban Comics, contrairement à son illustre prédecesseur (adjectif à lire de façon ironique) n’ a pas revendiqué l’exclusivité de la licence DC. Urban Comics a fort à faire avec Batman et Superman, plus la mise à disposition permanente des séries Vertigo réputées. Ils laissent donc une marge de maneuvre appréciable à d’autres éditeurs (ici Delcourt), concernant l’utilisation de leur gigantesque catalogue.
Bien à vous!
Michel Dartay
Bonsoir Michel,
Merci de votre commentaire, et ravi de lire que vous connaissiez et appréciez ce très chouette comic malheureusement pas assez connu que Thierry Mornet a voulu réhabiliter en le rééditant chez Delcourt. Peut-être était-ce même lui qui à l’époque avait parlé de cette Å“uvre dans Scarce…
Bien à vous,
Cecil McKinley
Excellente série, injustement méconnue en effet. Le catalogue DC regorge de séries à découvrir de cette époque. J’ai eu un instant l’impression qu’elle était parue originellement en récit complet Arédit, mais il est possible que je confonde.
Bonjour JC,
Je ne me rappelle pas que cette série ait été déjà publiée en France, non…
Bien à vous,
Cecil McKinley
Pour info, la page Wikipedia de JLGL ne mentionne pas qu’il soit « disparu ».
Bonjour JC,
Je pense que Michel Dartay a voulu signifir qu’il avait « disparu de la circulation », pas qu’il soit mort… C’est ce que dit Conway dans sa préface de l’album, justement: que Lopez s’est fait bien trop rare dans les comics, presque effacé derrière ses travaux plus alimentaires mais ingrats en termes de reconnaissance…
Bien à vous,
Cecil McKinley
Bonsoir, Cecil et JC!
Disons en effet, qu’après des débuts prometteurs, J-L G-L n’a pas eu droit aux honneurs d’une série régulière à haute visibilité. Il a notamment beaucoup travaillé sur le revamping des New 52, mais il s’agit d’une sous-utilisation de son talent. Dommage…