Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : ? Le Ciel au-dessus du Louvre ? par Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière, ? L’Hôte? par Jacques Ferrandez [d'après Albert Camus] et ? Shahidas T.1 : Le Fruit du mensonge ? par Frederic Volante et Laurent Galandon.
- ? Le Ciel au-dessus du Louvre ? par Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière
Éditions Futuropolis/Musée du Louvre (17 Euros)
Décidément les ouvrages coédités par Futuropolis et les éditions du Musée du Louvre, lesquelles donnent carte blanche à un auteur pour réaliser une bande dessinée inspirée par les missions de cet établissement public de conservation et par son patrimoine, sont tous remarquables. Après les performances de Nicolas de Crécy, de Marc-Antoine Mathieu et d’Éric Liberge, c’est le romantique tragique qu’est Bernar Yslaire qui s’y colle avec « Le Ciel au-dessus du Louvre », en compagnie de Jean-Claude Carrière : et l’album ne déroge pas à la règle. Le célèbre écrivain et scénariste de cinéma, fasciné par cette période (il avait déjà travaillé, entre autres, sur le sujet de la Révolution française en ayant écrit le film « Danton » pour Andrzej Wajda en 1983), s’est basé sur l’angle plutôt inédit (du moins en bande dessinée) de la fête de l’Être Suprême. Il a imaginé une intrigue autour de la commande, passée au peintre David par Robespierre, d’un tableau allégorique représentant une image destinée à contrer un quelconque retour de l’encore toute-puissante religion catholique dans l’État : une sorte d’idéal symbolique personnifié ! C’est alors que Jules Stern, jeune étranger au corps androgyne, perdu dans un Paris en proie au régime de la Terreur, se fait remarquer par Jacques-Louis David et devient son modèle, malgré les réticences de Maximilien… Même si, pour la première fois depuis des années, Yslaire n’est plus le seul maître de son récit, on subodore qu’il a toutefois suggéré ce personnage fictif, ancêtre des Eva et Frank Stern, les protagonistes de son « XXe ciel.com » dont l’intégrale doit bientôt paraître chez Futuropolis : l’auteur de la saga des « Sambre » tenant énormément à la cohérence de son œuvre ! En tout cas, ce jeune juif de Khazarie qui s’exprime avec des bulles lettrées de façon exotique, ange sacrifié sur l’Hôtel de la Terreur, devient, peu à peu, le point de mire de cette habile histoire post-révolutionnaire, où se succèdent, dans un format presque carré et à un rythme de trois ou quatre pages, vingt chapitres dont les planches sont composées à la palette graphique et où s’intègrent autant de toiles de maîtres exposées au Louvre : et, ainsi, la mission pédagogique est, elle aussi, complètement réussie !
- ? L’Hôte ? par Jacques Ferrandez d’après Albert Camus
Éditions Gallimard (13,90 Euros)
Alors que la plupart de nos confrères parlent plus facilement du dernier Joann Sfar (le premier tome de « L’Ancien temps ») publié par cet éditeur, lequel propose toujours, que ce soit dans ses collections « Bayou » ou « Fétiche » comme c’est le cas ici, des albums qui méritent le détour, nous avons choisi de nous attarder plutôt sur cette adaptation d’une nouvelle d’Albert Camus (tirée de « L’Exil et le royaume ») qui vient de paraître simultanément. Tout d’abord parce que ce conte philosophique est très poignant et que son sujet reste totalement d’actualité, qu’il s’inscrit naturellement dans l’œuvre toute à fait cohérente de Jacques Ferrandez qui y retrouve les décors algériens qu’il a déjà su merveilleusement mettre en en aquarelles dans ses « Carnets d’Orient », lesquels conviennent si bien à sa palette graphique, et surtout parce que sa narration et son art de la mise en scène y sont remarquables de fluidité, de simplicité et d’efficacité ! Dans les années 1950, un jeune instituteur français revient dans son pays natal (l’Algérie) pour s’occuper d’une petite école perdue dans les hauts plateaux, profitant pleinement de sa solitude et de la sérénité dégagée par ces grandioses paysages désertiques. Arrive alors un gendarme qui lui ordonne de convoyer son prisonnier arabe à la ville voisine pour le livrer à la justice. L’enseignant refuse mais le représentant de l’ordre repart lui laissant le captif… Un ouvrage humaniste qui se lit d’une traite et dont on se souviendra longtemps…
- ? Shahidas T.1 : Le Fruit du mensonge ? par Frederic Volante et Laurent Galandon
Éditions Grand Angle (12,90 Euros)
Laurent Galandon est vraiment un scénariste à suivre de très près ! Cette histoire de femmes kamikazes (un peu comme dans le récent « Léna et les trois femmes » de Christin et Juillard) confirme son intérêt pour les thèmes difficiles et les aventures funestes, mais aussi, et surtout, confirme sa maîtrise narrative ! Comme dans « L’Enfant maudit », dans « Quand souffle le vent » ou dans « Tahya El-Djazaïr », il réussit à être à la fois distrayant et instructif, sans jamais tomber dans la caricature, ce qui n’est pas une mince affaire ! Exerçant depuis plus de vingt ans, un commissaire du Caire, d’origine palestinienne, est hanté par le souvenir de son épouse victime d’un attentat terroriste, alors qu’elle était enceinte. Chargé d’une affaire qui commence par la découverte d’un corps de femme dénudé dans les eaux du Nil, il va plonger au cœur d’une organisation terroriste qui forme les suicidaires shahidas… : un récit aussi humain que subtil, fort bien coloré (par Scarlett Smulkowski) et mis en images par le belgo-italien Frederic Volante, lequel a fait ses armes sur le fumetti « Nick Raider » chez Bonelli. Ce dernier a su rendre l’intensité du propos sans trop en rajouter et on attend avec impatience ce qu’il va donner sur la nouvelle série de Richard Malka aux éditions 12 bis : « Les Z » !
Gilles RATIER