Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : ? Magasin général T.5 : Montréal ? par Régis Loisel et Jean-Louis Tripp, ? Pain d’alouette : première époque ? par Christian Lax et ? Tramp T.9 : Le Trésor du Tonkin ? par Patrick Jusseaume et Jean-Charles Kraehn.
- ? Magasin général T.5 : Montréal ? par Régis Loisel et Jean-Louis Tripp – Éditions Casterman (14 Euros)
C’est avec un grand plaisir non dissimulé que nous retrouvons, comme toutes les fins d’année, le petit monde du « Magasin général » dû à un duo graphique et scénaristique, toujours aussi performant. Tout ce qui fait le charme de la série est au rendez-vous : c’est-à -dire cette ambiance particulière créée par une accumulation de bonne humeur et de toutes ces petites choses qui nous procurent un bien-être fou, sans parler de la truculence des dialogues propre à la Belle Province ! Pourtant, tout ne va pas pour le mieux à Notre Dame des Lacs ! Dans un bref moment d’attirance mutuelle, la jeune veuve Marie et le jeune Marceau se sont adonnés aux choses du sexe. Et, hélas, pour eux, cela n’a pas tardé à se savoir dans tout notre petit village québécois des années 1920, alors en totale ébullition ! La promise de Marceau, tout de cris et de larmes, accuse Marie de lui avoir volé son fiancé. Ça jase de partout, le curé s’en mêle et même Adèle, la meilleure amie de Marie, rejoint la réprobation générale … Conséquence directe : le boycott du magasin général qu’essaie de gérer le beau Serge !!! Sur les conseils de se dernier, Marie, qui n’en peut plus, décide de partir pour Montréal. Ce n’est donc pas encore ce coup-ci que nos protagonistes vont trouver le bonheur auquel ils aspirent… Fondée sur la complémentarité du savoir-faire de chacun (Loisel au story-board, Tripp aux finitions, Lapierre aux couleurs, et Beaulieu à la relecture), cette nouvelle chronique aussi poignante que savoureuse, est une totale réussite qui continue à nous décrire, parfaitement, les contradictions de l’âme humaine !
- ? Pain d’alouette : première époque ? par Christian Lax – Éditions Futuropolis (16 Euros)
Avec « Pain d’alouette », Christian Lax évoque à nouveau les débuts du Tour de France, en proposant une sorte de suite à « L’Aigle sans orteils » : un superbe album qui nous racontait l’histoire d’un jeune soldat ravitaillant, à dos d’homme et jour après jour, un observatoire niché au sommet du Pic du Midi, afin de se constituer un pécule suffisant pour se payer un vélo et pouvoir participer à la plus grande épreuve cycliste au monde ! Accumulant les risques, le sportif est accidenté et reste bloqué toute une nuit dans la montagne gelée ; s’il doit se faire amputer de tous ses orteils, cela ne l’empêchera pourtant pas de parvenir à ses fins et de s’engager sur le Tour, en tant que coureur isolé, en 1912. Ici, nous nous retrouvons quelques années plus tard, en 1919, dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Un ancien coureur cycliste, gazé à Ypres deux années plus tôt, emmène son neveu découvrir la célèbre course Paris-Roubaix : une révélation pour ce jeune mineur ! Pendant ce temps-là , dans un orphelinat du Sud-Ouest, une très jeune enfant est en butte à la brutalité du directeur : il s’agit de Reine Fario, la fille de « l’Aigle sans orteils », tué sur le front… Quatre ans plus tard, un ingénieur en retraite de l’observatoire du pic du Midi apprend l’existence de Reine, désormais orpheline : il n’aura de cesse de la retrouver pour l’adopter… Évidemment, on attendait Lax au tournant ! Qu’il soit rassuré, L’émotion est aussi forte et dépasse le simple plaisir de retrouver certains personnages de « L’Aigle sans orteils » comme Camille Peyroulet, l’astronome en retraite. Peaufinant et renouvelant sa technique illustrative, surtout en ce qui concerne les couleurs directes, les dégradés et les rendus avec la matière, le dessinateur d’« Azrayen’ » et « Des maux pour le dire » (entre autres chefs-d’œuvre) raconte avec sobriété et simplicité l’histoire d’une jeune femme qui va reprendre le flambeau paternel … La passion de l’auteur pour le vélo nous gagne dès la première page de ce bel album généreux : même si on est loin d’être un adepte de la Petite Reine car il y mêle, par petites touches, une touchante description du milieu ouvrier et de la complexité du climat politique de cette époque quelque peu dépressive !
- ? Tramp T.9 : Le Trésor du Tonkin ? par Patrick Jusseaume et Jean-Charles Kraehn – Éditions Dargaud (13,50 Euros)
« Le Trésor du Tonkin » clôt avec bonheur le troisième cycle, dit « asiatique », des aventures du marin breton Yann Calec. Ce dernier a accepté un commandement en Cochinchine, pays alors en plein conflit en ces troubles années 50, pour se lancer sur les traces du fils d’un de ses voisins engagé dans la Légion étrangère ; mais aussi pour éclaircir les derniers moments de vie de son propre père. En effet, vingt ans plus tôt, cet homme, dont il ne sait pas grand-chose, est parti dans cette contrée lointaine, après le décès de sa mère, pour y mourir dans des circonstances pas très claires. Yann y fait alors la connaissance d’une ancienne maîtresse de son père qui lui apprend que Pierre-Yves Calec était sur la piste d’un trésor attirant toujours les convoitises de deux beaux salauds de « ripoux » qui appartiennent à la Sûreté militaire… Et voici de la vraie aventure, comme on n’a plus trop l’occasion d’en lire ces derniers temps ! Comme d’habitude, le scénario de Jean-Charles Kraehn est vraiment bien construit et très documenté, s’attardant avec justesse sur les rapports humains et sociétaux, sans négliger la dose nécessaire de suspense et de mystère à cette rebondissante quête du passé ! Quant à Patrick Jusseaume, son style « ligne claire réaliste » totalement maîtrisé et ses chaudes et très sensibles couleurs (un fait particulièrement évident dans les scènes de nuit) semblent parfaits pour mettre en valeur la narration limpide de cette passionnante saga exotique.
Gilles RATIER