Saviez-vous qu’en 1916, à Unicoi (comté de l’État du Tennessee, aux États-Unis), une éléphante prénommée Mary a été condamnée à mort et pendue à une grue pour avoir écrasé la tête du dresseur qui la battait ? Eh oui, en Amérique, à cette époque-là, on ne rigolait pas avec la loi, même en ce qui concernait les animaux à qui ont accordait, suivant la croyance populaire, une conscience morale. La plupart d’entre eux devant alors être exécutés, il y aurait eu, d’après l’excellent narrateur et dessinateur David Ratte (1), des bourreaux assermentés qui devaient parcourir tout le pays pour appliquer la sentence suprême à ces bestioles assassines, à la suite de décisions issues des procédures fédérales. C’était d’ailleurs le métier du jeune Jack Gilet : un type un peu paumé qui aimait tellement les animaux qu’il ne voulait pas qu’on les abatte comme des bêtes…
Lire la suite...« Camargue rouge » par Michel Faure et Jean Vilane
Une manade, un gardian souriant : cela correspond bien à l’image traditionnelle de la Camargue. Mais pourquoi « rouge » ? La couverture répond en promettant aux lecteurs des Indiens mais que peuvent faire ces Peaux-Rouges en Camargue ?!
Tout commence aux Etats- Unis, en 1904, dans le Sud Dakota, un certain Cody, plus connu sous le nom de Buffalo Bill, décide une tribu d’Indiens Lakota à l’accompagner en Europe. La troupe, le Wild West Show, traverse bientôt l’Atlantique où Indiens et chevaux découvrent la mer et le mal de mer ! A la fin de l’automne, ils sont à Londres, puis à Paris. Parmi eux se trouve une jeune fille parlant bien l’anglais et un peu français. Elle a été pensionnaire à Carlisle (voir chronique précédente). C’est elle que démarche le Marquis Folco de Baroncelli-Javon, un Provençal pur et dur qui aimerait voir tous ces Indiens « galoper à bride abattue dans les marais au milieu des marais flamants roses ». Le Wild West Show fait étape à Marseille et c’est parce que la troupe est inopinément coincée sur le port (à cause d’un incendie d’entrepont) que le riche Camarguais va voir son rêve se réaliser, un rêve multiracial qui fait se côtoyer des Sioux, des Gitans et des Camarguais.
La bande dessinée est l’adaptation d’un conte de Jean Vilane. La pièce se transforma déjà en 2005 en devenant une comédie musicale avec des chansons de Nicole Rieu, laquelle expliquait en 2009 dans un interview : « Le Marquis de Baroncelli, c’était un noble avignonnais qui vivait en Camargue, c’était un amoureux de l’espace, de la Terre, des éléments. Il vivait à cheval la plupart du temps dans la Camargue de l’époque, dans les marécages, le sel, le vent, la mer. Il avait pour ami le poète Mistral et il faisait partie des gens qui ont initié aussi la langue provençale sous l’impulsion de Mistral. Et sur ses terres, il avait déjà accueilli les gitans qui venaient là pour le pèlerinage tous les ans aux Saintes-Marie-de-la-Mer ; pour le culte à Sara. Quand il a su que les Indiens d’Amérique n’étaient pas loin, il a tout de suite pensé que c’était le même peuple que les Indiens de l’Himalaya. Pour lui, les Indiens et les Gitans, c’était pareil. Il disait « que l’on mette une coiffe de plumes à un gitan ou que l’on mette leur attribut à des indiens, ce sont les mêmes ». On sait aussi d’après les traces que l’on a pu trouver, et que l’on peut voir au Musée du Roure à Avignon, qu’il y a eu une « abrivade » qui s’est passée à Gallargues, un petit village du côté de Montpellier. Ces trois peuples s’y sont retrouvés pour vivre l’abrivade à cheval. Il y avait les gardians, les gitans et les indiens. Cette abrivade s’est appelée «l’Abrivade rouge».
Cette histoire de fraternité exemplaire, ce conte moral qui réchauffe les cœurs, a donc bel et bien existé. Toutefois l’histoire d’amour entre Mario, le gardian ténébreux, et Shania, la belle Indienne n’était en revanche pas forcément nécessaire (c’est semble-t-il une invention de Michel Faure), mais elle enrichit la fable, la rend plus romantique, dotée qu’elle est d’un des plus beaux décors du monde que Faure sait comme nul autre peindre et dépeindre. Ses chevaux, ses taureaux, sont sauvages et beaux et ce sont eux qui donnent à ce récit sa part de nature indomptée.
Alors, bon voyage du côté de l’abrivade de Gallargues (le lâcher de taureaux dans les rues) et du pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer.
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Camargue rouge » par Michel Faure et Jean Vilane
Éditions Glénat (15,50 €) – ISBN : 978-2-7234-8846-4