Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Les Enquêtes du limier » T1 par Jirô Taniguchi
Terminé les fonds de tiroirs ? Après « Enmigo » qui date de 1984, Jirô Taniguchi nous revient avec une œuvre récente. Pourtant, on est loin du maître adulé en France pour « L’Homme qui marche », « Le Journal de mon père » ou encore « Quartier lointain ». Dans ce manga, c’est le Taniguchi des débuts qui resurgit, le Taniguchi mettant en scène de beaux chiens majestueux comme il l’avait déjà fait avec les loups de « Blanco ». Ou le Taniguchi à l’univers polar comme dans « Trouble is my business » ou « le Sauveteur ».
Néanmoins, la construction narrative de ce manga , « Les Enquêtes du limier » peut aussi se rapprocher des œuvres telles que « Blanco » comme nous allons le voir. Mais aussi de « Seton » ou « Le Sommet des dieux » pour son côté repos du guerrier et exploration des grands espaces. Taku Ryûmon vit au milieu d’une immense propriété perdue quelque part dans les montagnes japonaises. Il est là , avec son chien Joe, fidèle compagnon qui l’aide dans son travail : détective pour chien perdu ou volé. Ce boulot est peu courant, absolument pas rémunérateur, et offre des rencontres assez peu sympathiques, en général. En revanche, Taku ne s’occupe pas des animaux de compagnie, il ne recherche que des gros chiens de chasse. Pourtant, il va faire une exception, il va se lancer à la poursuite d’un chien guide d’aveugle. D’où le titre de ce premier recueil : « Chien d’aveugle ».
L’idée est venue, à Taniguchi, d’écrire cette histoire en lisant les recueils de nouvelles de Itsura Inami. Il se retrouvait dans sa description des grands espaces et de la relation privilégiée que cet homme entretenait avec les chiens ainsi que sa passion de la chasse. Malheureusement, Itsura Inami est décédé en 1994. C’est donc auprès de son fils qu’il a fait la demande d’adaptation après avoir reçu, non sans mal, l’aval de son éditeur. Le résultat est paru en 2011 dans le magazine Business Jump, pendant adulte du célèbre Jump où sont publiés « DragonBall » ou « One Piece ».
Même si la trame originelle n’est pas de lui, on sent la passion du dessinateur derrière ses forêts, ses maisons campagnardes et ces villes pendues à flanc de montagne. Taku est un personnage plutôt clame et posé, bien loin des nombreux autres manga policiers que Taniguchi a déjà publiés. Ses enquêtes ne se révèlent pas être très compliquées et c’est plus sur la personnalité des protagonistes qu’il faut s’attarder.
Les premières planches nous embarquent dans une balade qui se termine par la découverte d’un chien mort d’épuisement au bord d’une paisible rivière de montagne. Ces quelques pages résument parfaitement l’ambiance générale de ce manga. Pourtant, la suite est moins paisible, Taku étant propriétaire d’une propriété assez importante, il est sujet à de nombreuses intimidations de la mafia locale qui aimerait bien mettre la main sur ces terres.
Mais sous son flegme apparent se cache un homme dur, bourru et prêt à en découdre au besoin. Il sait se faire respecter et n’hésite pas à menacer les mafieux qui se retrouvent tout penauds. Ce gaillard a des principes, aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle. Il ne faut apparemment pas trop le titiller, et ce n’est pas l’argent qui le fera changer d’avis.
Derrière ces personnages denses, il y a un dessin qui est toujours aussi fort. « Les Enquêtes du limier » étant un manga récent, c’est du grand Taniguchi qui nous est proposé. Le graphisme est clair et les cadrages bien pensés. Même lorsqu’il explique, durant de nombreuses pages, les particularités du dressage des chiens d’aveugle, on ne s’ennuie pas le moins du monde. Le récit coule face à nos yeux et comme dans « L’Homme qui marche » on se laisse porter par la simplicité de la vie qu’a choisi le héros.
Ce manga est un polar atypique, peu d’action, des résolutions d’enquêtes obtenues de manière simple et un héros ayant une vie asociale, mais non dénuée de sens. Les amateurs du maître retrouveront ce qui a fait le succès de ses précédentes œuvres : un mélange d’aventure et de sobriété.
Gwenaël JACQUET
« Les Enquêtes du limier » T1 (« Chien d’aveugle ») par Jirô Taniguchi et Itsura Inami
Éditions Casterman, collection « Sakka » (12,95€) – ISBN : 978-2203063112